Intervention de Ludovic Pouille

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 18 janvier 2017 à 9h50
Initiative française pour la paix au proche-orient — Audition de M. Ludovic Pouille directeur-adjoint d'afrique du nord et du moyen-orient au ministère des affaires étrangères et du développement international

Ludovic Pouille, directeur-adjoint Afrique du Nord et Moyen-Orient au ministère des affaires étrangères et du développement international :

C'est un grand honneur d'être parmi vous après la conférence pour la paix au Proche-Orient, incontestable succès de la diplomatie française dimanche dernier.

Cette conférence marque l'aboutissement d'une séquence d'un an d'efforts diplomatiques avec une mobilisation politique importante. L'ambassadeur Pierre Vimont, envoyé spécial du Ministre pour la préparation de la conférence, vous avait rappelé en mai dernier les raisons de cette initiative. Depuis, la situation sur le terrain s'est aggravée, comme l'a encore illustré le terrible attentat au camion-bélier à Jérusalem le 8 janvier, tandis que la colonisation s'est accélérée durant le deuxième semestre de l'année 2016.

Cette conférence s'inscrit dans un effort en trois temps : une réunion ministérielle préparatoire sans les parties le 3 juin 2016 ; un travail d'approche des parties et de mobilisation des partenaires autour de groupes de travail sur les « incitations » à reprendre les négociations de paix pendant le deuxième semestre 2016 ; enfin, une conférence internationale pour la paix censée initialement présenter aux parties un « paquet d'incitations » et relancer les négociations bilatérales à l'aide d'un cadre multilatéral renouvelé. Les deux parties israélienne et palestinienne étant absentes, aucune négociation n'a pu être enclenchée entre elles lundi matin. Car entre temps, l'élection de Donald Trump aux États-Unis début novembre a changé la donne. Ses propos de campagne, sa vision du dossier israélo-palestinien, l'annonce d'un possible transfert de l'ambassade américaine à Jérusalem et la nomination de certaines personnalités très proches de la droite israélienne ont suscité une inquiétude dans la communauté internationale, dans le monde arabe, chez les Européens et dans l'administration américaine sortante, au premier rang chez le Secrétaire d'État John Kerry.

Dans ce contexte, fallait-il abandonner notre initiative en attendant des jours meilleurs, ce que nous demandaient certains ? Selon le Président de la République et le Ministre des affaires étrangères, ce changement de contexte et cette incertitude lourde de conséquences imposaient d'autant plus de poursuivre jusqu'au bout nos efforts. L'enjeu n'était plus seulement de sauvegarder la viabilité de la solution de deux États sur le terrain, mais de préserver le concept même de deux États. C'est dans cet esprit qu'a été adoptée la résolution 2334 des Nations-Unies - avec une abstention inédite des États-Unis - et que John Kerry a prononcé son discours de bilan de mandat présentant les paramètres, selon lui, nécessaires à un accord de paix.

C'est dans cet esprit également que s'est tenue la conférence de Paris. Dimanche, la France était entourée de 75 pays et organisations internationales, dont 50 ministres ou vice-ministres, issus de tous les pays arabes, européens, du G20, des membres du Conseil de sécurité de l'ONU, et de quelques grands pays particulièrement concernés. Nous aurions été probablement deux fois plus nombreux si nous avions invité tous les pays membres de l'Assemblée générale de l'ONU, mais ce n'était pas l'objectif de cet exercice, car nous souhaitions nous centrer sur les pays les plus impliqués.

La communauté internationale s'est donc réunie pour adresser trois messages.

D'abord, celui de l'urgence de la préservation de la solution à deux États, menacée sur le terrain et dans son concept même. Certains nous appellent à nous concentrer sur les grandes crises irakienne, syrienne et libyenne. La France s'en occupe naturellement et est aux avant-postes dans la lutte contre Daech et contre les flux migratoires qui menacent la stabilité de l'Europe. Mais ce n'est pas une raison pour négliger le plus ancien conflit du Proche-Orient, comme l'a rappelé le Président de la République dimanche, conflit qui a suscité trois guerres en six ans à Gaza. Aujourd'hui, tous les éléments d'une escalade sont réunis. La tension est très grande, et le conflit n'a rien perdu de sa force symbolique, au-delà des frontières. Tous les pays présents dimanche étaient convaincus que ne rien faire serait faire un cadeau aux extrémistes utilisant ce conflit dans leur rhétorique radicale.

