Une délégation de la commission composée de Jérôme Bignon, Gérard Miquel et moi-même s'est rendue à Marrakech du 10 au 14 novembre dernier pour participer à la COP22. Nous y avons retrouvé Ronan Dantec, ce qui n'étonnera personne compte tenu de sa très forte implication sur les questions climatiques. Nous avons profité de ce séjour pour découvrir, sur le terrain, un certain nombre d'actions menées par le Maroc en faveur de la transition énergétique et notamment des énergies renouvelables.
Quelques mots tout d'abord sur l'organisation de la COP.
Comme au Bourget, le site de la COP22 comprenait deux zones : la zone bleue, à l'accès restreint, avec principalement les salles de négociations et les bureaux des différentes délégations ; la zone verte, ouverte à tous, avec un espace « innovation » regroupant pour l'essentiel des entreprises, et un espace « société civile » réunissant des associations, des fondations, des universités, des régions, etc.
Notre délégation a parcouru les deux zones.
Dans la zone bleue, nous avons visité les bâtiments réservés aux différents pavillons et nous nous sommes naturellement rendus sur le pavillon français, où des événements et conférences se succédaient. Nous avons été accueillis par la ministre Ségolène Royal, qui nous a conviés à la rencontre qu'elle avait organisée avec l'ensemble des acteurs non étatiques français présents à Marrakech.
Nous avons participé à ces échanges, très intéressants, avec les associations et ONG impliquées dans le changement climatique. Quelques jours après les élections américaines, leurs représentants nous ont fait part de leurs interrogations s'agissant de l'évolution de la politique américaine et des résultats de la COP22. Beaucoup ont exprimé de vraies inquiétudes malgré plusieurs éléments positifs, comme l'entrée en vigueur plus rapide que prévu de l'Accord de Paris, la mise en place d'un certain nombre d'alliances et coalitions, initiatives sur lesquelles je reviendrai, ou encore un engagement plus marqué que jamais des entreprises en faveur du climat.
Dans la zone verte, près d'une cinquantaine d'entreprises françaises étaient présentes sur différents stands. Nous avons passé un bon moment sur le stand de la Chambre française de commerce et d'industrie du Maroc où nous avons pu échanger avec des représentants d'entreprises françaises telles que Michelin, Sanofi, Quadran, Club Med, et des représentants de régions françaises, comme la région Aquitaine, la région Auvergne-Rhône-Alpes ou encore le département de l'Essonne.
D'une manière générale, tous les délégués et observateurs présents s'accordaient pour dire que la Conférence était parfaitement organisée par le Maroc. Le site retenu, relativement central dans Marrakech, était bien desservi. Nous y avons vu le premier projet de vélos en usage partagé lancé en Afrique - les Medina Bikes -, qui a été inauguré le premier jour de la COP et auquel participent des entreprises françaises.
Venons-en au fond et au bilan que l'on peut faire aujourd'hui de la 22ème Conférence des Parties à la Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique.
L'Accord de Paris est, rappelons-le, l'un des résultats les plus importants de la diplomatie internationale de ces dernières années. Chacun sait le rôle que notre pays y a joué.
Il est entré en vigueur juste avant l'ouverture de la COP, le 4 novembre 2016, trente jours après que 55 États représentant 55% des émissions mondiales de gaz à effet de serre l'ont ratifié. À cette date, il y avait en effet 74 pays représentant 58,8 % des émissions de gaz à effet de serre qui l'avaient ratifié. Au nombre de ceux-ci, presque tous les grands pays de la planète l'avaient fait, au premier rang desquels la Chine et les États-Unis qui l'ont ratifié le même jour, le 3 septembre.
Aujourd'hui, 125 pays ont ratifié l'accord, ce qui est un nombre élevé compte tenu des délais parfois nécessaires pour procéder à la ratification dans certains Parlements, à rapprocher du nombre total de signataires de l'accord, soit 197 pays.
Cette entrée en vigueur rapide a pris un peu de court les négociateurs et modifié les perspectives de la Conférence de Marrakech qui, à l'origine, devait être principalement consacrée à la mobilisation des pays pour une ratification rapide de l'accord. C'est d'ailleurs ce que nous avait dit la ministre marocaine de l'environnement, Mme Hakima El Haite, lorsque nous l'avions entendue cet automne.
Aussi, la première réunion des parties à l'Accord de Paris, la CMA, a dû s'organiser dans l'urgence. Mais elle a pu se tenir et aboutir à une première déclaration sur « l'accélération de l'action climatique mondiale ».
La mobilisation exceptionnelle de la communauté internationale sur les questions climatiques, entretenue toute l'année dernière par la présidence française, n'est donc pas retombée. L'enjeu reste bien que l'Accord de Paris s'applique, dans le but d'atteindre son objectif principal : limiter la hausse de température nettement en-dessous de 2°C d'ici la fin du siècle.
