Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les Français l’ont rappelé au travers de divers sondages récents, ils restent attachés à l’hôpital public, mais partagent avec les personnels hospitaliers le sentiment de fragilité de nos hôpitaux.
Fragilisées par un hypercentralisme de la gestion de la santé, les communautés hospitalières subissent, sur le terrain, des politiques publiques descendantes et bureaucratiques, sans véritable marge de manœuvre et d’adaptabilité régionale pour les acteurs de santé.
La création des ARS, voulue par les hospitaliers, déçoit par leur déploiement effectif. Au lieu de remplir le rôle de planificateur et de régulateur de l’offre de soins, l’État les incite à intervenir dans un rôle de tutelle bureaucratique, dans trop de compartiments de la gestion hospitalière.
La double tutelle nationale, du ministère des affaires sociales et de la santé et de la CNAM, est une source de complexification sur le terrain, et l’assurance maladie a tendance à vouloir s’immiscer toujours plus dans la gestion hospitalière.
Les agences régionales de santé demandent des plans de suppression d’effectifs, sans pour autant s’engager suffisamment dans des réformes courageuses d’évolution de l’organisation de l’offre de soins. Or rien n’est pire qu’une politique alourdissant les charges des établissements, souvent pour acheter la paix sociale, au détriment des réformes structurelles, le tout en prônant la poursuite des efforts d’efficience.
Il est indispensable que les réorganisations structurelles ne soient pas imposées, mais pensées par les équipes médico-soignantes sur le terrain, dans le respect du dialogue social et dans un esprit de coconstruction. Plusieurs mesures sont, à mon sens, prioritaires.
Il faut, premièrement, rendre attractifs les métiers hospitaliers. L’hôpital doit se donner les moyens d’être attrayant. Cela signifie améliorer les conditions de travail des jeunes médecins, donner de la visibilité sur leur carrière, avec la création de véritables parcours professionnels évolutifs, et revaloriser leur rémunération en début de carrière.
Le dialogue social mené aujourd’hui dans les établissements souffre, à la fois, d’un excès de formalisme et d’un manque d’autonomie qui ne permet pas d’adapter des décisions prises au niveau national à l’échelle locale ou d’innover.
Il convient d’ouvrir de nouveaux espaces d’autonomie pour le dialogue social au niveau territorial et au niveau des établissements, afin d’aborder les thématiques prioritaires pour l’avenir de métiers en évolution significative dans le cadre de la nouvelle territorialité et de la révolution numérique. Les prises en charge spécifiques auxquelles répondent seuls les hôpitaux publics doivent être reconnues et justement financées : urgences, personnes en perte d’autonomie ou de handicap, santé mentale, précarité.
Il faut, deuxièmement, faire évoluer le mode de financement de l’hôpital. Dans le cadre du rapport d’information de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, la MECSS, voté, je le rappelle, à l’unanimité, j’avais formulé, avec Jacky Le Menn, des propositions en ce sens.
La T2A, avec ses imperfections, a permis une structuration de la politique hospitalière. Cependant, il faut trouver un autre mode de régulation que celle du prix/volume, qui conduit à la baisse des tarifs et à la déconnexion des tarifs et des coûts, rendant le modèle économique non viable à terme.
Le modèle actuel de T2A est un frein aux coopérations et aux mutualisations de services médicaux et médico-techniques. Il convient de mettre en œuvre un choc de simplification et de soutien aux expérimentations en faveur des hôpitaux et des établissements médico-sociaux publics.
L’expérimentation d’un modèle de financement au parcours devrait permettre de tester comment, sur un territoire et sur un périmètre de soins modeste, il est possible d’inventer un financement alternatif.
Le décloisonnement est également un enjeu de réussite pour la réalisation de parcours de soins – décloisonnement du sanitaire, du médico-social et de la médecine de ville. Leur réussite sur les territoires ne peut reposer que sur la volonté des acteurs de soins dans des coopérations partagées et non imposées.
Il faut, troisièmement, remettre l’investissement au cœur des enjeux. Depuis plusieurs années, celui-ci se réduit comme peau de chagrin, alors que le parc immobilier est vétuste. Les besoins de mise aux normes de sécurité et de réhabilitation, en région PACA par exemple, sont estimés par l’ARS à 800 millions d’euros, alors que l’enveloppe régionale annuelle, hors opérations nationales, est de 10 millions.
Il en va de même pour l’investissement médical. À force de repousser les renouvellements d’équipements médicaux, à l’exception des renouvellements d’équipement lourds, le parc de biens médicaux est vieillissant.
Ce fort ralentissement de l’investissement hospitalier, y compris en CHRU, est préjudiciable au développement technologique de la médecine française et prive les patients des techniques de pointe.
