Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais rappeler, à l'occasion de cette deuxième lecture, que la France compte aujourd'hui 12 millions de femmes au travail, qui représentent 46 % de la population active. Par leur activité, elles contribuent à la croissance et à la richesse de notre pays, autant que les hommes.
Pourtant, elles ne sont pas traitées sur un pied d'égalité et sont victimes d'une discrimination qui tient davantage à notre héritage culturel qu'à des raisons objectives. L'articulation des temps de vie, les schémas traditionnels de la vie familiale sont des facteurs qui contribuent à maintenir les femmes dans des situations précaires. Elles consacrent ainsi deux fois plus de temps aux tâches ménagères que les hommes, et trois fois plus à l'éducation des enfants. En outre, bien que les filles obtiennent de meilleurs résultats que les garçons durant leur scolarité et qu'elles soient majoritaires dans la population étudiante, on les retrouve moins nombreuses dans les filières prestigieuses comme les classes préparatoires ou les grandes écoles.
Depuis la crise des banlieues, le Premier ministre et, tout dernièrement, le Président de la République ont décidé de faire de l'égalité des chances une grande cause nationale. À cet égard, nous serons très attentifs aux mesures qui seront présentées s'agissant des femmes.
Dans la vie active, les discriminations anormales dont les femmes sont victimes concernent notamment l'accès à la formation professionnelle continue. En effet, les statistiques font ressortir qu'une femme de 35 ans a deux fois moins de chances qu'un homme du même âge d'en bénéficier, du fait d'un statut précaire. Puisque les femmes occupent dans une large mesure des emplois à faible qualification, dans lesquels des formations sont rarement proposées, elles ne peuvent avoir de plan de carrière.
Par ailleurs, le taux de chômage des femmes reste plus élevé que celui des hommes, et la structure de l'emploi des femmes demeure un sujet de forte préoccupation. En effet, le rapport de mars 2005 de l'Observatoire français des conjonctures économiques sur les facteurs de précarité montre que 82 % des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes. Il s'agit très majoritairement d'un temps partiel subi, et une enquête de l'INSEE réalisée en 2004 indique d'ailleurs que les trois quarts des femmes employées à temps partiel souhaiteraient travailler davantage, ce qui leur permettrait de mieux gagner leur vie. Compte tenu de la situation précaire qui leur est imposée dans le monde du travail, elles sont touchées d'une manière particulièrement cruelle par le phénomène en expansion des travailleurs pauvres. Aujourd'hui, 20 000 femmes, souvent mères de jeunes enfants, travaillent et ne peuvent accéder à un logement.
Pour ce qui concerne l'égalité salariale, à l'heure actuelle, dans notre pays, les femmes gagnent en moyenne 27 % de moins que les hommes. Pourtant, la loi Roudy de 1983 proscrit les inégalités dans ce domaine.
Madame la ministre, lors de la première lecture, nous avions souligné les insuffisances de votre projet de loi et, malheureusement, nous constatons que, entre juillet 2005 et aujourd'hui, les choses ont peu changé. Ce texte est toujours aussi peu contraignant, et l'on ne peut que continuer à déplorer son caractère non persuasif, ainsi que l'absence délibérée de sanctions dans le cas où, au sein tant des branches que des entreprises, les négociations n'aboutiraient pas à la réduction des écarts de rémunération. Nous ne croyons pas vraiment que vous gagnerez votre pari à cet égard, car cela fait des années que nous votons des lois en faveur de l'égalité des rémunérations entre les femmes et les hommes, or nous en sommes toujours au même point. Faire appliquer les dispositions existantes eût sans doute été préférable.
