Merci de m'accueillir une nouvelle fois sur un sujet fortement d'actualité, où les négociations évoluent heure par heure : l'accord de Bâle III, négocié depuis la crise financière de 2007-2008, n'est pas encore finalisé. Votre résolution sur le crédit immobilier est arrivée à point nommé. Je suis accompagné de Frédéric Hervo, directeur des affaires internationales au secrétariat général de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).
La réforme des standards internationaux relatifs aux normes prudentielles bancaires, dite Bâle III, entamée après le déclenchement de la crise financière, est en voie de finalisation. Nous sommes entrés dans une période d'intenses et ultimes discussions avec nos partenaires siégeant au comité de Bâle afin de stabiliser un compromis final pouvant être approuvé lors d'une réunion des Gouverneurs et chefs d'autorités de supervision qui pourrait se tenir début janvier 2017. Cette réunion n'est cependant pas confirmée à ce jour. Je rappellerai les progrès déjà acquis de la réglementation financière, avant de présenter les éléments de la réforme en cours et les points de négociation toujours en discussion et de répondre à vos questions.
Une réforme renforçant la surveillance et la solidité financière du système bancaire après la crise est utile. Personne ne peut contester sérieusement, y compris parmi l'industrie bancaire, qu'après la crise financière, il fallait renforcer significativement la réglementation pour diminuer les risques. La crise financière a eu de lourds coûts économiques, sociaux - à travers le drame du chômage - et budgétaires ; ses conséquences politiques dans nos démocraties se voient encore aujourd'hui. Nous devons tous souhaiter une meilleure prévention des risques futurs et agir dans cette direction : c'est un impératif collectif. Un travail remarquable a été accompli depuis 2009 sous l'impulsion du G20 et du Conseil de stabilité financière.
Le premier effort de régulation poursuivi par la réforme dite Bâle III a touché la quantité et la qualité des fonds propres devant être détenus par les banques pour couvrir leurs risques. C'est ainsi que les grands groupes bancaires français ont plus que doublé leurs « fonds propres durs » - essentiellement constitués de capital et de réserves - entre 2008 et 2015, qui sont passés de 132 milliards d'euros à 275 milliards d'euros au total. Cette amélioration très sensible des ratios de solvabilité s'est faite pour l'essentiel par l'augmentation du capital disponible - au numérateur - et non par une diminution des actifs moyens pondérés - le dénominateur - c'est-à-dire essentiellement des financements à l'économie.
Au-delà des règles de solvabilité, Bâle III a aussi élargi la réglementation bancaire internationale pour prendre en compte un ensemble plus large de risques, dont une nouveauté, les risques de liquidité, par des ratios comme le Liquidity Coverage Ratio (LCR).
Pour autant, la réforme Bâle III, engagée depuis 2009, n'avait pas encore mis à jour les mesures des risques existant avant la crise, et qui servent à calculer les exigences de fonds propres au titre des ratios de solvabilité. C'est l'objet de la finalisation de l'agenda post-crise et des négociations actuelles, qui complèteront le dispositif de 2010-2011.
Où en sommes-nous aujourd'hui ? Certaines propositions du comité de Bâle étaient inacceptables ; désormais, des progrès sensibles ont été enregistrés. Ces discussions s'inscrivent dans l'objectif affiché par le comité de Bâle de réduire la variabilité des actifs moyens pondérés par les risques (AMP ou RWA) d'une banque à l'autre et par conséquent de davantage encadrer l'utilisation de modèles internes de risques. Nous avons accepté de débattre de la sensibilité, de la comparabilité et de la simplicité de la mesure du risque. C'est aussi l'avis du groupe des gouverneurs et chefs de la supervision, validé par le G20 en début d'année, appelant à ce que la finalisation des reformes « n'aboutisse pas à un accroissement significatif des exigences globales de fonds propres actuelles ». Il s'agit d'augmenter la comparabilité des résultats des modèles et d'améliorer la crédibilité de leur usage et non d'augmenter significativement les fonds propres. C'est un point essentiel de la négociation. Par ailleurs, il n'y a pas lieu de pénaliser les banques françaises, qui n'ont pas failli durant la crise et qui sont aujourd'hui dans une situation saine et robuste.
Très clairement, les propositions initiales du premier semestre n'étaient pas acceptables, comme la suppression des modèles internes sur des portefeuilles à risque faible ou la multiplication par plus de deux de l'exigence au titre du risque opérationnel, sur des incidents d'exploitation ou des pertes uniques. J'avais eu l'occasion de le dire nettement, comme vous et comme d'autres. Beaucoup a été fait depuis l'été pour modifier ces propositions techniques, d'abord de façon incrémentale jusqu'en novembre puis lors de la dernière réunion décisive du comité de Bâle fin novembre à Santiago, sans cependant conduire à un accord.
