Je souhaite vous remercier pour cette audition qui illustre les valeurs d'indépendance, d'équité et de professionnalisme de votre institution et de ses membres. Elles sont au coeur de vos missions, comme de celles du CSA, dont j'aspire à devenir l'un des membres. Je remercie le président Larcher d'avoir proposé ma candidature avec objectivité, acuité et bienveillance.
Sa proposition me remplit de force et d'énergie ; j'en aurai besoin pour relever ce formidable défi, qui est d'accompagner et de réguler au mieux la vie et les évolutions du paysage audiovisuel français. Sachez que je suis fière et impressionnée de me tenir devant vous, devant la représentation nationale, afin de vous présenter mon projet pour l'audiovisuel public, de vous décrire plus en détail mon parcours, de vous convaincre de mes compétences, de mon honnêteté et de mon intégrité professionnelle. Si je concède avoir été meurtrie par des attaques récentes, je puis aussi vous confier qu'elles ont renforcé ma détermination à exercer les immenses responsabilités qui incombent à un conseiller du CSA, dont les vertus et la sagesse doivent prévaloir en toute circonstance, afin d'assurer le respect de l'intérêt général.
L'intérêt supérieur de l'État, du citoyen, du téléspectateur et de l'auditeur sont fondamentaux et dicteront mes décisions dans l'exercice de mon mandat.
Le fil rouge de mon parcours, c'est l'amour de l'art et la passion de la culture. Je suis une femme engagée ; à ce titre, j'estime qu'il appartient à chacun de construire pierre par pierre sa propre maison, de la faire grandir et de la protéger, que ce soit sur le plan familial, professionnel ou syndical. J'ai moi-même, ces dernières années, mis mon engagement au service de ma profession, dans bien des organisations.
Dès 1996, j'ai l'opportunité et la chance de rejoindre l'une des plus prestigieuses maisons de vente aux enchères, en collaborant au département « communication » de Sotheby's France, laquelle est alors dirigée par Laure de Beauvau-Craon. Cette première expérience a été pour moi l'occasion d'apprécier toute la mécanique d'organisation des ventes aux enchères impressionnistes et contemporaines à l'anglo-saxonne. Elle m'a donné le goût de la découverte, de l'histoire et du récit.
En 1999, je rejoins, comme chargée de production, l'équipe d'une série documentaire coproduite par la BBC et Arte et portée par la Compagnie des Phares et Balises ; je deviens ensuite directrice de production, puis productrice exécutive, au sein de cette société. Ce métier s'apprend sur le terrain, et je mesure la chance qui m'a été donnée d'être formée par d'excellents professionnels tels que Nick Fraser, le pape du documentaire de la BBC, les producteurs T. Celal, Jean Labib, Marco Cherqui, Tamsin Moufflet, et le réalisateur Christian Poveda. J'ai également pu travailler sur des vidéos musicales réalisées par des cinéastes tels que Jacques Audiard ou Xavier Durringer, qui m'ont appris la rigueur éditoriale et l'exigence créative. Cette expérience aura été capitale pour me former au métier de productrice indépendante, auquel j'aspirais.
Je complète ensuite ma formation, en 2001, en rejoignant Jacques Attali, le fondateur de PlaNet Finance, au sein de laquelle je crée le département « communication et recherche de fonds ». J'ai ainsi pu revenir à mes fondamentaux académiques, à savoir le droit, l'économie et les relations internationales, mais aussi et surtout servir l'intérêt général, en tentant de créer un monde plus juste. Cette expérience de quatre ans, qui, à l'origine, n'en devait durer que deux, ne m'a jamais quittée. Je suis, depuis lors, attachée à ce que l'intérêt général fasse partie intégrante de mon travail.
En 2004, armée d'un bagage plus solide, je reviens à la production et à son financement, avec l'idée de devenir producteur délégué. Je cofonde les Productions Campagne Première avec le réalisateur Martin Meissonnier. La ligne éditoriale se concentre sur les films documentaires ; nous avions en effet la conviction que la réalité dépasse souvent la fiction. Nous accompagnons la naissance de films comme Vraie Jeanne, fausse Jeanne, un documentaire-fiction sur la vie de Jeanne d'Arc, pour Arte, À la droite de Dieu, un documentaire sur l'environnement de George Bush lors de sa réélection en 2004, pour la chaîne australienne SBS et Canal+ Monde. Pour développer la fiction, j'initie un partenariat avec Louverture Films, une société de production américaine dirigée par le réalisateur et comédien africain-américain Danny Glover.