Comme je l'indiquais tout à l'heure, l'ombre de l'élection du nouveau président américain a plané dès l'ouverture de la Conférence sur les débats et négociations. Pas vraiment anticipé par les négociateurs, y compris par les personnalités américaines présentes à Marrakech, le résultat de cette élection, connu le lendemain de l'ouverture de la Conférence a nettement refroidi l'atmosphère générale. Comme vous le savez, Donald Trump s'est affiché clairement climato-sceptique durant sa campagne, soutenant les énergies fossiles et menaçant de se retirer de l'Accord de Paris.
Depuis, il semble qu'il soit partiellement revenu sur ses positions. La semaine dernière, son futur secrétaire d'État, Rex Tillerson, a déclaré devant le Sénat américain que : « le changement climatique requiert une réponse mondiale et que les États-Unis doivent rester à la table des négociations », ce qui est heureusement plus encourageant.
Cela étant, des signaux positifs existent et nous les avons perçus dans les différentes rencontres que nous avons eues.
Le premier est que la Conférence de Marrakech a posé de bonnes bases. Elle a d'abord élargi le cercle des intervenants aux décisions climatiques : la COP des négociateurs est devenue une COP des acteurs. Elle est de moins en moins la seule affaire des diplomates. Toutes les parties prenantes, notamment les acteurs non étatiques, ont été associées aux travaux. Entreprises, collectivités locales, corps intermédiaires, associations ont eu la possibilité de s'exprimer et de mettre en avant leurs solutions et leurs engagements.
Par ailleurs, des alliances et des coalitions, thématiques et régionales, se sont mises en place. Chacun des volets de l'Accord de Paris a donné lieu à des initiatives, que ce soit sur l'eau, l'agriculture, la forêt, les océans ou les énergies renouvelables, qui permettent d'avancer, d'aider les pays à revoir leurs programmes nationaux, d'échanger les bonnes pratiques et de maintenir une dynamique de progrès.
Marrakech a aussi mis l'accent sur les priorités des prochains mois, la première étant la question du financement. C'est naturellement un aspect essentiel pour tenir la promesse des 100 milliards de dollars annuels à partir de 2020. Le compteur a augmenté, notamment sous l'impulsion française et européenne, mais il reste des sujets à régler comme la prise en compte dans cette enveloppe des politiques d'adaptation.
L'autre question sur laquelle des progrès doivent être réalisés est celle de l'harmonisation et surtout de la transparence dans la comptabilisation des émissions de gaz à effet de serre, des résultats des actions mises en oeuvre, des financements reçus et donnés. Les gouvernements ont fixé l'échéance de 2018 pour achever ce règlement d'opérationnalisation de l'Accord de Paris. Il est impératif que cette date soit tenue.
Les prochaines Conférences permettront d'avancer dans cette voie. La COP23 sera organisée à Bonn, sous présidence des Iles Fidji, premier pays de la planète à avoir ratifié l'Accord de Paris. Ceci permettra de mettre l'accent sur les îles du Pacifique qui sont nombreuses à subir l'impact du réchauffement climatique avec la montée des océans. Plusieurs îles sont déjà submergées, d'autres sont menacées à court et moyen terme.
J'ai d'ailleurs pu échanger il y a quelques jours sur ces sujets avec la Présidente du Parlement des Iles Fidji, de passage à Paris.
Ce sera la dernière rencontre avant l'étape cruciale de la COP24 qui se tiendra en 2018 et qui devra avoir réglé la question de la transparence de l'action.
Dernier élément sur la COP : comme l'année dernière, nous avons participé à la journée organisée en marge de la Conférence par l'Union interparlementaire, en lien avec le Parlement marocain. Il s'agissait d'une journée de débats réunissant à la fois les principales autorités onusiennes et grands experts des questions climatiques et environ 200 parlementaires en provenance de 60 pays.
Nous y avons constaté une forte présence africaine et une volonté très affirmée de ces parlementaires de faire de la question du financement la question centrale des négociations climatiques actuelles et futures.
Le document final, adopté en fin de journée par les parlementaires présents, met l'accent cette année sur la nécessaire révision des contributions nationales pour rester en phase avec l'objectif de l'Accord de Paris d'un réchauffement en-deçà de 2°C et sur la concrétisation de ces engagements grâce à des politiques publiques adaptées.
Le deuxième volet de notre voyage a été consacré à différentes visites de terrain qui nous ont permis de mesurer l'engagement du Maroc en faveur des énergies renouvelables et de la transition énergétique.
