Intervention de Célia Belin

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 11 janvier 2017 à 10h05
Politique étrangère américaine de l'administration trump — Audition conjointe de Mme Célia Belin chercheuse au centre d'analyse de prévision et de stratégie du ministère des affaires étrangères et au centre thucydide paris 2 et de Mme Maya Kandel chercheuse associée à l'institut du monde anglophone de l'université sorbonne nouvelle paris 3 ancienne responsable du programme etats-unis de l'institut de recherche stratégique de l'ecole militaire

Célia Belin :

Je souhaitais revenir sur l'idée d'un affaiblissement des Etats-Unis qui aurait pour corollaire celui des démocraties ou des institutions libérales. Ces deux points me paraissent en fait très différents. En effet, on assiste à l'affaiblissement de l'ordre libéral international et du fonctionnement des démocraties, dans la mesure où se pose la question des interventions extérieures et celle de l'absence d'intérêt du président nouvellement élu à l'égard de la chose démocratique elle-même. Il est très peu probable que Donald Trump promeuve la démocratie à l'échelle planétaire. En revanche, je ne suis pas forcément d'accord sur le constat d'un affaiblissement des États-Unis car il est possible que la rationalisation de leur hégémonie leur soit très favorable à court terme. En faisant montre d'agressivité, en renégociant les différentes positions auxquelles on était habitué et en se débarrassant d'un réseau d'alliances au fonctionnement onéreux, il est possible d'engranger, à court terme, quelques bénéfices. Sans doute la vision impériale américaine devrait être confortée, mais, à court et moyen termes, il se pourrait que la politique de Donald Trump soit relativement favorable aux intérêts de l'Amérique. Le renforcement des sphères d'influence russes et chinoises, dans leur environnement régional, comme en Crimée ou en Mer de Chine, peut ainsi y contribuer. Un tel calcul est envisageable si, en compensation, les États-Unis parviennent à bien défendre leurs intérêts lors des différends commerciaux.

Le modèle de l'Union européenne et du multilatéralisme est nécessairement victime d'une telle évolution. Il ne devrait y avoir aucune promotion des droits de l'homme à l'échelle planétaire, ni du multilatéralisme et ce, alors que la présidence de Barack Obama a été marquée par de grands accords multilatéraux, que ce soit pour le climat ou le nucléaire iranien. Tout cela peut ainsi être fortement affaibli au profit d'un jeu de puissances dont l'Union européenne, en tant que puissance normative, devrait nécessairement pâtir.

L'Union européenne, dans une période post-Brexit et à la suite de l'élection de Donald Trump, a intérêt à demeurer unie. Le nouveau président américain ne considère que les nations. Il va nécessairement préférer le G7 à l'Assemblée générale de l'ONU et privilégier les relations interpersonnelles avec les dirigeants. Tout cela est défavorable globalement au fonctionnement de l'Union européenne. Ainsi, les Européens auront intérêt à avancer d'un front commun, ce qui est très difficile.

Pour le moment, la Grande-Bretagne a une attitude attentiste et demeure dans une zone d'incertitude. Elle aura besoin du soutien américain dans le cadre du Brexit et devrait soutenir la nouvelle présidence américaine, car ce pays ne saurait se priver de l'allié américain, quel que soit son dirigeant.

Les épisodes de Taiwan et d'Israël peuvent être interprétés de manière distincte. En effet, loin d'être considérés comme des erreurs d'un débutant en politique étrangère, ils peuvent également être mis au compte d'une stratégie spécifique et au service d'une position de négociation. Comme l'a suggéré l'ancien ambassadeur américain en Israël, Martin Indyk, Donald Trump pourrait utiliser le déplacement de l'ambassade américaine à Jérusalem pour inciter Israël à revenir à la table des négociations. Une telle démarche serait ainsi au service de ce que Donald Trump désigne comme « The Ultimate deal », c'est à dire un véritable coup d'éclat diplomatique. D'ailleurs, le nouveau président, qui recherche la célébrité et le brio, va rechercher de tels coups d'éclats dans des situations diplomatiques délicates ; la France et l'Union européenne pouvant coopérer avec lui pour la réussite de telles démarches.

Enfin, Donald Trump parle très peu de la France. À mon avis, il ne semble éprouver que du mépris pour l'Union européenne, mais son entourage, comme Mickaël Flynn ou Mike Pompeo, qui sera le prochain directeur de la CIA, a salué à plusieurs reprises la qualité de la lutte anti-terroriste conduite par la France. Les cercles anti-terroristes, qui gravitent autour de Donald Trump, relaient ce genre de louange, alors que ce dernier avait exprimé des mots très durs à la suite de l'attaque du Bataclan de novembre 2015. À l'instar de l'Afrique ou d'autres sujets, Donald Trump ne parle pas beaucoup de la France.

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