Intervention de Philippe Setton

Commission d'enquête Frontières européennes et avenir espace Schengen — Réunion du 4 janvier 2017 à 9h00
Audition de M. Philippe Setton directeur de l'union européenne au ministère des affaires étrangères et du développement international et de Mme Laurence Auer directrice-adjointe

Philippe Setton, directeur de l'Union européenne au ministère des affaires étrangères et du développement international :

Schengen met en oeuvre l'une des quatre libertés fondamentales de l'Union européenne : la liberté de circulation des personnes. C'est l'une de ses réalisations les plus concrètes, et l'une de celles auxquelles les citoyens sont le plus attachés. Chaque année, 1,25 milliard d'Européens se déplacent au sein de l'espace Schengen. Jean Pisani-Ferry a évoqué devant vous, hier, le coût du non-Schengen ; en mars 2016, la Commission européenne, dans sa communication intitulée « Revenir à l'esprit de Schengen », estimait que « la réintroduction totale des contrôles aux frontières au sein de l'espace Schengen occasionnerait des coûts directs immédiats de 5 à 18 milliards d'euros par an ».

Dès l'origine, la liberté de circulation a emporté deux conséquences liées dans l'esprit des concepteurs : la suppression des contrôles aux frontières intérieures à l'espace Schengen et la mise en oeuvre des mesures dites compensatoires prévoyant notamment une harmonisation des modalités de surveillance des frontières extérieures, la mise en oeuvre d'un visa Schengen uniforme pour les séjours de courte durée, les prémices d'une coopération judiciaire et transfrontalière et enfin la création du système d'information Schengen (SIS). De plus, le traité de Schengen prévoyait d'emblée la possibilité d'un rétablissement des contrôles aux frontières nationales en cas de menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure d'un État membre.

Initialement négocié dans un cadre intergouvernemental et en dehors des traités européens, Schengen a progressivement été intégré dans l'ordre juridique de l'Union européenne à partir du traité d'Amsterdam de 1999, à travers les dispositions réglant le visa de court séjour, l'asile - la Convention de Dublin instaurant le principe de responsabilité du pays de première entrée - et la coopération policière.

Dernière manifestation de sa forte résonance politique, l'extension progressive de l'espace Schengen depuis le traité de 1985 signé par cinq États membres. Aujourd'hui, Schengen est considéré comme un élément d'intégration, voire d'appartenance à la famille européenne. C'est particulièrement vrai pour les deux derniers arrivés dans l'Union européenne, la Roumanie et la Bulgarie. L'espace Schengen compte 22 États membres, soit les 28 membres de l'Union européenne moins le Royaume-Uni et l'Irlande, la Bulgarie, la Roumanie, la Croatie - qui a engagé le processus d'adhésion l'année dernière - et Chypre en raison de la division de l'île. S'y ajoutent l'Islande, la Norvège, la Suisse et le Liechtenstein qui ont le statut d'États associés.

L'espace Schengen a connu trois périodes de forte tension : des arrivées massives en provenance d'Afrique occidentale en 2004 et 2005 - la « crise des cayucos » -, les « printemps arabes » en 2011 et enfin la crise des réfugiés de 2014-2015, où les flux de personnes ont explosé sur les routes des Balkans, de la Méditerranée orientale et de la Méditerranée centrale. Cette dernière crise a mis en lumière des difficultés dont certaines dépassent le cadre du fonctionnement de Schengen : la mise en oeuvre du règlement de Dublin, mais aussi les sensibilités nationales sur les sujets migratoires et les difficultés de mise en oeuvre d'une solidarité effective entre États membres.

La crise a aussi mis en évidence la complexité objective du contrôle des frontières extérieures - près de 50 000 kilomètres, dont 80 % en zone maritime -, un manque de moyens, une contribution inégale, en volume et en qualité, des États membres de Schengen aux bases de données, une consultation aléatoire de ces bases en fonction des réglementations nationales et enfin les problèmes d'interopérabilité entre les bases de données.

Ces tensions ont conduit à une remise en chantier des règles de fonctionnement de l'espace Schengen. À la suite des « printemps arabes », l'article 29 du code frontières Schengen a été modifié pour autoriser le rétablissement du contrôle aux frontières intérieures en cas de circonstances exceptionnelles mettant en péril le fonctionnement global de l'espace du fait de « manquements graves dans l'exécution du contrôle aux frontières extérieures ». C'est sur cette base que le Conseil a autorisé, en mai puis en novembre 2016, cinq États membres à rétablir provisoirement ce contrôle au vu des manquements constatés en Grèce. Deuxième modification, la révision des procédures d'évaluation en 2013, donnant à la Commission la possibilité d'effectuer des contrôles programmés mais aussi inopinés, et lui attribuant un rôle accru, alors que le système précédent reposait sur l'évaluation par les pairs. Ces dispositions sont en application depuis 2015.

Face à la crise des réfugiés, la France et l'Allemagne ont obtenu la création en octobre d'un corps européen de garde-frontières et de garde-côtes, avec une montée en charge à compter de ce début d'année. La France s'est engagée à contribuer à la réserve d'intervention rapide à hauteur de 170 garde-frontières et garde-côtes sur un effectif total de 1 500. La deuxième modification, partiellement acquise, est celle du code frontières Schengen pour organiser le contrôle systématique aux frontières extérieures en entrée comme en sortie, y compris sur les citoyens européens. Elle a fait l'objet d'un accord politique entre le Conseil et le Parlement européen en décembre et attend sa validation formelle par ce dernier. Au cours des discussions, la France a obtenu la consultation obligatoire des bases de données européennes - le SIS, mais aussi le fichier Interpol - en plus de la consultation des bases nationales.

La Commission européenne a également proposé, en avril 2016, l'établissement d'un système entrée/sortie pour améliorer l'efficacité des contrôles, mais aussi identifier ceux qui abuseraient de leur droit de séjour régulier dans l'Union ; cet instrument sera utilisé pour surveiller les flux, mais aussi dans le cadre de la lutte anti-terroriste. En novembre, elle a proposé la création d'un système européen d'autorisation et d'information de voyages, sur le modèle de l'ESTA existant aux États-Unis, permettant d'évaluer le risque migratoire et sécuritaire présenté par une personne exemptée de visa avant son entrée dans l'espace Schengen. Enfin, le 16 décembre, la Commission a présenté un ensemble de textes réglementaires pour améliorer l'utilisation du SIS dans le champ de la coopération policière et judiciaire en matière pénale, faciliter le recours à celui-ci dans les contrôles aux frontières et autoriser sa consultation pour le retour de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. Ces propositions, dont les autorités françaises approuvent les orientations, seront examinées dans les prochaines semaines.

Le risque migratoire et sécuritaire renvoie également à d'autres instruments et initiatives, notamment les efforts en direction des pays tiers d'origine et de transit. Lors du sommet de La Valette, en novembre 2015, la création d'un fonds fiduciaire a été décidée. Des partenariats ont été mis en oeuvre, dans le cadre de paquets migratoires, avec cinq pays d'Afrique considérés comme prioritaires. Mme Federica Mogherini a présenté le 15 décembre au Conseil européen une évaluation de ce dispositif, faisant apparaître des progrès au Niger mais des résultats plus mitigés ailleurs.

Enfin, différentes initiatives législatives dans le cadre de la lutte contre le terrorisme sont à signaler, en particulier l'adoption définitive du Passenger Name Record (PNR) qui doit être mis en oeuvre d'ici à 2018 par les États membres.

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