L'objectif du royaume chérifien, qui est aujourd'hui dépendant de l'extérieur pour 94 % de ses besoins énergétiques et importe pour l'essentiel des énergies fossiles, est que 52 % de ses besoins énergétiques soient couverts par des énergies renouvelables en 2030.
Pour y parvenir, et de façon assez logique, la Maroc mise principalement sur l'énergie solaire.
Nous avons visité un site particulièrement impressionnant : la centrale solaire Noor de Ouarzazate. Elle s'étend sur un immense plateau au coeur de l'Atlas qui devrait, d'ici 2020, couvrir plus de 3 000 hectares.
Elle a été inaugurée en février dernier avec la mise en place d'un premier bloc constitué d'un champ de 480 hectares de miroirs cylindro-paraboliques qui permettent la production d'une électricité dite solaire thermique. Le procédé est assez simple : la centrale utilise les rayons du soleil pour chauffer au coeur des 500 000 miroirs un fluide, qui transmet ensuite la chaleur à de l'eau pour faire tourner des turbines à vapeur et produire de l'électricité. Ce fluide est notamment composé de sel fondu qui a la caractéristique de pouvoir conserver la chaleur plusieurs heures après le coucher du soleil, ce qui permet la production d'électricité environ encore trois heures après l'arrivée de la nuit.
Sa capacité est de 160 mégawatts. Lorsque les quatre blocs de la centrale seront en service, dont un comprendra des panneaux photovoltaïques, elle aura une capacité de 580 mégawatts et pourra assurer la consommation énergétique d'un million de foyers, ce qui correspond à la puissance d'un réacteur nucléaire moderne.
Rien qu'avec Noor 1, les émissions de CO2 évitées seront de 240 000 tonnes par an, ce qui contribuera à permettre au Maroc de respecter ses engagements de baisse de 32 % des émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030.
Autre visite marquante : le Green Energy Park, plateforme de recherche, de test et de formation sur toute la filière des énergies solaires, situé dans la nouvelle ville verte de Benguerir, à 60 kilomètres au nord de Marrakech,
Son directeur, un jeune ingénieur marocain, formé en Allemagne, nous a montré les différentes machines de test et présenté les partenariats mis en oeuvre avec des universités et des instituts de recherche du monde entier.
Nous avons eu la chance d'y voir les derniers entraînements de voitures fonctionnant uniquement à l'énergie solaire, qui devaient participer le lendemain à une course organisée dans le cadre de la COP22.
Enfin, nous avons visité un site expérimental passionnant, celui du projet PEPS (Pour Et Par le Soleil) qui a pour vocation de permettre le traitement de déchets carbonés grâce à la technologie solaire dite micro-ondes, autrement dit par un procédé thermo-solaire au bilan carbone négatif.
Le prototype est impressionnant, il a la taille d'un grand conteneur et peut être entièrement piloté à distance, notamment l'orientation des miroirs paraboliques en fonction de l'orientation des rayons du soleil. Il permet de transformer, par pyrolyse, les déchets en charbon, un charbon de très bonne qualité directement valorisable. La machine peut traiter tout ce qui est composé carboné, c'est-à-dire la biomasse, les déchets ménagers et les plastiques, y compris les déchets les plus difficiles à traiter.
À terme, il est prévu que le système puisse traiter 54 tonnes de déchets par jour et générer 2,4 mégawatts d'électricité, soit 50 % de ce qui est nécessaire pour l'éclairage public dans une ville comme Marrakech.
Au-delà même de l'aspect technique, ce qui est particulièrement remarquable de ce projet est qu'il repose sur des brevets mis au point en Guadeloupe et qu'il bénéficie d'une subvention de la région Guadeloupe, aujourd'hui premier bailleur du projet. Nous avons été heureux d'ailleurs de constater la qualité des liens développés entre les élus de la région de Marrakech et ceux de la Guadeloupe. Une coopération « sud-sud » à la fois efficace et bénéfique pour les deux parties.
Ce déplacement nous a montré que, plus que jamais, la lutte contre le réchauffement climatique continue. L'engagement pour une action en faveur du climat reste fort à tous les échelons, qu'ils soient gouvernementaux, régionaux, locaux. Les grandes entreprises, en particulier, ont anticipé un certain nombre d'évolutions, y compris par exemple celle de la tarification du carbone dont elles intègrent le prix dans leurs décisions d'investissements. Les énergies renouvelables deviennent aussi de plus en plus compétitives par rapport au charbon et au gaz : les initiatives marocaines le montrent bien.
Aussi, nous devons faire en sorte que les incertitudes liées à l'élection américaine encouragent nos gouvernements, nos entreprises, nos collectivités et nos sociétés à être encore plus vertueux et ambitieux. Ce sera le défi des prochaines COP pour lesquelles Marrakech a donné un bon élan.