Je rejoins le sénateur Yung pour reconnaître que « la rumeur court la ville ! » Nous devons y être attentifs, parce que les perceptions comptent. C'est aussi pour cela que je vous remercie de m'avoir invité ce matin. Il y a des incertitudes, que je n'ai pas cachées, mais il y a, en même temps, des progrès.
Les discussions de Bâle III et les récentes propositions de la Commission européenne ne sont pas liées stricto sensu, c'est-à-dire que les propositions de la Commission européenne, comme vous l'avez dit, portent sur les mécanismes dits de résolution et non pas sur les fonds propres durs, que modifie Bâle III. C'est l'objet du fameux TLAC - pardon encore pour l'acronyme anglo-saxon ! -, qui est une idée venue des États-Unis. Il s'agit d'une bonne idée, qui consiste à avoir une capacité additionnelle d'absorption des banques pouvant être transformée en capital en cas de difficulté et de pertes à couvrir. C'est cela le TLAC. Pour faire simple, il s'agit d'instruments de nature obligataire, mais qui peuvent devenir du capital destiné à combler des pertes en cas de difficulté et de manque.
C'est un facteur de sécurité, qui protège clairement les contribuables car il éviterait, en cas de difficulté pour un établissement, d'avoir à faire appel aux fonds publics, ce qui est heureusement peu ou pas arrivé en France. Les fonds publics arrivent vraiment en dernier recours. Stricto sensu, ce mécanisme s'additionne aux ratios de Bâle III, mais il n'est pas de même nature, puisqu'il y a des fonds propres durs, d'un côté, et des instruments de type obligataire ou dette, de l'autre, qui sont d'ailleurs plus faciles à lever et à trouver. Nous devons, évidemment, être attentifs à ce que l'ensemble reste compatible avec les capacités de financement des banques.
J'en profite pour dire que, là aussi, il s'agit de propositions de la Commission européenne. Avant qu'elles ne soient transposées, il faut passer par le Conseil européen et le Parlement européen. En tout cas, globalement, l'équilibre des propositions de la Commission européenne nous paraît assez bon. Certains pays ne raisonnent pas ainsi.
Monsieur Yung, sur la question du plancher, je partage tout à fait votre explication de principe, qui est extrêmement claire. Cela revient à dire qu'il y a un certain résultat des modèles, qui donne tel pourcentage, mais si l'on est en dessous du plancher, qui est à x %, on monte à x % de l'approche standard.
En revanche, le chiffre de 50 % que vous avez cité pour les banques françaises relève de la rumeur, c'est-à-dire qu'il ne correspond pas à la réalité d'aujourd'hui. Il varie évidemment selon les banques, mais il est significativement plus élevé pour les banques françaises. Évidemment, le fait qu'un plancher soit mordant ou non dépend aussi des règles d'assiette.
Comme vous avez posé, à ce propos, la question de l'immobilier, je précise que le plancher est d'application globale sur l'ensemble des risques, ce qui est plutôt un facteur de modération. En effet, si vous appliquez le plancher risque par risque, il peut y avoir une catégorie de crédit où le plancher s'applique, alors qu'en l'espèce lorsque l'on mutualise, donc les plus et les moins se compensent.
En revanche, pour aller dans le sens de votre question, je précise que nous appuyons une demande assez forte des Néerlandais pour que le traitement de l'immobilier dans le calcul de ce fameux plancher soit plus favorable et tienne compte du fait qu'il y a moins de risque sur l'immobilier en Europe.
Enfin, sur le parallèle avec les États-Unis d'Amérique, c'est évidemment une question politique tout à fait essentielle. Jusqu'à présent certes, il a pu arriver que les États-Unis ne se sentent pas liés par telle ou telle réglementation mais les États-Unis ont parfois le sentiment inverse ou symétrique au regard de la transposition européenne, qui réserve, selon eux, quelques exceptions.
Pour le futur, je crois que la question est tout à fait centrale. Nous ne savons pas quelles sont les intentions précises de la future administration américaine.
