De plus, l'Ondam est contraint. Quand l'hôpital aurait besoin de 4 %, il n'en représente que la moitié. Les plans de retour à l'équilibre sont dès lors inévitables, tout comme la fermeture de lits ou la suppression de postes puisque la masse salariale représente 70 % des dépenses totales. Résultat : mutualisations forcées et polyvalence imposée. Le suicide récent d'une infirmière en Normandie en est un triste exemple. Alors qu'elle était spécialisée en pédiatrie, cette infirmière a été mutée en réanimation, domaine dans lequel elle ne connaissait ni les pathologies, ni le matériel. Le sentiment d'être dangereux pour les patients peut conduire au pire.
La T2A n'est pas adaptée aux pathologies chroniques ni au vieillissement. La logique de standardisation, qui consiste à traiter des groupes homogènes de malades, est aux antipodes de nos valeurs : notre formation nous a appris à considérer chaque personne comme unique. Et voilà qu'on demande de nous d'être des techniciens spécialisés pour des usines à soins ! Notre travail est bien plutôt de prêter attention au patient, de décoder pour lui le discours médical et de l'accompagner dans sa souffrance. L'arrivée d'une logique industrielle à l'hôpital en fait une institution qui maltraite ceux dont le métier est de prendre soin, par exemple en les soumettant à des injonctions paradoxales - accroître l'activité avec moins d'agents - ou en les sommant de rechercher une rentabilité maximale.
Il existe d'ailleurs une vraie maltraitance institutionnelle. Ainsi, l'AP-HP a décidé, en septembre, que tous ses agents devraient alterner, par quinzaine, entre service du matin et service du soir. Pour une infirmière qui élève seul un enfant et qui habite en banlieue - c'est le cas de plus des deux tiers d'entre elles -, comment expliquer à la personne qui garde son bébé qu'elle doit commencer à six heures pendant quinze jours puis finir à 23 heures la quinzaine suivante ? Et l'administration répond qu'elle n'a qu'à embaucher une deuxième personne ! C'est considérer les agents hospitaliers comme des pions dans le cadre d'un management sans ménagement. En les contraignant, de surcroît, à revenir pendant leurs jours de repos ou à enchaîner des gardes, on les pousse à la faute. Du coup, le nombre d'erreurs de soin a augmenté de 48 % en quatre ans et celui des événements indésirables graves double chaque année.
J'en viens enfin à la violence à l'hôpital. Chaque jour, quinze infirmières se font agresser. En effet, en fermant partout de petits services, on engorge ceux qui restent et l'attente aux urgences ne fait que croître. Comme ce sont les infirmières qui trient les patients selon le degré de gravité de leur pathologie, elles sont en première ligne face à leur colère - car il n'est jamais facile d'accepter qu'on vous passe devant, surtout lorsqu'on souffre physiquement. Le nombre et la gravité des agressions augmentent. On passe des insultes aux coups. Or les agents ne sont pas soutenus par leur direction : seules 2 224 des 11 835 agressions enregistrées l'an dernier ont donné lieu à des dépôts de plainte. Scandaleux !