Au regard des derniers développements, je suis davantage confiant sur la possibilité de parvenir à un accord. Des avancées très significatives ont été obtenues grâce à une mobilisation sans faille des négociateurs français, qui ont pu s'appuyer sur la qualité des équipes de l'ACPR et de la Banque de France, et à une forte cohésion de la zone euro et en particulier aux positions conjointes franco-allemandes. Cela alors même que les marges de manoeuvre semblaient limitées tant une majorité de membres, et pas seulement les Américains, se montraient satisfaits de l'accord.
Nous avons pour objectif de préserver au maximum la sensibilité des ratios prudentiels aux risques, qu'une référence excessive à des mesures standardisées pourrait altérer. C'est un point sémantique important : il s'agit de finaliser Bâle III, pas de conclure un nouveau Bâle IV.
Parmi les différents sujets traités, nous avons aussi, comme vous l'aviez demandé dans votre résolution du 5 avril 2016, attaché une attention toute particulière à la question du financement de l'immobilier, afin de préserver les spécificités françaises. Sur les différents points que vous aviez soulevés, je puis désormais vous indiquer avec confiance que des avancées importantes ont été obtenues par les négociateurs de la Banque de France et de l'ACPR. Tout d'abord, le comité de Bâle ne cherchera pas à modifier les pratiques nationales vertueuses ou à remettre en cause un système de financement reposant sur l'analyse de la solvabilité des emprunteurs - le point 20 de la proposition de résolution sénatoriale - ainsi que sur le cautionnement. À cet égard, nous avons obtenu, par le comité de Bâle, l'assimilation des crédits cautionnés aux crédits hypothécaires, largement utilisés en France, aux fins d'une pondération en risque préférentielle - c'est le point 21 de votre résolution. Cela constitue une avancée majeure qui devrait réduire les exigences sur ces portefeuilles.
Sur le calcul du montant de l'emprunt en fonction de la valeur du bien financé, qui serait, comme cela était justement souligné dans le point 14 de la résolution, préjudiciable aux primo-accédants, il faut noter le caractère dynamique de l'exigence, qui baisse donc par définition avec le temps, et l'impact faible au niveau agrégé - comme le signale le point 22, puisque cette sensibilité accrue au risque est constatée également à l'approche de la maturité de la créance. L'exigence est donc plus faible qu'actuellement pour le stock.
Les ultimes discussions portent encore sur certains aspects techniques mais importants tels que le traitement réservé aux financements spécialisés, comme le financement d'avions ou d'infrastructures, qui sont essentiels pour le financement de l'économie, ou les derniers ajustements de la mesure du risque opérationnel.
La question essentielle, qui reste néanmoins à trancher et qui conditionne un compromis équilibré, est celle de l'introduction d'une exigence plancher, l'output floor, entre les résultats des modèles et les exigences de la méthode standard. Une très large majorité des membres du comité de Bâle souhaite un output floor de ce type. Mais, calibré trop haut, ce plancher nierait à la fois les efforts de maintien d'une sensibilité au risque via la préservation des modèles, et l'injonction du G20 à ne pas produire d'impact significatif.
Il reste des points de négociation difficiles mais nous travaillons à un compromis satisfaisant. La finalisation d'un accord de Bâle III acceptable est dans l'intérêt de tous. La crise dure depuis dix ans, il est temps d'achever ce cycle réglementaire et de stabiliser le cadre prudentiel. L'incertitude réglementaire pèse sur la stratégie bancaire, le développement de certains métiers de financement et la capitalisation sur les marchés des banques françaises et européennes.
Nous devons respecter trois principes : ne pas pénaliser le financement de l'économie française, et donc ne pas affecter les crédits immobiliers, les crédits aux PME et les financements spécialisés ; ne pas imposer d'exigences excessives aux banques nécessitant une augmentation de capital sur le marché - l'accord doit être mis en oeuvre par mise en réserve des résultats générés avec un taux raisonnable de distribution des dividendes ; et rester vigilant sur les conditions d'adoption et de mise en oeuvre de Bâle III pour conserver un cadre équitable et harmonisé entre l'Europe et les États-Unis. Bâle III ne fait que des recommandations, sans portée juridique, devant être transposées dans les lois communautaires et françaises. Les transpositions européennes et américaines devront être parallèles ; nous resterons vigilants.