Deuxième message, celui de l'unité internationale. Les approches de chacun varient bien sûr, et il a fallu un travail diplomatique extrêmement poussé, conduit avec brio par Pierre Vimont, pour surmonter les obstacles et parvenir à l'adoption d'une déclaration conjointe. Tous les pays présents voulaient parvenir à un texte commun car l'enjeu politique était trop grand, et l'absence de déclaration aurait envoyé un signal extrêmement négatif pour la solution à deux États. La déclaration a rappelé l'importance de cette solution, les grands principes d'une résolution du conflit et a dénoncé les actes unilatéraux empêchant sa réalisation.

Dernier message, celui de la mobilisation. Personne ne souhaite que la conférence de Paris soit le dernier acte d'un effort diplomatique de plusieurs décennies. Tous les participants se sont accordés pour assurer un suivi des efforts engagés. La conférence n'avait pas pour but de dénoncer, de stigmatiser ou de donner des leçons, mais de tendre la main pour une solution constructive. Selon Israël, seules des négociations bilatérales permettront d'avancer. Certes, elles sont indispensables, et sont rappelées dans la déclaration finale : personne ne doit négocier à la place des parties. Mais comment y parvenir alors qu'il n'y a eu aucune rencontre bilatérale depuis trois ans, et que M. Netanyahou n'a pas donné suite aux propositions de rencontre avec M. Abbas en bilatéral, tant à Moscou qu'à Paris ? Trois pistes opérationnelles sont proposées dans la déclaration conjointe pour aider à la relance des négociations.

D'abord, le cadre des négociations pour aboutir à une solution est solennellement rappelé : les lignes de 1967 et les grandes résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU.

Ensuite, les participants ont incité les parties à reprendre le chemin de la négociation en faisant des propositions dans trois domaines :

- sur le volet économique, la Commission européenne et la Norvège se sont particulièrement impliquées : ce volet comprend un partenariat spécial privilégié avec l'Union européenne, et souligne l'immense potentiel d'un accord de paix pour l'investissement privé et les coopérations internationales, y compris avec les pays de la région;

- sur le renforcement des capacités étatiques palestiniennes, grâce au rôle d'appui très important de l'Allemagne, les participants se sont engagés à consolider les institutions palestiniennes, comme le prévoyait la conférence de Paris en 2007 pour un État palestinien, en appui aux efforts du Premier ministre palestinien d'alors, M. Salam Fayyad ;

- enfin, un travail de fond a été mené par la Suède pour oeuvrer au rapprochement entre les sociétés civiles israélienne et palestinienne et raviver le débat sur la solution des deux Etats, grâce à la consultation de 150 organisations des deux côtés dans les derniers mois.

Troisième piste opérationnelle, le processus de suivi : nous avons prévu une coopération accrue entre le Quartet et les pays concernés, arabes et européens, et une réunion des participants intéressés, avant la fin de l'année, pour assurer le suivi des engagements.

La France a mené l'ensemble de cette initiative en pleine transparence et coopération avec les deux parties. Le Président de la République et le ministre des affaires étrangères se sont entretenus plusieurs fois avec le président palestinien et le premier ministre israélien ; le ministre des affaires étrangères s'est rendu à deux reprises en Israël et dans les Territoires palestiniens ; l'ambassadeur Pierre Vimont s'y est également rendu de nombreuses fois, tout en entretenant un contact étroit avec l'ambassadeur d'Israël et l'ambassadeur, chef de la mission de Palestine à Paris. Nous avons entendu les objections d'Israël, et l'annonce publique de M. Netanyahou de sa disposition à rencontrer M. Abbas à Paris. Nous le souhaitions également, et avions proposé une rencontre dimanche soir entre le Président de la République, MM. Netanyahou et Abbas pour qu'il leur rende compte en bilatéral des conclusions de la conférence. Malheureusement, M. Netanyahou n'a pas donné suite à cette proposition. Mais le ministre l'a rappelé : nous restons prêts à rendre compte de la conférence et à retourner dans la région.

L'objectif de la conférence du 15 janvier était de tendre la main, de rassembler les bonnes volontés et de définir des orientations politiques. Elle a permis de concrétiser des engagements par un discours positif, de réunir tous les pays de la région et d'adresser un message à l'opinion publique internationale. Elle est une base pour avancer avec les parties et la future administration américaine. Nous ne sommes ni naïfs, ni iréniques : cette conférence s'inscrit dans une phase de grande incertitude sur l'avenir du processus de paix. Nous sommes conscients des risques sur le terrain, de la violence et de la poursuite de la colonisation. La France doit garder le cap, et a la responsabilité d'agir. La conférence de janvier a démontré notre capacité et notre volonté de poursuivre les efforts sur ce dossier particulièrement difficile.

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