Mesdames, messieurs les sénateurs, mon propos liminaire reprendra les éléments qui me semblent les plus saillants à l'aune des questions que vous m'avez adressées.
Je dresserai un panorama de l'état actuel de nos travaux, du rôle joué par le Commissariat général au développement durable dans la définition et la mise en oeuvre de la séquence ERC ; je soulignerai les progrès réalisés depuis l'introduction de cette séquence, au travers de la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature ; j'évoquerai, enfin, quelques enjeux aujourd'hui importants.
Les impacts d'un projet sur l'environnement ont fait l'objet d'une réglementation dense.
L'introduction de la séquence « éviter, réduire, compenser » par la loi du 10 juillet 1976 a constitué une véritable innovation tant en France qu'en Europe. Depuis, ce principe a été intégré dans la législation européenne au travers de directives traitant de l'évaluation environnementale des plans et programmes - à partir de 2001 -, puis des projets - à partir de 2011. La transposition de ces textes en droit national constitue un cadre majeur de mise en oeuvre de la séquence.
Celle-ci dépasse, d'ailleurs, la seule préservation des espèces protégées. Son périmètre, relativement large, englobe également la biodiversité ordinaire, le bruit, la qualité de l'air et la pollution.
Au fil des années, la mise en oeuvre de cette séquence ERC a nécessité un travail important d'accompagnement méthodologique - nous y reviendrons, car cette dimension est au coeur du rôle du Commissariat général au développement durable. Ce travail a été réalisé dans le cadre de la mise en oeuvre des études d'impact, avec la publication, en 1996, du guide établi par le service d'études sur les transports, les routes et leurs aménagements (SETRA) sur l'étude d'impact des infrastructures de transport. S'y est ajouté un guide du ministère de l'environnement sur l'étude d'impact en 2000, puis un guide du Commissariat général au développement durable portant sur l'évaluation environnementale des documents d'urbanisme.
Nous avons constaté un certain nombre de difficultés et d'insuffisances dans la mise en oeuvre de la séquence ERC.
Au vu des éléments fournis dans les études environnementales, la question de l'efficacité, en particulier des mesures compensatoires, pose quelques problèmes. Force est de constater que les obligations des porteurs de projet relatives à ces mesures compensatoires n'ont pas toujours été remplies.
Il existe plusieurs causes à cela, la première étant le manque de connaissances et de compétences, notamment au moment de l'introduction de cette séquence dans l'ensemble des textes de loi, de la part des maîtres d'ouvrage, mais aussi des bureaux d'études qui les assistent.
Nous avons aussi mesuré combien nous étions limités en termes d'outils et de méthodologies partagés - je reviendrai sur le sujet, notamment sur les difficultés rencontrées par les services de l'État lorsqu'ils sont confrontés à la mise en oeuvre de la part des bureaux d'études de méthodologies extrêmement différentes.
À la suite de ce constat, le ministère a lancé des travaux destinés à améliorer la mise en oeuvre de la séquence ERC.
Parallèlement à la réflexion sur la réforme des études d'impact, le Commissariat général au développement durable a donc été chargé d'organiser un comité national de pilotage, dont il assure également le secrétariat. Cette instance a pour mission d'élaborer, avec l'ensemble des parties prenantes - ONG environnementales, bureaux d'études, administrations, maîtres d'ouvrage, etc. -, une vision commune des actions à mener sur cette séquence.
En 2014, dans le prolongement des états généraux de la modernisation du droit de l'environnement, un groupe de travail, présidé par M. Romain Dubois, sur l'amélioration de la séquence ERC a formulé un certain nombre de recommandations opérationnelles, que le Commissariat général au développement durable s'est attaché à mettre en oeuvre. Ce travail, qui n'est pas achevé, préfigure ce que nous appelons de nos voeux, à savoir la création d'un centre de ressources sur la séquence.
Le comité national de pilotage, lancé en 2010, a encadré et coordonné des travaux ministériels sur la mise en oeuvre de la séquence. Il a notamment permis la production de documents essentiels, tels que la doctrine et les lignes directrices nationales sur la séquence éviter, réduire et compenser les impacts sur les milieux naturels, publiées en 2012 et en 2013. Dans ce cadre, l'accent a été mis sur le fait qu'il s'agissait bien d'une séquence complète, ne se réduisant pas à la seule mise en oeuvre de mesures compensatoires.
Parallèlement, le comité de pilotage a suivi l'expérimentation de l'offre de compensation engagée en 2011 et ayant permis la mise en oeuvre de quatre sites naturels de compensation par la CDC biodiversité, EDF, le conseil départemental des Yvelines et l'entreprise Dervenn.