En 2008, Marc Ladreit de Lacharrière et la réalisatrice Yamina Benguigui créent ensemble une société de production, Elemiah TV, dédiée aux jeunes talents. Ils me feront l'honneur de m'en confier la direction générale. De nombreux films verront le jour, dont 93, histoire d'un territoire, documentaire dédié au département de Seine-Saint-Denis, pour Canal+, ou encore la série Aïcha, écrite et réalisée par Yamina Benguigui avec la comédienne Sofia Essaidi, qui réunit plus de 5 millions de téléspectateurs lors de sa diffusion sur France 2.
Trois ans plus tard, à la demande du producteur Denis Poncet, seul producteur français à avoir remporté un Oscar, pour le film de Jean-Xavier de Lestrade également couronné par ce prix, Un coupable idéal, je pars plusieurs semaines pour les États-Unis en vue de développer une mini-série documentaire sur l'ouragan Katrina, pour Sundance Channel. C'est à ce moment que le souhait d'écrire et de réaliser des films est apparu.
Forte de toutes ces expériences, je décide de créer trois sociétés aux activités complémentaires : une société de conseil en financement audiovisuel et cinéma, une autre tournée vers la production audiovisuelle, à laquelle j'adjoins une structure dédiée à la convergence entre le cinéma et le web.
Cette démarche visant à atteindre une totale indépendance n'a pas été facile à accomplir, dans un contexte de concentration accru ; il m'a néanmoins semblé important de la mener à bien, afin d'être davantage en prise avec la fabrication des films.
Le métier de producteur est souvent mal perçu, car méconnu. C'est pourtant le producteur qui recrute les auteurs et les techniciens, accompagne financièrement et moralement le développement d'un film, s'occupe de réunir les fonds nécessaires à sa fabrication. Le producteur est le garant de la bonne fin d'un film. Au sein de ma société de production audiovisuelle, j'ai voulu axer la ligne éditoriale autour de mes thématiques de prédilection, à savoir l'histoire et la culture, l'investigation étant devenu un exercice trop difficile à manier en format unitaire. Le contexte défavorable et l'arrêt brutal d'une production m'ont contrainte à devoir fermer une société. Ce fut douloureux ; heureusement, cependant, aucun salarié n'était alors engagé.
Aujourd'hui, je développe des projets web et cinéma, notamment un long-métrage documentaire sur la genèse du festival de Cannes, voulu par Jean Zay et Philippe Erlanger, et notamment sur l'édition de 1939, qui n'eut pas lieu. Je travaille également, en coproduction avec les États-Unis, sur un long-métrage documentaire qui serait réalisé par Lee Daniels, autour de l'Appolo, théâtre mythique de Harlem.
Si vous décidez de me nommer membre du CSA, il est évident que ces projets seront repris par d'autres ; je me mettrai ainsi en parfaite conformité avec les règles qui régissent cette institution indépendante, et pourrai exercer la mission qui sera la mienne sans craindre un quelconque conflit d'intérêts.
Comme je vous l'indiquais précédemment, je suis attachée à l'intérêt général ; c'est la raison pour laquelle j'ai répondu favorablement à la proposition qui m'a été faite de rejoindre la commission COSIP (compte de soutien à l'industrie des programmes audiovisuels). Cette commission, qui distribue plus de 500 millions d'euros par an et se réunit chaque mois pour traiter plus de 100 dossiers de films documentaires et de fictions, m'a permis de mieux cerner les enjeux du paysage audiovisuel français, radicalement modifié avec l'arrivée de la télévision numérique terrestre (TNT), notamment dans sa dimension économique et éditoriale. Ce fut également le cas au sein de la commission télévision de la PROCIREP (Société des producteurs de cinéma et de télévision), qui alloue des aides aux oeuvres patrimoniales audiovisuelles. Ces expériences m'ont appris la collégialité, ce qui sera très utile dans le cadre de mes fonctions de conseiller.
