Intervention de Ladislas Poniatowski

Commission des affaires économiques — Réunion du 11 janvier 2017 à 9h30
Projet de loi ratifiant les ordonnances n° 2016-1019 du 27 juillet 2016 relative à l'autoconsommation d'électricité et n° 2016-1059 du 3 août 2016 relative à la production d'électricité à partir d'énergies renouvelables et visant à adapter certaines dispositions relatives aux réseaux d'électricité et de gaz et aux énergies renouvelables — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Ladislas PoniatowskiLadislas Poniatowski, rapporteur :

L'article 2 du projet de loi qui a fait l'objet, à juste titre, de nombreux débats, a trait aux garanties d'origine associées à la production d'électricité renouvelable. Un mot, tout d'abord, sur ces fameuses garanties d'origine et sur le contexte : lorsqu'un fournisseur propose une offre d'électricité verte, il doit pouvoir justifier auprès de ses clients du caractère renouvelable de l'électricité fournie en acquérant les garanties d'origine correspondantes, c'est à-dire un document électronique attestant leur origine. En pratique, aucune garantie d'origine liée à de la production subventionnée n'est aujourd'hui vendue en France. Les seules garanties valorisées sont donc issues de productions non subventionnées, hydrauliques pour la quasi-totalité, et s'échangent par le biais de contrats de gré à gré, en moyenne entre 0,1 et 0,3 euro par MWh. En 2015, 25 TWh de garanties ont été émises en France - soit environ un quart de la production d'électricité renouvelable - mais les trois quarts ont été exportées, l'offre excédant largement la demande.

Le Gouvernement propose désormais un système d'enchères organisé par et au bénéfice de l'État, ce qui présente l'avantage d'assurer la traçabilité de l'électricité verte soutenue tout en dégageant des recettes qui viendront en déduction des subventions versées aux énergies renouvelables.

Deux dispositions importantes sont aussi prévues : d'une part, un prix de réserve sera fixé pour chaque enchère, ce qui évitera de déstabiliser le marché actuel des garanties ; d'autre part, seules les installations de plus de 100 kW seront tenues de participer au système, ce qui évitera d'augmenter inutilement les coûts de gestion - sur les 367 000 installations subventionnées, 360 000 sont inférieures à 100 kW.

Au total, la solution proposée me semble être un bon compromis, préservant les objectifs initiaux tout en assurant la traçabilité de l'électricité verte dans un système relativement simple. J'y suis donc favorable.

L'article 3 traite d'un autre sujet important : il propose de rétablir la réfaction tarifaire, c'est-à-dire le financement par le TURPE d'une partie des coûts de raccordement des installations de production d'électricité renouvelable. Pour mémoire, c'est notre commission qui avait supprimé cette réduction fin 2010, dans la loi NOME, dans un contexte où nous craignions que l'emballement des raccordements ne pèse excessivement sur la trésorerie d'Enedis - ERDF à l'époque - et ne l'empêche de réaliser d'autres investissements. Nous avions alors été suivis par le Gouvernement ainsi que par les députés.

Depuis, le Gouvernement a constaté que le coût de raccordement pouvait être un obstacle à la réalisation de certains projets, en particulier lorsque ceux-ci sont très éloignés du réseau. En l'espèce, sont visés, pour l'essentiel, des installations de puissance modeste mais dont l'emprise au sol est importante, le cas le plus représentatif étant celui des panneaux solaires installés sur des hangars agricoles qui ne peuvent, par définition, être déplacés pour réduire les coûts d'extension et de renforcement du réseau indispensables pour évacuer l'électricité produite.

Je dois vous dire que j'ai d'abord été réservé sur l'opportunité d'un tel rétablissement de la réfaction au bénéfice des producteurs, au taux plafonné de 50 % dans le texte qui nous est soumis. En premier lieu, l''étude d'impact ne fournissait aucune donnée chiffrée sur les effets de la mesure, se contentant d'énoncer cette lapalissade que je ne résiste pas au plaisir de vous lire : « la mesure a pour effet de diminuer significativement le coût de raccordement pour les producteurs (...) [et] induira pour les consommateurs un renchérissement du tarif (...) et donc de la facture d'électricité » ; en clair, la mesure rapportera à ceux qui en bénéficieront et coûtera à ceux qui la paieront...

Depuis, le Gouvernement nous a heureusement apporté quelques précisions : sur la période 2017-2020, la prise en charge atteindrait, au taux maximal, 110 millions d'euros - c'est raisonnable.

En second lieu, la mesure pouvait présenter plusieurs inconvénients : un risque de surrémunération de certains producteurs ; une différence de traitement entre les installations raccordées au réseau de transport, qui n'en bénéficieront pas, et celles raccordées aux réseaux de distribution ; une autre différence de traitement, cette fois-ci entre l'électricité et le gaz renouvelable - mais nos collègues députés ont fort opportunément étendu le principe de la réfaction au biogaz, ce qui résout la question ; enfin, le risque, déjà identifié en 2010, que la réfaction ne pèse sur la trésorerie des gestionnaires de réseaux, en particulier sur les entreprises locales de distribution (ELD) les plus petites. Pour toutes ces raisons, j'ai envisagé plusieurs hypothèses mais les ai tour à tour écartées : la suppression pure et simple aurait laissé entier le problème des petites installations éloignées du réseau, en particulier dans les zones rurales très peu denses, tandis que la révision conjointe à la baisse des tarifs aurait impliqué de revoir tous les tarifs et de les renotifier à la Commission européenne, ce qui aurait créé une nouvelle période d'incertitude. Aussi ne vous proposerai-je que deux amendements pour mieux encadrer la mesure : le premier plafonne le taux maximal de réfaction à 40 %, au lieu de 50 %, afin non seulement de réduire le coût pour les autres utilisateurs sans léser les bénéficiaires actuels mais aussi de réduire la charge de trésorerie pour les ELD ; le second propose de renforcer la compétence de la CRE pour proposer les taux de réfaction, par cohérence avec les missions qu'elle exerce déjà en matière de TURPE.