Par ailleurs, aucune mesure efficace n'est proposée pour remédier au phénomène du travail à temps partiel, alors qu'il concerne 3, 3 millions des 11 millions de femmes actives, soit près d'un tiers d'entre elles, si ce n'est l'amendement que vous avez soumis à l'Assemblée nationale, visant à renforcer le dialogue social au sein de l'entreprise tout en laissant aux partenaires sociaux le soin de définir les modalités précises de traitement des différents thèmes abordés au travers de la négociation. Nous qualifierons cet amendement de « symbolique ». Pour traiter du travail à temps partiel, il faut légiférer sur le délai de prévenance, sur la durée et le nombre des interruptions de travail dans une journée, sur les heures complémentaires, ou encore sur la priorité à donner aux employées à temps partiel pour l'accès aux heures supplémentaires. Mais rien n'est proposé dans ces domaines.
Les femmes qui subissent le travail à temps partiel sont souvent des chefs de famille monoparentale. Cette situation entraîne de surcroît des conséquences fâcheuses pour leur carrière professionnelle, mais également pour leur retraite, car souvent travailler à temps partiel ne suffit pas à valider des trimestres de cotisation. Comme le montant de la pension découle directement des salaires perçus durant la carrière professionnelle, les disparités perdurent une fois la retraite arrivée, et les femmes restent confinées dans une précarité encore plus grande.
Enfin, il demeure toujours aussi regrettable que ce projet de loi ne vise que le secteur privé et ne concerne pas la fonction publique, où subsiste, en dépit de l'égalité salariale, une inégalité des rémunérations en raison des primes et du fameux - et fâcheux ! - « plafond de verre ». Il est tout à fait souhaitable que l'État employeur donne le bon exemple.
Lors du débat qui s'est tenu à l'Assemblée nationale en décembre dernier, les députés sont revenus sur des dispositions qui avaient été adoptées ici même et que nous avions dénoncées. Au nombre de ces dernières figurent par exemple celle qui prévoyait de n'appliquer l'article 3 aux branches déjà dotées d'un accord sur l'égalité salariale « qu'à l'expiration dudit accord », c'est-à-dire aux calendes grecques, celle qui fixait à onze salariés le seuil d'effectif à partir duquel l'employeur a obligation de « prendre en compte les objectifs d'égalité professionnelle et les moyens permettant de les atteindre », ou encore celle qui autorisait la prorogation du droit à congé parental sans indemnité en cas d'impossibilité de faire accueillir un enfant à l'école à l'âge de trois ans.
Cette dernière disposition allait à l'encontre des préconisations visant à rendre possible un congé parental d'un an mieux rémunéré que le congé de trois ans, qui contribue à éloigner trop durablement et dangereusement de l'emploi les jeunes mères de famille.
D'autres mesures adoptées à l'Assemblée nationale vont dans le bon sens, comme celles de l'article 10 ter, qui a été introduit pour compléter l'article 10 bis que nous avions voté ici même à l'unanimité. Il prévoit l'indemnisation du congé de maternité prolongé en cas de naissance prématurée par le versement d'indemnités journalières, ce qui est une très bonne chose.
Les députés ont également choisi de revenir à la rédaction du texte qu'ils avaient adoptée en première lecture, pour une meilleure représentation des femmes dans les conseils d'administration des entreprises privées, ainsi que dans les fonctions de délégué du personnel et de membre du comité d'entreprise.
Toutefois, malgré ces quelques avancées et la bonne volonté que vous affichez, madame la ministre, le texte reste à nos yeux très insuffisant. La question de l'égalité salariale méritait une analyse plus profonde, et surtout des mesures plus efficaces et plus contraignantes pour les employeurs, ainsi que des obligations de résultat.
Or nous craignons fort que ce projet de loi ne dépasse pas le stade de l'affirmation de bonnes intentions. Il ne permettra pas de faire progresser l'égalité salariale, ni d'améliorer le sort des femmes au travail. En outre, le problème de la garde des enfants n'est pas traité de façon efficace, si ce n'est par la recommandation faite aux communes de réserver des places dans leurs structures d'accueil, qui ne sera pas très aisée à mettre en oeuvre.
Pour toutes ces raisons, nous présenterons des amendements tendant à améliorer ce texte.