Intervention de Salman El Herfi

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 18 janvier 2017 à 9h50
Audition de s.e M. Salman El-herfi ambassadeur chef de la mission de palestine en france

Salman El Herfi, ambassadeur, chef de la Mission de Palestine en France :

Je suis très heureux d'être parmi vous et de répondre à vos questions, lesquelles traduisent un désir sincère de trouver une solution. Je partage sincèrement vos préoccupations.

J'ai 72 ans et, croyez-moi, je n'ai pas eu d'enfance, car j'ai l'âge de la Nakba. Notre peuple a été déraciné voilà soixante-dix ans. La Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est sont occupés depuis 50 ans ! Depuis lors, nous cherchons à faire la paix avec celui qui occupe nos territoires. Nous avons fait d'importantes concessions pour cela. Aucun pays au monde n'a renoncé à 78 % de son territoire pour vivre en paix, sauf le peuple palestinien. Vous, les Français, sous l'occupation allemande, vous n'avez cédé aucun pouce de votre territoire. Nous, parce que nous vivons en terre sainte, parce que nous voulons vivre en paix, parce que nous comprenons la souffrance des autres, en premier lieu celle des Juifs en Europe, nous faisons des efforts pour la paix. Or, si les Juifs ont été persécutés, c'est non pas par les Palestiniens, mais par les Européens, et c'est nous qui en avons payé le prix.

La conférence à Paris constitue un effort considérable pour rétablir la paix. Ce n'est pas Mahmoud Abbas qui a refusé de rencontrer M. Netanyahou et de venir à Paris, c'est M. Netanyahou. La société israélienne est aujourd'hui kidnappée par une poignée de colons et d'extrémistes. C'est non pas un Palestinien qui a assassiné l'homme courageux, l'homme de paix qu'était M. Rabin, mais un extrémiste israélien comme ceux qui sont au gouvernement en Israël.

Le processus de paix s'est arrêté le jour de l'assassinat de Rabin. Pour notre part, nous nous sommes efforcés ensuite de continuer de travailler avec tous les États et toutes les parties dans les instances internationales afin de reprendre les négociations de paix. Israël n'a malheureusement jamais accepté d'appliquer les accords qu'il a signés. Le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, a signé les accords de Wye River et a pris des engagements vis-à-vis de ses alliés, les États-Unis, mais il ne les a jamais honorés. Ce n'est pas nous qui le disons. Demandez au secrétaire d'État américain, à l'Union européenne, au Quartet, au sénateur Mitchell, à tous les responsables des négociations ce qu'ils en pensent !

On demande toujours aux Palestiniens de patienter, d'attendre. Nous aurions dû, madame la sénatrice, célébrer l'indépendance de la Palestine en 1999. En 1979, on nous a dit qu'il ne fallait pas réclamer l'indépendance, qu'il fallait attendre. Nous sommes allés à Camp David, à Wye River. Rien n'a jamais avancé. La colonisation a complètement détruit la solution des deux États.

J'ai vécu en Afrique du Sud, où j'ai suivi les négociations entre le Congrès national africain et le parti de la minorité blanche, chacun cherchant à aider l'autre à avancer vers une solution. Ce pays comptait alors des chefs d'État, des personnalités politiques du calibre de M. Rabin. Malheureusement, pour notre part, nous sommes toujours à la recherche d'un Frederik De Klerk au sein de l'actuelle direction israélienne.

J'ai travaillé avec le président Arafat pendant quarante ans en tant que conseiller. Chaque fois que nous arrivions à une solution, après avoir discuté de tous les sujets - Jérusalem, les frontières, les réfugiés, la sécurité -, les dirigeants israéliens trouvaient un prétexte pour la rejeter.

Excusez-moi de le dire, mais, par moments, les Israéliens sont des manipulateurs et des menteurs. Ils ont ainsi dit qu'ils avaient offert 98 % de la Cisjordanie aux Palestiniens, mais qu'Arafat avait refusé. Deux ans plus tard, les Américains ont avoué que les Israéliens n'avaient jamais fait une telle proposition. Les dirigeants israéliens eux-mêmes l'ont avoué. Lorsque j'étais ambassadeur en Afrique du Sud, on a demandé au président Mandela d'appeler les délégations palestinienne et israélienne, avec l'assistance des Américains : les Israéliens ont avoué qu'ils n'avaient rien proposé. C'était du bluff ! C'est non pas la volonté des Palestiniens qui manque, mais celle des Israéliens. Il manque un De Klerk en Israël, des dirigeants ayant le courage de prendre des décisions.

Le drame des Israéliens est peut-être que les Palestiniens ont, eux, un dirigeant qui travaille pour la paix. C'est Mahmoud Abbas qui a signé les accords d'Oslo. Nous avons beaucoup travaillé pour convaincre notre peuple que cette concession historique était nécessaire et qu'il fallait accepter des conditions pourtant difficilement acceptables.