Lors de son examen à l'Assemblée nationale, nos collègues députés ont par ailleurs introduit dans cet article 3 un régime indemnitaire spécifique en cas de retard de raccordement des énergies renouvelables en mer. Ce nouveau régime prévoit en particulier un plafonnement par installation de l'indemnité due au producteur ainsi qu'une prise en charge par le TURPE, et donc par la collectivité, en tout ou partie, de cette indemnisation, le reste relevant du gestionnaire du réseau de transport selon que sa responsabilité est engagée ou non et dans la limite d'un plafond.

Un tel régime, dérogatoire au droit commun et qui, s'il devait être activé, pourrait engager plusieurs centaines de millions d'euros, s'avère cependant nécessaire pour la réalisation des parcs d'éoliennes en mer déjà attribués ou à venir. En effet, les consortiums ayant remporté les appels d'offres ont aujourd'hui les plus grandes difficultés à trouver des financements, les banques jugeant les risques de raccordement insuffisamment couverts. Le raccordement en mer est très spécifique : un environnement hostile, peu de câbliers expérimentés disponibles et donc un risque important de retard que la faillite de l'un d'entre eux ferait courir... Tout ceci justifie un traitement particulier des risques. Enfin, RTE, qui n'a pas manqué de se faire entendre, n'a pas la surface financière suffisante pour assumer seul la totalité des aléas, en particulier s'ils résultaient de la défaillance de l'un de ses fournisseurs, ce qui justifie une socialisation partielle du risque.

Enfin, l'article 4 porte sur les opérations de conversion liées au changement de nature du gaz acheminé dans une partie des Hauts-de-France. En raison de l'arrêt progressif du gisement néerlandais qui alimentait cette zone en gaz à bas pouvoir calorifique, dit gaz de type B, il va falloir basculer une partie du réseau dans les années à venir pour accueillir un autre gaz, dit gaz de type H, qui dessert le reste de la France, en provenance de Norvège, de Russie, d'Algérie ou d'ailleurs. Au total, environ 10 % de la consommation française et 1,3 million de clients en distribution seront concernés.

Or, si nous avions déjà abordé la question dans la loi « Transition énergétique », il est apparu nécessaire de compléter le cadre législatif, notamment pour permettre aux gestionnaires de réseaux d'intervenir sur les installations intérieures de gaz afin de les contrôler et, le cas échéant, de les adapter ou de les régler. Le texte prévoit donc que ces gestionnaires, et les entreprises qu'ils missionneront, pourront accéder au domicile ou aux locaux industriels ou commerciaux des consommateurs concernés sous réserve de leur consentement et, en cas d'opposition, interrompre la fourniture de gaz. On ne prend pas de risque pour la sécurité.

Cette opération est importante puisque, sur la période 2016-2029, 650 millions d'euros devraient être engagés et couverts par les tarifs de réseaux, dont 400 millions pour les seules opérations sur les installations intérieures.

Il reste cependant deux sujets à traiter, l'un sur lequel je proposerai un amendement dès à présent, l'autre sur lequel nous pourrons revenir en séance - le Gouvernement en est informé.

Alors que ne sont aujourd'hui visés que les tuyaux, une installation de stockage, à Gournay-sur-Aronde, sera fortement touchée par ce changement de nature du gaz, or, rien n'est prévu sur ce point. Faute de pouvoir couvrir les charges correspondantes par les tarifs de réseaux, en raison de l'article 40 de la Constitution, je vous proposerai de mentionner le rôle des opérateurs de stockage dans le texte, en espérant que le Gouvernement complète ces dispositions.

Le second point concerne certaines chaudières à condensation antérieures à 1993 qui ne pourront être adaptées au nouveau gaz. Il faudra les changer, ce que des consommateurs aux revenus modestes pourraient ne pas être en mesure de faire. Là non plus, rien n'est prévu à ce stade. En réalité, une disposition existant dans la version initiale a été écartée par le Conseil d'État pour une raison de droit. Nous ne pouvons pas en prendre nous-même l'initiative sous peine d'irrecevabilité financière. Je vous proposerai donc, pour la séance, un amendement sous forme de demande de rapport - vous savez pourtant que j'y suis hostile - afin d'entendre les engagements du Gouvernement. L'une des difficultés consistera à éviter tout effet d'aubaine s'agissant d'équipements dont la durée de vie réduite aurait, quoiqu'il arrive, impliqué un remplacement à plus ou moins court terme.

Les parlementaires n'aiment pas les ordonnances, surtout lorsqu'ils se trouvent dans l'opposition. J'ai personnellement toujours été très favorable aux ordonnances. Il faut parfois, pour des raisons techniques, prendre des mesures rapidement. Pour des raisons politiques aussi, comme nous le verrons dans quelques mois... Et j'espère que ma position aura pour effet d'encourager nos collègues socialistes à voter les ordonnances que notre majorité prendra alors !

Nous, parlementaires, avons notre part de responsabilité dans le développement des ordonnances. Quand notre travail a pour conséquence de faire passer des projets de loi de 60 à 300 articles, nous récoltons en partie ce que nous semons. En outre, je rappelle que nous pouvons toujours en contrôler le contenu à l'occasion de leur ratification. En résumé, ces ordonnances sont bienvenues.

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