Si cela devait être le cas, on en tirerait les conséquences côté européen, sans naïveté. Personnellement, je trouverais cela regrettable, car je considère que ce qui s'est construit à l'échelle internationale à la suite de la crise, avec une certaine harmonisation, était à la fois nécessaire et adapté. Je pense que nous ne devons rien faire qui pousse en ce sens et dire maintenant que nous quittons la table des négociations me paraîtrait mal venu. Continuons à construire là-dessus, mais il nous faudra être très vigilant sur l'application.
Vous avez raison, monsieur Marc, sur les hauts et les bas dans la perception. Vous avez évoqué la question de l'application dans le temps, que je n'avais pas évoquée dans mon propos liminaire, ce dont je m'excuse. Je précise que toutes les règles dont on parle seraient applicables au plus tôt en 2021, ce qui laisse quatre à cinq ans pour s'adapter. Pour le plancher, s'il devait y en avoir un, il serait d'application progressive entre 2021 et 2025.
Nous avons donc du temps, mais il faut toujours être prudent avec cet argument du temps, parce que, de temps en temps, les banques souhaitent se mettre en conformité très tôt avec l'exigence finale, sous pression des marchés. En tout cas, les banques peuvent jouer sur la variable temps. Quand je disais que cela peut se faire par incorporation normale de réserves, avec une politique normale de distribution des dividendes, je faisais aussi référence à ce facteur temps.
Sur l'appréciation des banques en bourse, je la constate comme vous. Vous me donnerez acte que je suis toujours assez prudent sur l'interprétation des mouvements boursiers. C'est évidemment plutôt une bonne nouvelle, mais je ne suis pas sûr qu'elle soit tout à fait définitive. J'y vois trois éléments d'explication.
Tout d'abord, les banques avaient trop chuté après le Brexit, et il y a eu un rattrapage à partir de l'été.
Ensuite, il y a des anticipations sur les mouvements des taux d'intérêt et la pente de la courbe, comme disent les spécialistes, c'est-à-dire l'écart entre les taux longs et les taux courts, y compris à la suite des décisions politiques monétaires de la Banque centrale européenne ou de la Réserve fédérale américaine. Vous me permettrez de ne pas commenter cet état de fait, mais il faut tenir compte de l'idée communément admise qu'une pente positive est toujours meilleure pour la rentabilité des banques.
Enfin, il y a ces rumeurs qui sont dans l'air : on irait plutôt vers une stabilisation réglementaire, ce que je ne peux que soutenir, ou vers une dérèglementation, ce que je ne soutiendrai pas. Cela a beaucoup joué sur les valorisations aux États-Unis et, par contagion, cela a également joué sur les banques européennes.
S'il y a accord équilibré à Bâle, je pense que la stabilisation réglementaire pourra aider les banques à progresser vers leur valeur comptable normale. Or, aujourd'hui, la valeur boursière est inférieure même à la valeur comptable, surtout en Europe. Il peut y avoir diverses explications à ce phénomène, mais l'incertitude réglementaire en fait partie.
Enfin, vous m'interrogez sur modifications structurelles que l'on pourrait attendre en Europe. En d'autres termes, vous vous demandez s'il y a des pays plus fragiles en Europe aujourd'hui.
J'ai déjà eu l'occasion de dire, mais je vais le dire encore plus précisément ici : je pense que le problème des banques italiennes est traitable. Seules quelques banques sont concernées, et, honnêtement, à l'échelle de l'économie italienne, les besoins en capital dont on parle sont parfaitement absorbables. En revanche, il importe d'aller vite.
Vous le savez, nous avons refusé, au sein du système de supervision européen, d'accorder un nouveau délai pour la banque Monte dei Paschi di Siena. Sur ce cas, nous avons besoin non pas de délai, mais d'une solution rapide, qui peut être soit une solution de marché, en priorité, soit une solution de recapitalisation publique, ce que permettent les textes européens. Le délai expire le 31 décembre.
