Intervention de Thierry Amouroux

Commission des affaires sociales — Réunion du 1er février 2017 à 9h35
Table ronde sur la problématique de la qualité de vie au travail des personnels hospitaliers avec des représentants des syndicats infirmiers

Thierry Amouroux, secrétaire général du Syndicat national des professionnels infirmiers (CFE-CGC) :

Nous souhaitons un moratoire sur les plans de retour à l'équilibre. Les fermetures de lits ont concerné pas moins de 12 % de la capacité française ! Nous sommes la cinquième puissance mondiale. Une épidémie de grippe survient et la ministre annonce que les opérations non urgentes seront suspendues. La même semaine, elle annonce la fermeture de 16 000 lits de plus cette année !

Il faut faire le lien entre une stratégie macroéconomique et la situation sur le terrain. Oui, nous sommes des professionnels et nous faisons au mieux pour soigner les patients. Mais enfin, nous lisons les études internationales : selon des études publiées dans le British medical journal ou dans le Lancet : sur 19 millions d'hospitalisations en Angleterre, la mortalité augmente de 7 % pour chaque patient supplémentaire dans un service ; une autre étude établit que chaque remplacement d'infirmière augmente le taux de décès de 21 %.

Autrefois, lorsqu'une personne âgée avait besoin d'être requinquée à l'hôpital, on la prenait une semaine à l'hôpital local et elle pouvait revenir chez elle. Maintenant, l'établissement le plus proche est à 50 kilomètres. Ses proches, ses amis, son conjoint ne peuvent pas venir la voir. La personne âgée déprime, reste dans le circuit et passe en long séjour.

Il y a des économies qui tuent des patients. La mortalité a augmenté de 7 % récemment - c'est la première fois depuis l'après-guerre qu'on a de tels chiffres. D'après l'Insee, l'espérance de vie a baissé d'un trimestre pour les hommes et de 4 mois pour les femmes ; ce n'est pas normal !

Il y a des endroits - Australie, Californie - où l'on a augmenté le ratio entre soignants et patients, et pas pour des raisons sociales. Plus de soignants auprès des patients, cela coûte plus cher au départ mais à la fin, on y gagne, avec la diminution des durées de séjour, du turn-over, de la morbidité et des réadmissions. C'est vrai que cela demande quelques années - plus que les cinq ans d'une mandature. Ce n'est pas dans le court terme que veulent les politiques, mais c'est dans un moyen terme assez rapide, puisqu'on observe aujourd'hui les retombées d'une mise en place en 2004-2005.

Nous réclamons une reconnaissance de la pénibilité de la profession. L'espérance de vie d'une infirmière, c'est 78 ans, contre 85 ans pour toutes les Françaises, selon la CNRACL. Le taux d'invalidité, à l'âge de partir à la retraite, est de 30 %, au lieu de 20 %.

Il faut reconnaître à nouveau la pénibilité de notre travail. La réforme des retraites de François Fillon en 2003 avait établi une bonification d'un an tous les 10 ans, qui a été ensuite supprimée par Roselyne Bachelot lors du passage en catégorie A : puisque nous étions mieux payés, notre travail n'était plus pénible... Nous ne vous demandons pas de rétablir des droits datant de l'époque des machines à vapeur pour les conducteurs de TGV, mais bien une mesure de 2003.

Autre revendication, la concordance des temps. Il faut synchroniser les organisations médicales et paramédicales ; cela engendrerait de vrais gains.

La T2A est sans doute adaptée à la chirurgie mais pas aux soins chroniques et à la gérontologie - soit la plus grande part des soins. Il y a plein d'hôpitaux où l'activité augmente, mais à qui on demande de rendre des postes, car il faut bien répartir les diminutions globales qui ont été décidées. Cela n'a pas de sens !

Il faudrait établir une seconde partie de carrière pour les soignants : un jour par semaine, l'infirmier senior serait sorti de l'effectif pour des tâches de tutorat des nouveaux professionnels, des infirmières de suppléance qui arrivent et des étudiants. Il y a aujourd'hui un turn-over si important que cela occasionne des problèmes de transmission des connaissances. Parfois, la plus ancienne infirmière d'un service a deux ans de diplôme ! Ce jour-là, l'infirmier senior pourrait aussi se consacrer à l'accompagnement des patients et des cas complexes.

Il faut revoir le rôle du cadre de proximité ; il doit être avant tout un animateur d'équipe. Le turn-over est de 20 % par an à l'AP-HP ; 30 % des nouvelles diplômées quittent leur métier dans les cinq ans. C'est un véritable gâchis ! Mais, se sentant incapables de tenir 42 ans à ce rythme, elles préfèrent repartir en formation pour devenir assistantes sociales ou professeurs des écoles.

Les budgets de formation existent mais ils sont monopolisés par les formations éloignées du coeur de métier, comme pour l'utilisation d'un nouveau système informatique. Il arrive de surcroît de plus en plus que l'on se voie accorder une formation mais qu'elle soit annulée, faute d'effectifs disponibles suffisants.

Nous réclamons enfin le statut d'infirmière de pratique avancée, au niveau master, qui existe déjà dans 24 pays depuis les années 1960. On en compte 330 000 au total dans le monde. Ces infirmières pourraient prendre en charge les consultations de routine pour les maladies chroniques, ce qui libère du temps médical. Cela représenterait un gain pour l'assurance maladie et une possibilité de progression pour les infirmières. Ce statut resterait minoritaire : cinquante ans après sa création, elles ne représentent que 5 % des effectifs aux États-Unis, soit autant que les infirmières de bloc opératoire, les infirmières anesthésistes ou en puériculture.

- Présidence de M. Gilbert Barbier, vice-président -

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