De manière quelque peu poétique, mais aussi très pratique, le professeur Pierre Carli, médecin-chef du Samu de Paris, m'a confié lors son audition que « chaque hélicoptère du Samu a son histoire ».
Nous le savons, dans nos collectivités, le financement par les hôpitaux de rattachement des structures mobiles d'urgence et de réanimation (Smur), qui sont les équipes d'intervention des Samu, permet rarement la location d'un hélicoptère dédié. Ce sont donc les collectivités - les villes, les départements, les régions, plusieurs d'entre elles ou une seule du fait d'un maire ou d'un président particulièrement impliqué - qui permettent de réunir le financement nécessaire pour doter l'équipe d'urgence de moyens héliportés.
Il y a en France, à l'heure actuelle, 45 hélicoptères affectés aux Samu. Ils exercent deux types de missions. Les missions dites de soins primaires impliquent de se rendre sur le lieu de la prise en charge des personnes malades ou blessées pour assurer leur transport vers les services d'urgence. Les missions dites secondaires, ou plus exactement de second temps, sont celles du transport des patients entre hôpitaux pour une prise en charge adéquate ; ces transports ne sont pas nécessairement urgents et peuvent être programmés. Néanmoins, la distinction entre les deux missions doit être relativisée, car certains patients sont d'abord dirigés vers l'hôpital le plus proche pour y être stabilisés, diagnostiqués, avant d'être éventuellement orientés par hélicoptère, en fonction de l'urgence, vers l'établissement disposant du plateau technique adapté à leur état.
Le double impératif de qualité optimale des soins prodigués et de sécurité entraîne nécessairement la concentration des plateaux techniques très spécialisés sur quelques hôpitaux universitaires ou généraux et, par là même, renforce le besoin en moyens de transport médicalisés et rapides. L'attractivité de l'hélicoptère est donc forte.
Les moyens en hélicoptères sont cependant mal répartis et le mode de financement des heliSmur rend leur gestion complexe. Les appareils sont loués à des entreprises qui assurent l'entretien technique et emploient les pilotes. Les possibilités techniques de ces appareils, ainsi que le niveau d'habilitation des pilotes, restreignent souvent l'usage qui peut en être fait.
Les médecins régulateurs des Samu, qui sont les seuls à pouvoir décider d'une intervention médicale d'urgence, ont donc régulièrement recours aux autres hélicoptères de secours disponibles, essentiellement ceux de la sécurité civile. Les hélicoptères de la gendarmerie n'interviennent en effet pour les secours à personne que dans le cadre historiquement délimité du secours en haute montagne.
La question qui se pose est essentiellement celle de l'articulation entre les heliSmur et les hélicoptères de la sécurité civile. On estime en effet que près de la moitié des hélicoptères de la sécurité civile sont en pratique employés pour des activités de transport sanitaire. Ce sont des appareils plus polyvalents avec des pilotes hautement entraînés et habilités notamment au vol de nuit.
Si le Samu peut donc faire appel aux hélicoptères de la sécurité civile, il ne peut en disposer à sa guise. Les appareils ne sont pas forcément basés à proximité des hôpitaux et, surtout, ils sont prioritairement affectés aux missions de sécurité civile pour lesquelles ils ont été créés, et donc pas toujours disponibles.
Tant du côté des Smur que de celui de la sécurité civile, on appelle logiquement à une rationalisation de l'implantation et de l'emploi des hélicoptères en matière sanitaire. L'important travail que nos collègues Catherine Troendlé et Pierre-Yves Collombat ont fait pour la commission des lois sur l'aide à la personne plaide en ce sens. C'est aussi l'objet de la proposition de loi de mes collègues Alain Bertrand, Jacques Mézard et des membres du groupe du RDSE dont nous sommes saisis aujourd'hui.
Celle-ci s'inspire des travaux du Conseil national de l'urgence hospitalière (CNUH) que préside le professeur Carli. Il s'agit essentiellement de confier aux ARS la gestion de l'implantation et de l'emploi de tous les hélicoptères participant au transport sanitaire dans le cadre d'un contrat national, afin de permettre la mise en oeuvre de l'accès aux soins, et pas seulement aux services d'urgence, en moins de trente minutes.
Cette proposition de loi pose effectivement une vraie question, mais ne peut être adoptée en l'état. D'abord, notre commission a déjà donné un avis défavorable à ce texte, présenté sous forme d'amendement au PLFSS. Présenté à nouveau dans le cadre du projet de loi Montagne, et quoiqu'adopté par le Sénat contre l'avis de la commission du développement durable saisie au fond et celui du Gouvernement représenté par le ministre Jean-Michel Baylet, il n'avait pas été retenu dans le texte de la commission mixte paritaire.
Ensuite, sur le fond, gardons-nous de la tentation d'un « hélicentrisme » exagéré. Tous les acteurs en sont d'accord : l'hélicoptère n'est qu'un moyen parmi d'autres pour le transport sanitaire et, même dans les cas d'urgence, il n'est pas toujours le plus approprié. Accessoirement, il est relativement coûteux. Entre le moment où le médecin régulateur des urgences reçoit l'appel et celui où l'hélicoptère peut arriver sur les lieux, plusieurs retards peuvent se cumuler : il faut savoir où se trouve l'hélicoptère du Samu ou celui de la sécurité civile, et dans ce cas combien de temps il lui faudra pour embarquer une équipe Smur, et si les conditions météo et la situation géographique lui permettront de voler et de se poser. Bref, l'avantage sur les véhicules terrestres n'est pas toujours établi. De nuit, donc lorsque seuls les hélicoptères de la sécurité civile peuvent voler, le transport par un véhicule du Smur peut, quand les routes sont dégagées, aller plus vite qu'un hélicoptère indisponible dans l'immédiat.
Il faut donc utiliser l'hélicoptère là où il présente un avantage évident et on ne peut l'envisager indépendamment des transports sanitaires terrestres. Inversement, si l'engagement de rendre partout sur le territoire les soins urgents accessibles en moins d'une demi-heure se justifie par des raisons sanitaires, il n'est pas pertinent pour les déplacements programmés entre hôpitaux. Or la proposition de loi ne pose pas ces distinctions de manière suffisamment claire.
La solution d'une gestion des transports sanitaires héliportés par les agences régionales de santé dans le cadre d'un contrat national aboutit de fait à transférer une part importante des hélicoptères de la sécurité civile aux Samu. Cette solution a le mérite de la cohérence sur le plan sanitaire, mais elle est difficilement acceptable sur le terrain.
Enfin, sur la forme, les mesures proposées relèvent plus certainement du niveau réglementaire.
La question de la gestion des hélicoptères chargés du transport sanitaire appelle pourtant une réponse du législateur. La solution la plus adaptée au plan législatif me paraît être celle préconisée par nos collègues Troendlé et Collombat dans leur rapport. Il s'agirait de mutualiser les hélicoptères au moyen d'un service rattaché au Premier ministre et ne dépendant donc ni du ministère de l'intérieur ni de celui de la santé. La gestion des hélicoptères serait faite à l'échelon le plus adéquat, sans doute la région. Les objectifs assignés à ce service seront ainsi d'assurer le maillage territorial et de garantir l'accès aux urgences en moins de trente minutes. C'est l'objet de l'amendement de réécriture que je vous présenterai, dont l'adoption nous permettrait d'adopter cette proposition de loi.