Lors de la réunion entre le Hamas et toutes les organisations palestiniennes qui s'est tenue à Moscou, nous avons adopté un accord prévoyant la formation d'un gouvernement national sur la base du programme politique de l'OLP. Cela signifie le respect par tous, y compris par le Hamas et le Jihad islamique, des engagements internationaux de l'OLP. Nous remercions le dirigeant russe de son initiative, laquelle nous a permis de parvenir à un accord. Nous profitons des bonnes relations entre la Russie, l'Iran et la Turquie, qui ont la mainmise sur le Hamas et sur d'autres organisations en dehors de l'OLP. Le gouvernement national sera chargé au cours des trois prochains mois d'organiser des élections.

S'il n'y a pas eu d'élections depuis 2006, c'est non pas parce que nous ne voulons pas en organiser, mais parce que Gaza est assiégé depuis dix ans. À cela s'ajoute la division entre les Palestiniens de Gaza et ceux de Cisjordanie. N'oublions pas que les Palestiniens sont tous sous occupation, à Gaza, en Cisjordanie, à Jérusalem-Est. La Palestine devrait-elle être le seul pays au monde à devoir organiser des élections sous occupation ? Non !

Nous voulons des élections, et nous travaillons pour une société démocratique. Nous organisons ainsi des élections dans nos universités. Il arrive même que le Hamas les gagne en Cisjordanie et le Fatah à Gaza. Nous sommes fiers de notre expérience démocratique au sein de l'OLP. Malgré les situations volcaniques au Moyen-Orient, nous avons su préserver le dynamisme démocratique au sein de la société palestinienne.

Cela étant dit, malgré tous les courants politiques religieux qui secouent la région, la société palestinienne ne veut pas de Daech.

En réponse à ce que vous a dit ma collègue, l'ambassadrice d'Israël, je rappelle que nous avons toujours respecté nos engagements et pris nos responsabilités. Nous avons ainsi appliqué tous les accords que nous avons signés, y compris ceux qui concernent la coopération en matière de sécurité. Sans la coopération de l'Autorité palestinienne en matière de sécurité, la situation sera très mauvaise.

Nous alertons les Israéliens : notre patience a des limites. Quarante ans de négociations, c'est suffisant. Il faut trouver une solution. Notre peuple n'est pas prêt à engager cinquante ans de nouvelles négociations, comme l'espérait Yitzhak Shamir lorsque le président Bush l'a obligé à se rendre à Madrid, et à être des esclaves de sa terre.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que nous offre Israël, c'est un apartheid et quelques bantoustans. Les Israéliens veulent en effet annexer 60 % de la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, et faire de Hébron, de Bethléem, de Ramallah des petits Bantoustan pour les Palestiniens. Israël se développe dans un système d'apartheid : il y a des routes pour les Palestiniens, d'autres pour les Israéliens, exactement comme en Afrique du Sud !

Sans pression sur Israël, le gouvernement israélien ne reculera pas. Malheureusement, la société israélienne, je le répète, est kidnappée par une poignée de colons. C'est pour cela que nous effectuons un travail considérable au sein de la société israélienne. Si 1 200 signataires israéliens, issus des forces démocratiques, amis de la paix, ont adressé une pétition à la conférence de Paris, c'est pour tenter de sauver la solution des deux États. Ils voulaient que la France et la conférence de Paris envoient un message à la société israélienne. C'est la raison pour laquelle nous avons soutenu cette conférence : nous nous félicitons que l'un de ses objectifs soit de faire travailler les deux sociétés civiles afin de parvenir à un changement. Les forces de paix en Israël se réduisent de plus en plus en raison de la mainmise de l'extrême droite. Il n'y a pas de différence entre les colons et Daech. Ils se livrent aux mêmes pratiques, chacun à leur façon.

Le transfert de l'ambassade des États-Unis de Tel Aviv à Jérusalem-Est mettrait fin à la solution des deux États. Ce serait reconnaître l'annexion de la Cisjordanie par Israël. Or notre accord de 1988 avec les États-Unis repose sur la résolution 242 des Nations unies, qui prévoit que les terres ne peuvent pas être prises de force. Les territoires palestiniens sont des terres occupées depuis 1967. Toutes les résolutions des Nations unies le disent.

Modifier cette équation, c'est tout changer. Nous sommes prêts non seulement à revenir sur la reconnaissance de l'État d'Israël, mais également à réviser tous les accords. Si la communauté internationale demande aux Palestiniens de respecter les accords qu'elle a signés, elle doit le demander également aux États-Unis. En transférant l'ambassade, M. Trump ne prendrait pas simplement une mesure à titre individuel pour faire plaisir à tel ou tel, il remettrait en cause tout un processus de paix, auquel le monde entier a travaillé. N'oublions pas que le général de Gaulle, le président Mitterrand, le président Chirac, tous les dirigeants français, allemands, suédois, ainsi que la communauté juive aux États-Unis ont tous oeuvré pour faire accepter la solution des deux États. Cette solution n'est pas un cadeau, elle est le fruit d'un travail considérable de la communauté internationale. Un amateur qui se pique d'être président ne peut pas ainsi balayer l'histoire d'un peuple. Cela fait cinquante ans que nous luttons pour recouvrir notre indépendance.

Je sais bien que les extrémistes en Israël et l'extrême droite aux États-Unis poussent à la violence. Pour notre part, nous n'allons pas vers la violence, nous allons vers le droit. Notre combat est un combat du droit contre la force. Nous avons la force du droit.

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