Intervention de Éric Doligé

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 18 janvier 2017 à 9h30
Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord multilatéral entre autorités compétentes portant sur l'échange des déclarations pays par pays — Examen du rapport

Photo de Éric DoligéÉric Doligé, rapporteur :

Notre commission est saisie du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord multilatéral entre autorités compétentes portant sur l'échange des déclarations pays par pays, signé à Paris le 27 janvier 2016 sous l'égide de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et approuvé par l'Assemblée nationale le 22 décembre 2016.

De façon préalable, compte tenu des nombreux mécanismes de déclaration pays par pays proposés, il convient de préciser le sujet dont nous traitons ce matin. Il s'agit des déclarations pays par pays auxquelles sont soumises les entreprises dont le chiffre d'affaires annuel est supérieur à 750 millions d'euros et qui sont transmises à l'administration fiscale. Ce dispositif a été introduit en France par anticipation par la loi de finances pour 2016. L'objectif est de connaître les différentes filiales des groupes d'entreprises multinationales et de révéler d'éventuelles discordances de localisation entre les activités et leur imposition. La lecture des déclarations pays par pays à destination des administrations fiscales intervient donc en amont d'une éventuelle enquête approfondie, afin de déterminer les dossiers prioritaires.

Il diffère du mécanisme de déclaration publique pays par pays, pour lequel la Commission européenne a présenté une proposition le 12 avril 2016, que l'article 137 de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (« Sapin 2 ») prévoyait d'introduire en droit national, selon des caractéristiques distinctes. Dans sa décision du 8 décembre 2016, le Conseil constitutionnel a censuré ces dispositions, en ce qu'elles portaient une atteinte manifestement disproportionnée à la liberté d'entreprendre. À la différence de la déclaration transmise à l'administration fiscale, la déclaration publique participe du mouvement d'extension de la transparence, afin de permettre aux acteurs de la société civile d'évaluer la stratégie fiscale des grands groupes d'entreprises internationales.

La déclaration pays par pays transmise à l'administration fiscale s'inscrit dans le cadre de l'action 13 du projet Base Erosion and Profit Shifting (BEPS) de l'OCDE portant sur la documentation des prix de transfert. Afin de réduire les contraintes déclaratives pesant sur les entreprises, les États parties à la négociation ont convenu d'une déclaration unique déposée par un groupe d'entreprises auprès de l'administration fiscale du pays de siège, cette déclaration faisant ensuite l'objet d'un échange automatique entre autorités compétentes. Afin de permettre aux services fiscaux français de récupérer les déclarations des entités de groupes d'entreprises ayant leur siège à l'étranger, un accord international entre États parties est nécessaire pour parachever le fonctionnement du mécanisme.

Tel est précisément l'objet de l'accord multilatéral signé à Paris le 27 janvier 2016. À l'instar de l'accord multilatéral concernant l'échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers du 29 octobre 2014, il a été conclu sur le fondement de la Convention concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale de 1988. Les principes qu'elle garantit en matière de protection des données et de confidentialité lui sont donc pleinement applicables. Il réunit aujourd'hui la signature de 49 États, parmi lesquels neuf des dix pays hébergeant le plus grand nombre de sièges sociaux des cinq cents plus grandes entreprises mondiales. Préférant conclure des accords bilatéraux, les États-Unis n'ont pas signé cet accord multilatéral.

Cet accord organise les modalités de l'échange automatique des déclarations pays par pays, sous condition de réciprocité, sous l'égide du secrétariat général de l'OCDE. Il précise également les conditions d'utilisation des données contenues dans la déclaration : en particulier, si elle permet une évaluation générale des risques liés aux prix de transfert, la déclaration ne peut servir de base à des ajustements. Elle permet une analyse risque préalable, afin de définir des priorités. Une enquête approfondie, conduisant notamment à analyser la documentation exhaustive des prix de transfert, doit ensuite être effectuée pour procéder à un éventuel ajustement.

Par ailleurs, l'accord définit des procédures de consultation en cas de difficultés de mise en oeuvre, comme la non transmission des déclarations par un État partie ou une utilisation inappropriée des données. Une possibilité de suspension temporaire ou définitive de l'échange automatique peut également être décidée par un État partie soit à l'égard d'un autre État partie, soit à l'égard de tous.

Au-delà de ces précisions, j'approuve la conclusion rapide d'un accord équilibré qui permettra une application complète du mécanisme de déclaration pays par pays dès les premières déclarations sur l'exercice 2016, dix-huit mois après leur date de dépôt, soit à compter du deuxième semestre 2018. Plus largement, concernant la portée du mécanisme et du projet BEPS, je tiens à formuler trois observations.

Premièrement, il ne constitue qu'un des trois accords internationaux pouvant prévoir l'échange automatique des déclarations, avec les conventions fiscales bilatérales et les accords bilatéraux d'échange de renseignements fiscaux.

Deuxièmement, un enjeu particulier réside dans la conclusion rapide d'accords bilatéraux avec les États qui n'ont pas signé le présent accord multilatéral et qui hébergent le siège de nombreux grands groupes d'entreprises internationales. Alors que le consensus né des négociations de BEPS, cristallisé dans les recommandations des rapports finaux d'octobre 2015, doit être transposé dans le droit, il convient que tous les États s'engagent. Je pense particulièrement aux États-Unis, qui ont introduit la déclaration pays par pays dans leur droit interne pour les exercices ouverts à compter du 30 juin 2016. Selon les informations qui m'ont été transmises, les États-Unis ont proposé à la France d'engager les négociations préalables à la conclusion d'un accord bilatéral d'échange. Mais cette matière relève des prérogatives du pouvoir exécutif : le renouvellement de l'administration américaine ne peut qu'accentuer les incertitudes sur la position réelle des États-Unis sur ce dossier. Or leur implication est indispensable à deux titres : pour récupérer les données des groupes américains, mais aussi pour ne pas menacer le consensus né des négociations sur BEPS.

Troisièmement, le projet BEPS prévoit une clause de réexamen en 2020. Grâce à la mise en oeuvre rapide, un premier retour d'expérience sera possible. Pour autant, le clivage qui existait entre pays, notamment entre les États hébergeant le siège de nombreux groupes et les autres concernant les données à inclure dans la déclaration ou le seuil de chiffre d'affaires à partir duquel les entreprises y sont assujetties, pourrait à nouveau se former. Surtout, la volonté des États-Unis de préférer la conclusion d'accords bilatéraux négociés au cas par cas à un accord multilatéral souligne la nécessaire vigilance dont il faudra faire preuve dans la mise en oeuvre de l'échange automatique. Cet aspect est d'autant plus important que le multilatéralisme, s'il symbolise une volonté commune, conduit à inclure des États pour lesquels les barrières entre services fiscaux et entreprises publiques doivent encore être éprouvées.

Sous le bénéfice des observations qui précèdent, je vous propose donc d'adopter le présent projet de loi de ratification sans modification.

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