Enfin, il a travaillé sur la question du manque d'information et de l'engagement des bureaux d'études. Une charte d'engagement volontaire des bureaux d'études a été élaborée afin d'améliorer la qualité des travaux fournis par ces acteurs, en appui de la maîtrise d'ouvrage. Aujourd'hui, une centaine de bureaux d'études, environ, se sont engagés volontairement dans le suivi de cette charte.
Ces travaux ont permis de s'orienter vers une amélioration de la mise en oeuvre de la démarche, grâce à des retours d'expériences entre acteurs, au développement de méthodologies ou encore à l'expérimentation de nouvelles solutions de compensation.
Ce triptyque est encore perfectible, notamment s'agissant de la mise en oeuvre et du suivi des mesures, ce qui explique le renforcement de la règlementation par la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.
C'est aussi dans le sillage des réalisations du comité de pilotage que le groupe de travail présidé par M. Romain Dubois, de l'entreprise SNCF Réseau, a été lancé.
Ces travaux, démarrés en septembre 2014, à la demande de la ministre de l'écologie et, comme je l'indiquais, dans le prolongement des états généraux de la modernisation du droit de l'environnement, visent à élaborer des propositions concrètes relatives à la mise en oeuvre de la séquence. De novembre à décembre 2014, le Conseil général de l'environnement et du développement durable a assuré leur pilotage, puis la rédaction d'un rapport contenant des propositions concrètes d'amélioration, présenté à la ministre et aux parties prenantes lors de la réunion du Conseil national de la transition écologique du 6 janvier 2015.
Ce rapport, particulièrement orienté vers des améliorations concrètes, formule six groupes de propositions : assurer le partage de la connaissance pour tous pour aller vers un centre de ressources ERC ; intensifier et déployer la formation de l'ensemble des acteurs de la séquence et favoriser l'émergence d'études d'impact de qualité ; pour un même projet, mutualiser et articuler les mesures ERC propres aux différentes réglementations ; rendre plus lisible la chronologie de la démarche, son articulation entre toutes les phases d'un même projet ; développer des éléments méthodologiques sur la compensation ; mutualiser et articuler les mesures compensatoires de différents projets.
Chacune de ces propositions se décline en actions concrètes, dont beaucoup ont été mises en oeuvre par le Commissariat général au développement durable, en liaison étroite avec ses partenaires.
Je citerai notamment l'outil de géolocalisation des mesures compensatoires, aujourd'hui encadré par l'article 69 de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. La mise en place de cet outil, qui s'articule d'ailleurs avec celle d'un outil spécifique pour la gestion des études d'impact, constitue pour nous une avancée extrêmement importante pour pallier les difficultés que nous rencontrons actuellement au niveau du suivi de ces mesures.
Je mentionnerai également la création et le déploiement d'actions de formation nationales à l'attention des services de l'État - d'intenses efforts ont été fournis en ce sens -, la mise en place de la charte d'engagement volontaire des bureaux d'études précédemment évoquée et, enfin, le lancement de plusieurs études sur les questions méthodologiques.
J'en citerai plusieurs exemples : une étude de déclinaison des lignes directrices nationales ERC au secteur des carrières ; une étude sur la nomenclature et la classification des mesures ERC et de leur accompagnement ; une étude sur les typologies des méthodes de dimensionnement des mesures compensatoires ; une étude capitalisant sur l'expérience acquise à partir du suivi d'un certain nombre de projets et proposant des fiches méthodologiques.
Toutes ces études ne sont pas achevées, à l'image d'une étude de capitalisation actuellement en cours, qui repose sur un échantillonnage de 110 projets s'échelonnant entre 2008 et 2014. Celle-ci nous donne des indications importantes - les seules de niveau national dont nous disposons aujourd'hui - sur les coûts, la mise en oeuvre de la séquence, l'intensité des mesures d'évitement, de réduction et de compensation par la maîtrise d'ouvrage.
Quelles suites donner à tout cela ? Comme vous pouvez le constater, nous ne cherchons pas ici à tenir un discours angélique ; nous voulons montrer que nous sommes sur une trajectoire de perfectionnement dans la mise en oeuvre de cette séquence ERC, de développement d'outils de méthodologie et d'outils, destinés aux services, d'appui au suivi de ces mesures. Nous sommes conscients, à la fois, de l'enjeu et de la perfectibilité de la mise en oeuvre de la séquence.