Au-delà de ce cas, il est souhaitable, une fois levée l'incertitude réglementaire, que nous puissions reprendre un mouvement de consolidation bancaire en Europe. La taille des banques y est en effet très inférieure à ce qu'elle est sur le marché américain. Il ne s'agit pas de faire des très grosses banques pour le plaisir, mais comme nous avons une union monétaire et une union bancaire, il est de l'intérêt de tous que l'épargne circule mieux à travers les frontières en Europe. En effet, on sait que l'épargne est abondante dans certains pays, alors que les besoins d'investissement sont dans d'autres pays. La meilleure façon de résoudre cette équation est d'avoir des banques transfrontières en Europe. Il se trouve par ailleurs que les banques françaises sont parmi les plus solides d'Europe, ce dont nous pouvons tous nous réjouir. Il faudra aller dans ce sens, et je ne suis pas le seul à le dire autour de la table du conseil des gouverneurs. Mais cela suppose, tout d'abord, de stabiliser le paysage réglementaire, et, ensuite, d'adapter, à l'intérieur de l'Europe, quelques règles du jeu.
Monsieur Leconte, vous m'interrogez sur les risques juridiques. Je ne peux que vous rejoindre sur leur importance. C'est vrai pour toutes les banques internationales, nous observons un mouvement de désengagement, notamment d'un certain nombre de pays en développement. Ce sujet est très difficile, parce qu'il a deux composantes. Tout d'abord : les autorités judiciaires américaines, comme elles l'ont montré, ont une interprétation très rigoureuse de l'application des règles américaines, dès lors que les opérations se font en dollar.
La deuxième difficulté est qu'il faut trouver le bon équilibre entre deux objectifs également louables, mais potentiellement contradictoires, c'est-à-dire la lutte contre le blanchiment, les évasions de capitaux, et la volonté de bien financer un certain nombre d'économies en développement. En tout état de cause, leur convergence nécessite un gros travail. Nous essayons de plaider à l'échelle de Bâle en faveur du correspondant banking, à savoir la présence des grandes banques internationales dans les pays en développement. Nous recherchons l'équilibre en évitant des décisions de fermeture brutale, comme celle que vous évoquiez. Il s'agit plutôt de renforcer la surveillance, tout en restant dans les pays. Je ne serais pas honnête si je disais que ce problème est totalement résolu à ce jour. C'est un problème de fond qui est sur la table. La vraie réponse serait d'avoir les équipes de conformité les plus fines, les plus pointues possible. On doit autoriser certaines opérations dans ces pays, mais pas toutes.
Monsieur Delattre, nous parlons aussi avec les banques. Il n'est pas totalement anormal que l'écho des banques soit toujours un peu plus alarmiste. Je connais bien les banques et je suis très attaché à leur rôle.
Néanmoins, in fine, il revient aux autorités publiques de décider de la réglementation, ce qui me paraît sain. Il n'appartient pas aux régulés de décider des règles. En revanche, les autorités publiques doivent écouter les régulés, et, objectivement, un certain nombre de modifications intervenues dans Bâle III viennent de ce dialogue.
Derrière tout cela, il y a un objectif de financement de l'économie totalement central. Un accord équilibré pour nous, à Bâle, est un accord qui vise les deux objectifs suivants, qui peuvent, eux, être tout à fait compatibles : la stabilité financière et le bon financement de l'économie.
Je n'ai pas le sentiment aujourd'hui qu'un accord, tel qu'il pourrait s'esquisser à Bâle, sacrifie l'un ou l'autre de ces objectifs. D'ailleurs, vous vous souvenez que le premier principe que j'ai posé est la préservation du fonctionnement et du financement de l'économie française. J'ai cité en particulier l'immobilier, les PME et les financements spécialisés, mais ce principe vaut globalement.
Enfin, s'agissant de la part des financements bancaires par rapport aux financements de marché, sachez qu'elle est un peu moins forte en France qu'elle ne l'est dans les autres pays européens. Nous sommes en France à 60 % de financements bancaires, contre 40 % de financements de marché, car nous avons des grandes entreprises en France qui recourent beaucoup aux financements de marché. En Allemagne, c'est 80/20. Cela dit, le financement bancaire reste très important en France. Pour conclure, je vous confirme que rien ne change dans les règles de Bâle pour les PME qui font moins de 500 millions d'euros de chiffre d'affaires.