Intervention de Jean Bizet

Réunion du 12 janvier 2017 à 15h00
« faut-il réformer le fonctionnement de la zone euro ? » — Débat organisé à la demande du groupe du rdse

Photo de Jean BizetJean Bizet :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, permettez-moi d’abord de me féliciter de la tenue de ce débat sur la zone euro, qui intervient au moment où le renforcement de l’Union économique et monétaire semble malheureusement passer au second plan des priorités politiques de l’Union européenne, Brexit et dossier de l’immigration aidant. Monsieur Collombat, je vous remercie de l’avoir inscrit à l’ordre du jour.

À la question qui a été posée, ma réponse sera la même que celle de mon collègue André Gattolin : oui, il faut réformer le fonctionnement de la zone euro. Toutefois, mes chers collègues, bien qu’elle soit trop lente à mon goût, il faut reconnaître que cette réforme est en cours.

Je vous rappelle que la nécessité de conclure, à l’été 2015, un troisième plan d’aide pour la Grèce a en effet démontré que l’Union économique et monétaire demeurait fragile et que ses défauts de conception n’avaient pas été entièrement effacés. Certes, les réformes impulsées entre 2010 et 2012, conjuguées à l’action de la BCE dans les moments décisifs, ont permis de préserver l’intégrité de la zone euro.

Je pense notamment au Mécanisme européen de stabilité et à l’Union bancaire. Je pense également au renforcement du pacte de stabilité et de croissance en matière de surveillance budgétaire et macroéconomique, ou encore à la coordination accrue des politiques dans le cadre du semestre européen et du pacte pour l’euro plus.

Au plus fort de la crise, les Européens ont su apporter des réponses alliant solidarité et responsabilité pour renforcer la cohérence, la crédibilité et la résilience de la zone euro. Mais depuis, rien ou presque n’a été entrepris.

Or, s’en tenir au statu quo actuel serait une faute, car si l’euro a été un acte économique fort et un acte politique fondamental, il demeure inachevé. En effet, les conséquences de la monnaie unique n’ont pas été tirées, ou du moins n’ont-elles pas été assumées. En clair, s’il y a bien une Union monétaire, les politiques budgétaires, économiques, fiscales et sociales sont restées largement indépendantes.

La convergence naturelle naïvement imaginée lors du lancement de l’euro n’a bien évidemment pas eu lieu. Pourtant, l’intégration de la zone euro est d’autant plus nécessaire que nos économies restent convalescentes. Ainsi, l’économie de la zone euro peine encore à retrouver son volume d’avant crise, le taux de chômage y reste particulièrement élevé et le taux d’investissement inférieur à son niveau de 2007. Surtout, le constat économique d’ensemble recouvre de très forts contrastes nationaux.

Sur ce point, je vous renvoie à l’audition réalisée hier par le groupe de suivi sur le retrait du Royaume-Uni et la refondation de l'Union européenne de Jean-Claude Trichet. Ce dernier a souligné les différentiels d’investissement privé et de dépense publique entre les deux rives du Rhin. Alors que les taux d’emprunt remontent, ces différentiels sont extrêmement dangereux.

Pour remédier à cette situation, certains préconisent un budget de la zone euro suffisamment important pour mettre sur pied une union de transferts permanents ou assurer une fonction de stabilisation macroéconomique puissante. Si l’idée ne manque pas de fondement théorique, elle semble toutefois politiquement irréaliste en l’état actuel des choses.

C’est dans un premier temps en nous appuyant sur les réformes récentes telles que le Mécanisme de surveillance unique, le Mécanisme de résolution unique, le Mécanisme européen de stabilité auquel a fait allusion Richard Yung, et en corrigeant les faiblesses de la gouvernance que nous assurerons le rapprochement des économies et que nous relèverons les perspectives de croissance.

En effet, malgré les avancées réalisées ces dernières années, le cadre de gouvernance de l’Union économique et monétaire montre toujours de profondes lacunes. En particulier, le système de surveillance multilatérale, même s’il a été renforcé, n’a pas acquis la capacité décisionnelle suffisante pour inciter véritablement les États membres à suivre ses recommandations et à s’engager sur la voie de la responsabilité budgétaire, des réformes et de la convergence.

Sans procéder à une uniformisation complète des politiques des États membres, cette convergence pourrait s’appuyer sur un rapprochement du fonctionnement global des systèmes nationaux et sur un dispositif de « serpent fiscal » encadrant autour d’une moyenne certains taux d’imposition. Toutefois, les difficultés rencontrées par la taxe sur les transactions financières ou par l’assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés, dite ACCIS, démontrent s’il en était besoin la sensibilité de ces sujets.

Comme l’a également souligné Richard Yung, une collaboration étroite avec l’Allemagne serait dès lors un excellent point de départ. Un calendrier franco-allemand d’harmonisation fiscale et sociale pourrait ainsi servir de base à une série d’alignements volontaires auxquels les autres États de la zone euro devraient pouvoir s’associer.

Monsieur le secrétaire d'État, nous sommes à quelques semaines du soixantième anniversaire du Traité de Rome. C’est un message que nous pourrions adresser à nos partenaires, notamment allemands, depuis Rome.

Quant au pilotage quotidien de la zone euro, il conviendrait de regrouper les postes de président de l’Eurogroupe et de commissaire en charge de l’euro et des affaires économiques et financières. Il s’agirait d’un véritable poste de ministre des finances européennes. Ce dernier serait notamment en charge de la coordination des politiques économiques et de la surveillance budgétaire, et pourrait mener un dialogue permanent avec la BCE sur les effets de la politique monétaire en matière de croissance et d’emploi.

Par ailleurs, l’exigence démocratique impose que cette nouvelle gouvernance prévoie l’association étroite et systématique des Parlements nationaux pour l’élaboration et le contrôle les politiques mises en œuvre dans le cadre de l’Union économique et monétaire. Corrélativement, la création d’un véritable Trésor européen s’avérerait nécessaire.

Mes chers collègues, je ne suis pas naïf. Je suis conscient que ces évolutions sont délicates à mettre en œuvre pour l’heure. Elles m’apparaissent cependant fondamentales pour l’avenir de la zone euro et, par voie de conséquence, pour celui de l’Europe tout entière.

Je suis raisonnablement optimiste, car, depuis la chute de Lehman Brothers, la zone euro a montré sa maturité et son sérieux à son rythme – nous aurions souhaité qu’il fût beaucoup plus rapide.

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