Toutefois, les avancées réalisées depuis 2010, avec la mise en place du comité de pilotage, les réalisations du groupe de travail, l'implication du Commissariat général au développement durable dans la mise en oeuvre des recommandations formulées par ce dernier, nous permettent d'envisager un renforcement des obligations de mise en oeuvre de la séquence ERC.
C'est ce qui a été fait dans le cadre de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Un certain nombre de principes majeurs, qui, jusqu'à présent, n'apparaissaient que dans la doctrine nationale, ont été réaffirmés et, surtout, inscrits dans la loi : l'objectif d'absence de perte nette, voire de gain de biodiversité ; l'obligation de résultat ; l'obligation de pérennité et d'effectivité durant toute la durée des impacts ; la proximité fonctionnelle des mesures par rapport à l'impact ; la non-autorisation du projet, en l'état, si les atteintes qui lui sont liées ne peuvent être ni évitées ni réduites, ni compensées de façon satisfaisante.
La loi fixe donc des objectifs extrêmement ambitieux. Il s'agit maintenant, pour les services de l'État, d'en assurer la mise en oeuvre et d'accompagner les porteurs de projet afin d'améliorer l'application de la séquence ERC. La réalisation de l'obligation de résultat et de l'obligation de suivi constitue un enjeu extrêmement important pour ces services, qui, à ce jour, ne sont pas encore totalement équipés pour répondre à ces objectifs, mais qui s'y emploient résolument.
À nos yeux, parmi les enjeux majeurs liés à la séquence ERC, se trouve la question de l'assurance de la pérennité des mesures compensatoires sur toute la durée des impacts : cette pérennité doit être garantie sur un temps long, ce qui nécessite stabilité, capitalisation et accès à la mémoire. Cela explique le développement de l'outil de géolocalisation des mesures compensatoires, qui a vocation à être complété par la suite : il devrait permettre une capitalisation d'informations sur la nature de ces mesures, de la maîtrise d'ouvrage qui les porte, etc.
La remontée des données, je tiens vraiment à le souligner, est une question essentielle, son organisation exigeant des efforts très importants de la part des services de l'État. Cette problématique dépasse d'ailleurs les données liées à la biodiversité : nous avons, plus largement, à organiser la remontée de l'ensemble des données afférentes aux études d'impact. Le système étant totalement dématérialisé, l'enjeu technique est fort et ce sont deux ans de travail, environ, qui seront nécessaires pour mener le projet à bien.
Autre enjeu majeur, l'anticipation de la compensation. Comme je l'ai indiqué, il faut se focaliser sur la totalité de la séquence, et non seulement sur les mesures compensatoires. Plus l'anticipation de la maîtrise d'ouvrage est importante, plus celle-ci est capable d'intégrer en amont ce qui relève des mesures d'évitement et de réduction, et plus elle est apte à définir concrètement les mesures compensatoires qui devront être mises en oeuvre, parfois, d'ailleurs, de manière très anticipée par rapport à la réalisation du projet.
Cette dimension, essentielle, exige un travail d'accompagnement de la part des services, y compris en amont du dépôt des demandes d'autorisation. C'est pourquoi il nous paraît important d'impliquer l'ensemble des bureaux d'études et de mobiliser tous les services déconcentrés de l'État.
Nous voyons un troisième enjeu dans la capacité à assurer une prise en compte globale des impacts du projet. Les questions de méthodologie, qui ont été soulevées à plusieurs reprises par le comité de pilotage et par le groupe de travail, prennent ici tout leur sens. Cette prise en compte globale, qui s'inscrit dans la lignée de la réforme de l'évaluation environnementale, mais aussi de la vision européenne - l'approche par projet d'ensemble est préférée à l'approche par type d'autorisations -, nécessite effectivement de développer une méthodologie particulière pour évaluer les impacts, les biotopes qu'ils affectent et la façon de calculer les unités de compensation, pour les impacts résiduels qui n'auraient pu ni être évités, ni être réduits.
Enfin, la difficulté à compenser effectivement les atteintes à la biodiversité ne doit pas faire de cette compensation la solution première au traitement des impacts de projet. Nous sommes particulièrement attachés à ce point, comme le montre la dernière réunion du comité de pilotage, et travaillons, en conséquence, sur la question de l'évitement. Comment lui donner toute sa place ? Comment faire en sorte que cette dimension soit correctement renseignée par la maîtrise d'ouvrage, afin d'en faciliter le suivi ?
Dès le premier semestre 2017, nous nous emploierons à l'organisation d'un séminaire sur la phase d'évitement, afin de mettre en lumière les bonnes pratiques, inviter les maîtres d'ouvrage à bien renseigner cette étape et à valoriser les comportements vertueux dans ce domaine.