J'ai siégé pendant deux ans, après avoir été élue, au bureau de l'Union syndicale de la production audiovisuelle, où j'ai pu participer à la rédaction de la réforme du COSIP documentaire et d'accords interprofessionnels. Le PAF et le format de ses oeuvres étant en constante évolution, il était important de régulièrement remettre à plat le système d'aides allouées au programme.
Travailler étroitement avec tous les métiers de la création et avec les parlementaires fut au coeur de mon engagement au sein de l'Association pour la promotion de l'audiovisuel, aux côtés de Jean-François Boyer, son fondateur. Chaque année depuis 14 ans, nous réunissons plus de 700 professionnels dans le cadre d'une journée de débats qui se déroule au studio Gabriel. S'y retrouvent des créateurs, des diffuseurs, des distributeurs, les pouvoirs publics et la représentation nationale, réunis pour débattre des grands enjeux de notre industrie. Notre événement est retransmis sur Public Sénat et TV5 Monde.
En tant que femme productrice, je considère évidemment la question de la parité comme importante. C'est pourquoi, sur proposition de la conseillère sortante Mme Mariani-Ducray, j'ai accepté de rejoindre Mmes Pierre-Brossolette et Laborde, avant le départ de cette dernière, au sein du comité d'orientation du groupe de travail « Droits des femmes » du CSA ; nous y avons notamment travaillé sur la loi de 2015, afin de mieux lutter contre les atteintes faites aux femmes et contre les stéréotypes véhiculés par certains programmes, ou de rendre plus équilibré le tour de table de certaines émissions, en incitant les animateurs et les producteurs à faire appel à davantage d'expertes.
Productrice assumée de programmes patrimoniaux, je n'en reste pas moins très attachée à la diversité du PAF. La spécificité de notre secteur audiovisuel est de garantir la pluralité de l'offre : fiction, information, documentaire. Je suis très attachée à tous les genres, à condition, lorsqu'il s'agit de téléréalité, que règne la bienveillance envers les candidats.
Dans le cadre de mes responsabilités syndicales, tout en reconnaissant et en admirant l'efficacité et le talent des grands groupes de production, lesquels sont nécessaires à la préservation des équilibres économiques du secteur, je me suis attachée à faire ressortir l'intérêt de la production indépendante. Cette dernière représente, dans notre pays, un tissu de plusieurs centaines d'entreprises, créatrices de nombreux emplois.
La télévision va connaître un bouleversement encore plus fort, peut-être même encore plus violent, dans les prochaines années. Malgré les évolutions qui affectent les modalités de réception des images et des sons, malgré les conditions dans lesquelles le public regarde les nombreux écrans disponibles dans chaque foyer, la télévision reste le moyen de communication le plus fédérateur autour de grands événements, et l'un des instruments les plus pertinents pour faire accéder le plus grand nombre à l'information, à la connaissance et à la distraction. C'est notamment pourquoi je serai très attentive à la protection des jeunes publics, trop souvent exposés à des images inappropriées.
Je serai particulièrement attachée à ce que la France, dans toute sa territorialité et dans toute sa diversité, soit représentée. Le virage technologique qui s'annonce devra permettre à notre télévision, trop souvent jacobine, de redonner toute leur place aux régions, devant et derrière la caméra. La télévision est souvent une projection de la vie parisienne, qui ne correspond pas à la vie des Français et au pays réel. Les visions et enjeux de la capitale ne devraient pas être le principal prisme déformant notre société.
La proposition qui m'a été faite par M. le président du Sénat Gérard Larcher est un immense honneur. Si j'ai la chance d'être nommée, je mettrai toute mon énergie à me montrer digne de la confiance qui m'aura été témoignée. Les membres du collège pourront être assurés de mon engagement et de ma détermination au service des missions de l'institution, en particulier la promotion de la qualité des programmes, le renforcement de la place de la création, la défense de l'exception culturelle et des grandes valeurs du service public.