Intervention de Thierry Dutoit

Commission d'enquête Atteintes à la biodiversité — Réunion du 22 décembre 2016 à 14h35
Audition de M. Thierry duToit directeur de recherche en ingénierie écologique au centre national de la recherche scientifique cnrs Mme Claire Etrillard ingénieure d'études et M. Michel Pech géographe ruraliste à l'institut national de la recherche agronomique inra M. Harold Levrel chercheur en économie écologique au centre international de recherche sur l'environnement et le développement cired et Mme Anne-Charlotte Vaissière économiste de la biodiversité au laboratoire montpelliérain d'économie théorique et appliquée lameta

Thierry Dutoit, directeur de recherche en ingénierie écologique au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) :

Je veux revenir sur la prise en compte de la nature ordinaire dans les processus de compensation. C'est une nécessité.

En effet, la nature ordinaire est beaucoup plus impactée que la nature extraordinaire par les aménagements. Or, par définition, la nature ordinaire, par opposition à la nature extraordinaire, n'a pas, a priori, de valeur patrimoniale, que ce soit en termes d'espèces, d'habitats ou encore de paysages. En revanche, elle remplit de nombreuses fonctions et peut rendre de nombreux services écosystémiques.

La nature ordinaire voit son importance de plus en plus reconnue dans le cadre des politiques de trame verte, de trame bleue. Les haies, les bandes herbacées ou les rivières peuvent être restaurées, non pas à des fins de restauration de la biodiversité, mais compte tenu de leurs fonctionnalités. La prise en compte spécifique de la nature ordinaire dans les processus de compensation doit passer par l'angle des services, et non par celui de la biodiversité. Ce point me paraît très important.

Cependant, les échelles rendent la prise en compte de la nature ordinaire compliquée. Pour qu'un système de haies ou de bande herbeuse soit efficace, il faut raisonner non pas en mètres carrés ou en centaines de mètres carrés, mais en maillage.

J'attire notamment votre attention sur le fait que, sur le site de Cossure, dans la plaine de la Crau, on réfléchit actuellement à prendre en compte la nature ordinaire du fait de la difficulté de vendre des unités de biodiversité.

Monsieur Gremillet, vous avez attiré mon attention sur les sols. Effectivement, les sols posent un problème en termes de restauration. Les sols, dans les écosystèmes, sont souvent considérés comme des boîtes noires : on regarde ce qui rentre et ce qui sort, mais on oublie de regarder ce qu'il y a dedans, à savoir, en l'espèce, la biodiversité « obscure ».

Il est de nombreuses espèces et de nombreux groupes d'espèces que l'on ne sait pas reconnaître, comme les champignons ou les algues. Par ailleurs, la plupart des sols ont mis plusieurs dizaines de milliers d'années à se former. C'est le cas des sols les plus évolués. Quelquefois, la restauration d'un écosystème peut consister à « dégrader » le potentiel agronomique d'un sol, qui a été acquis par des générations d'agriculteurs. On peut agir en retournant des sols qui ont été trop fertilisés par de nombreux apports d'azote chimique pour remettre en surface l'horizon minéral - le plus pauvre et le plus propice à une certaine biodiversité. La restauration des sols peut s'opposer à ce qui a été décidé au nom du génie agronomique pendant des centaines d'années.

J'ai eu l'occasion de travailler sur les calculs des ratios de compensation. J'ai connu trois étapes.

On a d'abord souhaité, au début de l'opération Cossure, consigner la fonction dans l'écosystème de chaque espèce - le moindre coléoptère, la moindre sauterelle... Nous en étions bien évidemment incapables ! On a donc très rapidement décidé de ne pas calculer les ratios de compensation espèce par espèce, fonction de chaque espèce par fonction de chaque espèce, habitat par habitat. Il est ressorti des négociations sur les ratios de compensation un compromis entre les capacités de l'aménageur, l'autorité de l'État en matière environnementale et la pression des associations de conservation de la nature. Un projet prévoyait une restauration de l'ordre de 10 à 15 hectares compensés par hectare détruit. Cela n'a jamais été appliqué, sauf dans le cas spécifique la pollution aux hydrocarbures par SPSE. Les derniers projets de compensation reposent sur des ratios de 1 hectare compensé pour 1 hectare détruit, voire de 1 pour 0,5. Au demeurant, ces ratios reflètent davantage la conjoncture économique que de réels calculs d'équivalence écologique.

Il est très difficile de mesurer l'équivalence écologique dès lors que l'on ne connaît pas l'ensemble du catalogue des espèces. Cependant, un travail important de bio-indication est réalisé actuellement pour mettre au point un outil d'estimation de cette équivalence. Toutefois, en matière d'écologie, l'oubli d'un paramètre peut avoir des effets secondaires terribles. On travaille beaucoup sur des indicateurs d'équivalence et sur des indicateurs de succès de la restauration.

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