Intervention de Jean-Claude Requier

Réunion du 10 janvier 2017 à 14h30
Autorités administratives indépendantes et autorités publiques indépendantes — Discussion en troisième lecture et adoption définitive d'une proposition de loi et d'une proposition de loi organique dans les textes de la commission

Photo de Jean-Claude RequierJean-Claude Requier :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Sénat revient en troisième lecture sur la proposition de loi organique relative aux autorités administratives indépendantes et aux autorités publiques indépendantes et sur la proposition de loi portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes. Ces deux textes ont été déposés dans la continuité de l’excellent rapport de la commission d’enquête sénatoriale créée sur l’initiative du groupe du RDSE et de son président, Jacques Mézard. Il est bon d’en rappeler le titre : Un État dans l’État – Canaliser la prolifération des autorités administratives indépendantes pour mieux les contrôler.

Dans son ouvrage La légitimité démocratique, l’historien et sociologue Pierre Rosanvallon démontre que les autorités administratives indépendantes détiennent une légitimité « d’impartialité ». Or deux conditions sont nécessaires à cette légitimité : que les autorités administratives indépendantes ne soient pas irresponsables et qu’elles soient soumises à des exigences procédurales strictes.

Au regard des pouvoirs considérables détenus par certaines autorités administratives indépendantes, comme la prise de décisions conduisant à l’inéligibilité d’un élu, l’envoi d’injonctions aux ministres, l’accès de droit à des documents protégés par le secret de la défense nationale, il est essentiel que la représentation nationale puisse contrôler leur création et leur fonctionnement.

L’indépendance de ces autorités administratives indépendantes ne saurait fonder une caste administrative exempte de toute responsabilité. Or la commission d’enquête du Sénat a constaté que la représentation nationale ne contrôle pas vraiment – ou pas suffisamment – ni la création ni le fonctionnement de ces autorités.

Tout d’abord, le transfert de pouvoir du Gouvernement vers les autorités administratives indépendantes n’est assorti, d’après ce même rapport qui fera date, « d’aucun transfert de responsabilité politique devant le Parlement ».

Toujours selon ce rapport, « les autorités administratives indépendantes peuvent, dans leur domaine de compétence, mener une politique dont elles ne sont pas amenées à répondre devant les assemblées dans les mêmes termes que les membres du Gouvernement. L’équilibre des pouvoirs est, de ce point de vue, rompu, car le Parlement ne peut mettre en cause que le Gouvernement qui, dépossédé de sa compétence, renvoie allégrement aux décisions d’une autorité sur laquelle les parlementaires ont une prise réduite. Au total, le transfert de la compétence du Gouvernement vers une autorité administrative indépendante se traduit, pour le Parlement, par un appauvrissement démocratique. »

On cerne ici le problème de l’indépendance fonctionnelle des autorités administratives indépendantes. Il faut pouvoir renforcer le contrôle démocratique du Parlement sur celles-ci, les encadrer et les doter d’un statut, car indépendance ne signifie pas irresponsabilité. À ce titre, la proposition de loi portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes va dans le bon sens, en prévoyant d’obliger ces autorités à adresser chaque année, au Parlement et au Gouvernement, un rapport d’activité, et en leur imposant, lorsque les commissions permanentes compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat le demandent, de rendre compte devant elles, annuellement, de leur activité. Voilà un pas important vers le contrôle démocratique de ces autorités par le Parlement.

Par ailleurs, le manque de diversification dans la nomination des membres des autorités administratives indépendantes favorise un sentiment d’« entre soi » qui doit prendre fin entre membres du Conseil d’État, de la Cour de cassation et de la Cour des comptes. La proposition de loi prévoit intelligemment que « nul ne peut être membre de plus de deux autorités » et que le mandat de membre d’une autorité administrative indépendante ne peut être renouvelé qu’une seule fois.

Afin de lutter contre la politisation des nominations des membres des autorités administratives indépendantes, la proposition de loi a élargi le contrôle parlementaire sur les nominations à la présidence de certaines de ces autorités.

Enfin, comme l’indiquait le rapport établi par notre collègue Patrice Gélard en 2006, « l’irrévocabilité des mandats des membres des AAI constitue une garantie d’indépendance essentielle permettant, selon les termes de Mme Marie-Anne Frison-Roche [spécialiste du droit de la régulation], d’éviter “une capture de l’autorité par le politique” ». À ce sujet, la proposition de loi contient justement plusieurs règles relatives au statut des membres de ces autorités. Elle harmonise la durée du mandat entre trois ans et six ans, pose le principe de l’irrévocabilité du mandat et renforce le régime des incompatibilités.

Dans le droit fil de ces textes sur la simplification administrative, le Gouvernement devra faire preuve de sagesse en supprimant les doublons et en évitant d’en créer d’autres, lorsqu’il confie à une autorité administrative indépendante des missions qui se superposent à celles de l’administration. À l’heure où les élus, les maires et les présidents d’établissements publics de coopération intercommunale doivent participer à l’effort national de réduction des dépenses publiques, l’État doit montrer l’exemple et éviter les dépenses inutiles de son administration. Il faut donc supprimer les postes qui doublonnent dans les ministères concernés !

Enfin, le Gouvernement doit également progresser sur un sujet connexe à celui des autorités administratives indépendantes, celui du contrôle et de la fixation d’un cadre commun aux « agences de l’État », dont le nombre ne cesse de se multiplier. En 2015, 1 244 agences de l’État étaient répertoriées par l’Inspection générale des finances. En 2012, le Conseil d’État relevait dans son rapport annuel que la création d’une agence n’est neutre ni d’un point de vue budgétaire ni en termes de gestion publique et recommandait de subordonner toute création à une évaluation de sa pertinence. À ce sujet, le Conseil d’État propose de réévaluer la pertinence des missions confiées à chaque agence de l’État et d’imposer une étude d’impact comme préalable à la création d’une agence.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe du RDSE soutient ces deux propositions de loi permettant de mettre fin à la prolifération excessive des autorités administratives indépendantes et de renforcer leur contrôle démocratique de manière permanente et effective !

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