Intervention de Sébastien Moncorps

Commission d'enquête Atteintes à la biodiversité — Réunion du 22 décembre 2016 à 14h35
Audition des représentants de la fondation nicolas hulot pour la nature et l'homme fnh humanité et biodiversité la ligue pour la protection des oiseaux lpo world wildlife fund wwf union internationale pour la conservation de la nature uicn et france nature environnement fne

Sébastien Moncorps, directeur du comité français de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) :

Le comité français de l'UICN a mobilisé son réseau, qui regroupe à la fois des représentants du Gouvernement, d'établissements publics, d'organisations non gouvernementales (ONG), ainsi que différents experts scientifiques, pour réaliser une étude en 2011 sur la compensation écologique. Cette étude présente neuf recommandations pour améliorer l'application du principe de la compensation écologique.

Le comité français n'a pas regardé en détail les mesures compensatoires des différents projets sur lesquels va travailler la commission d'enquête. Nous avions uniquement émis une recommandation d'alerte au moment où les mesures compensatoires du projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes étaient discutées. Il y avait eu à cette époque une importante controverse scientifique, relayée notamment au sein du CNPN, sur le calcul des mesures compensatoires.

Comme nous avons été particulièrement actifs dans l'élaboration du projet de loi sur la biodiversité, les principales recommandations ne vous sont pas inconnues. On les retrouve également dans la politique mondiale que l'UICN a adoptée sur les compensations relatives à la biodiversité lors de son dernier congrès mondial à Hawaï, en septembre 2016.

L'UICN a aussi beaucoup travaillé au niveau international, au sein du Business and biodiversity offsets program, qui a beaucoup contribué à la doctrine sur la compensation écologique.

La première recommandation s'intitule « Poser des limites au principe de la compensation » : la compensation ne doit pas être un prétexte pour autoriser tous les projets ; au contraire, lorsque les enjeux écologiques sont particulièrement importants, avec des habitats et des espèces très rares et menacés, le projet doit être refusé. C'est ce qui a été inscrit dans la loi.

La deuxième recommandation est de respecter la hiérarchie du triptyque ERC et de ne pas passer directement à la compensation. Cela veut dire que les maîtres d'ouvrage doivent présenter des scénarios alternatifs démontrant que toutes les possibilités ont été sérieusement étudiées pour arriver au scénario le moins impactant. Dans un deuxième temps, l'étude d'impact doit également préciser toutes les mesures de réduction des impacts qui ont été mises en oeuvre. Il s'agit par exemple de prévoir que certaines interventions ne se font pas lors des périodes de nidification d'espèces. Enfin, les mesures compensatoires ne doivent porter que sur les impacts résiduels. Il est clair qu'aujourd'hui les volets évitement et réduction des impacts ne sont pas suffisamment ambitieux ni détaillés. Par ailleurs, dans de nombreuses études d'impact, l'intégration des préoccupations de biodiversité devrait intervenir beaucoup plus en amont qu'actuellement.

La troisième recommandation porte sur l'additionnalité des mesures compensatoires. Cette recommandation a également été reprise dans la loi biodiversité. Les mesures compensatoires doivent apporter un plus. Le projet ne se réalise que grâce au financement de ces mesures, ce qui veut dire que l'on apporte des résultats nouveaux en matière de biodiversité, y compris sur un site qui n'est pas forcément très dégradé. J'ajoute que les mesures compensatoires ne doivent pas se substituer à des politiques ou des mesures déjà existantes. Les moyens déjà développés pour la gestion environnementale d'un site ne doivent pas être retirés au motif que des mesures compensatoires viennent d'être mises en place. Il s'agit d'apporter un plus.

La quatrième recommandation a pour objet le respect des spécificités écologiques des sites impactés et la prise en compte du contexte local. On revient sur les questions d'équivalence écologique, qu'il faut toujours essayer de traiter au mieux. La loi de 2016 prévoit la mise en place d'une compensation en fonction de l'espèce ou du type d'habitat que l'on dégrade. Nous sommes favorables à ce que les mesures compensatoires soient mises en place à proximité du site, et non pas dans des lieux très éloignés. Il faut garder cette intégration territoriale de la prise en compte de la biodiversité. Je pousse la réflexion jusqu'au bout en caricaturant un peu : on ne peut pas avoir des zones où l'on sacrifie totalement la biodiversité au prétexte que l'on accumule des mesures compensatoires dans d'autres.

La cinquième recommandation consiste à d'améliorer la prise en compte dans les mesures compensatoires de la biodiversité ordinaire, de la continuité écologique et des services éco-systémiques. La compensation écologique a un impact global sur le fonctionnement des milieux naturels. Aujourd'hui, la compensation écologique est beaucoup vue sous l'angle de la dérogation concernant les espèces protégées. Or, si d'un point de vue méthodologique, il est encore difficile d'évaluer et de quantifier les services écologiques, il importe de bien appréhender l'impact des projets et des mesures de compensation sur le fonctionnement global des milieux naturels.

Cette évolution aura d'ailleurs des vertus en termes de communication et de sensibilisation auprès du grand public et des aménageurs. Il s'agit d'éviter les discours du type : « Le pique-prune a bloqué l'autoroute ». De même, avec cette pédagogie, les aménageurs de l'A65 auraient compris que l'on attribue 1 362 hectares de mesures compensatoires pour une espèce de papillons. Il faut expliquer davantage aux aménageurs l'impact global des projets d'infrastructures sur les milieux naturels : par exemple, une perte de zone humide entraîne une modification hydrologique, une perte de service d'épuration des eaux, de stockage du carbone ou encore de régulation globale du climat.

Notre sixième recommandation est d'imposer la transparence dans la mise en place et le suivi des mesures compensatoires. Les informations ne sont pas facilement accessibles. De ce point de vue, l'obligation formulée par la loi de 2016 pour le maître d'ouvrage de déclarer la localisation de ses mesures compensatoires est positive, tout comme celle de faire remonter le résultat des mesures en place.

Notre septième recommandation est d'atteindre au minimum un résultat de non perte nette et de tendre vers un gain de biodiversité. La loi relative à la biodiversité apporte une clarification très nette en la matière puisque l'objectif est désormais imposé et identifié.

Notre huitième recommandation est de créer des outils pour améliorer la mise en oeuvre des mesures compensatoires, leur suivi et leur évaluation. Nous nous félicitons que le ministère de l'environnement ait mis en place des lignes directrices nationales sur l'application de la séquence ERC. Il faudrait compléter ces lignes directrices par des guides opérationnels ainsi que par un partage des bonnes pratiques et des expériences. Nous soutenons la création d'un observatoire de la compensation, qui pourrait être un centre de ressources de l'AFB.

Notre neuvième recommandation est l'approfondissement des réflexions sur les spécificités des milieux marins et ultra-marins, qui accueillent beaucoup d'espèces endémiques. Il s'agit d'habitats très sensibles et très menacés, impossibles à reproduire.

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