À titre personnel, je suis favorable à la conservation des équipements de biens médicaux dans le giron de l’assurance maladie. Toutefois, pour ce qui est de l’investissement immobilier, je suis favorable – je le dis depuis longtemps – à la création d’un établissement financier dédié à l’investissement immobilier national.
Les établissements qui rencontrent les plus grandes difficultés face aux contraintes d’investissement sont les CHU. De manière plus large, il convient d’avoir une réflexion sur la pertinence du modèle hospitalo-universitaire français.
Près de soixante ans se sont écoulés depuis les ordonnances Debré, qui ont forgé la spécificité du modèle hospitalo-universitaire français et ses succès au niveau international. Les changements sociétaux, les progrès médicaux, scientifiques et technologiques, l’essor du numérique, les cadres statutaires et financiers recèlent autant de défis que d’opportunités pour les CHU.
Il faut agir pour promouvoir les CHU sur la recherche, l’innovation et l’enseignement, cette spécificité française contribue au rayonnement de notre médecine.
Toutefois, il convient aussi de repenser les enjeux, notamment territoriaux. J’ai demandé au président Migaud, au nom de la commission des affaires sociales, que la Cour des comptes produise un rapport sur les missions de soins des CHU, entre activités de recours et activités de référence. La refonte territoriale de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, ou loi NOTRe, et la création des groupements hospitaliers de territoire, les GHT, mettent la notion de territorialité au centre de la stratégie des CHRU.
La territorialité des GHT met au centre de la stratégie des CHU l’organisation des missions entre activités de recours et activités de référence, en véritable complémentarité avec les autres CH du territoire et au sein des CHRU. Pour ne prendre que l’exemple des maternités, les CHRU disposent d’une maternité de niveau 3, mais, bien souvent, ces lits hyperspécialisés sont occupés par des parturientes relevant d’une maternité de niveau 1.
Le territoire est au centre de la réorganisation de l’offre de soins. Nous étions favorables à la définition des projets médicaux partagés comme fondement des périmètres des GHT, seule garantie de faire prévaloir une stratégie médicale. Pourtant, les GHT sont constitués sur les territoires et s’organisent autour des activités de médecine, chirurgie, obstétrique, dites « MCO ».
Il ne faut pas oublier deux pans essentiels de l’offre de soins : la psychiatrie et le secteur médico-social.
Les enjeux de la santé mentale sont importants. Outre la participation de la psychiatrie aux GHT, la constitution des territoires de santé mentale et la création des communautés psychiatriques de territoire, les CPT, constituent le socle des liens avec les citoyens et les collectivités locales.
Le renforcement des liens ville-hôpital, psychiatrie-disciplines somatiques et sanitaire-médico-social, dans le respect de la sectorisation, constitue autant de défis à relever. La révision du mode de tarification de la psychiatrie, souvent repoussée, serait un gage de modernisation du secteur.
Un autre besoin de décloisonnement, unanimement ressenti, est celui du sanitaire et du médico-social. Il est nécessaire de créer de véritable parcours de soins entre le médico-social gériatrique et handicapés et le sanitaire, parcours d’autant plus indispensable avec le développement du maintien à domicile.
De nombreuses initiatives intéressantes se sont, par ailleurs, développées dans le champ médico-social : téléconsultations, équipe mobile de gériatrie, de gérontopsychiatrie ou de soins palliatifs intervenant tant en public qu’en privé, consultations avancées et, bientôt, infirmières de nuit partagées entre plusieurs EPHAD. L’objectif central est d’éviter les hospitalisations inutiles de personnes âgées ou handicapées.
Pour conclure, notre système de santé, au sein duquel l’hôpital public joue un rôle majeur, a été jusqu’à présent incapable de s’adapter aux deux grandes transitions auxquelles font face l’ensemble des sociétés occidentales : la transition démographique et la transition épidémiologique.
Parallèlement, notre système de santé est toujours incapable d’apporter des réponses réelles à des problèmes qui ne sont pourtant pas nouveaux, notamment celui des inégalités de santé : inégalités territoriales, accessibilité aux soins, reste à charge…
Face à ces transitions et malgré les très nombreuses initiatives législatives, le système est resté fondamentalement le même : l’hôpital d’un côté, la ville de l’autre, le médico-social à part, tout comme le secteur associatif et les patients qui peinent à trouver leur repère entre tous les acteurs.
En retour, l’accumulation de réglementations tue complètement la capacité du système à générer de l’innovation, et, surtout, à généraliser les bonnes pratiques.
Il faut réintroduire dans notre système de santé de la déconcentration, de la cohérence, du pragmatisme, de l’autonomie, de l’expérimentation sur les territoires et laisser de l’initiative aux acteurs de terrain. Pour préserver dans l’avenir l’excellence de notre système de santé, les établissements hospitaliers doivent réussir la révolution de l’émergence de la territorialité et de la responsabilité populationnelle en santé.