Cette proposition de loi a été déposée par M. Camille de Rocca Serra et plusieurs de ses collègues en octobre dernier.
Elle met en place un dispositif civil pour sécuriser la possession des biens par le jeu de la prescription acquisitive, et assouplir les règles de gestion des indivisions. Cela s'accompagne de mesures fiscales temporaires visant à inciter les Corses à sortir d'une situation foncière problématique.
Les chiffres avancés par le rapporteur du texte à l'Assemblée nationale, M. Camille de Rocca Serra, sont éloquents : l'absence de titre de propriété concernerait 34 % du total des parcelles en Corse.
Le texte comportait six articles à l'origine ; il n'en compte plus que cinq après que le Gouvernement a levé le gage prévu à l'article 6 au cours de son examen à l'Assemblée nationale. Les articles 1er et 2 concernent le volet civil de la réforme, les articles 3 à 5 regroupent des dispositions de nature fiscale. Nous avons délégué l'examen au fond de ces articles à la commission des finances.
L'article 1er crée un acte de notoriété acquisitive notarié. Dans la version initiale de la proposition de loi, lorsqu'un acte de notoriété notarié constatait une possession répondant aux conditions de l'usucapion, à savoir trente années de possession continue et non interrompue, paisible, publique et non équivoque, l'action en revendication de la personne qui se prétendait le véritable propriétaire du bien était enserrée dans un délai de cinq ans. Ces dispositions étaient applicables non seulement en Corse, mais aussi sur l'ensemble du territoire national, et ce pour les actes de notoriété établis jusqu'au 31 décembre 2027.
La proposition de loi a été modifiée en première lecture à l'Assemblée nationale. Désormais, seule l'action dirigée à l'encontre de l'acte de notoriété acquisitive serait encadrée par un délai de cinq ans. Il serait donc toujours possible d'exercer une action en revendication du bien au-delà des cinq années prévues. Cependant, dès lors que l'acte de notoriété acquisitive est devenu incontestable, la preuve que le possesseur n'est pas dans son bon droit serait plus difficile à apporter.
Par ailleurs, l'Assemblée nationale a estimé opportun de rappeler que la possession pouvait toujours se prouver par tous moyens, l'utilisation d'actes de notoriété acquisitive n'étant qu'une simple faculté. Elle a ensuite précisé la nature de ces actes. Ceux-ci devraient contenir des éléments matériels attestant des qualités et de la durée de la possession ; une publication par voie d'affichage et sur internet était prévue. À ces deux obligations, l'Assemblée nationale a ajouté une obligation de publicité au service de la publicité foncière. Elle a également supprimé le caractère temporaire du dispositif.
Enfin, l'Assemblée nationale a ajouté un nouvel article 2261-2 dans le code civil, selon lequel le possesseur est présumé propriétaire jusqu'à preuve du contraire et, à ce titre, est défendeur à l'action en revendication exercée par celui qui se prétend le véritable propriétaire.
Au fil des auditions, j'ai pu constater que les difficultés foncières liées à l'inexistence de titres de propriété étaient en réalité circonscrites à la Corse et à certaines collectivités ultramarines. Or il n'est pas satisfaisant de répondre à des difficultés locales spécifiques par une règle générale applicable à l'ensemble du territoire, où la propriété est constatée par titre et où la possession acquisitive ne joue qu'à la marge, dans des conditions strictement définies à l'article 2261 du code civil.
Lors de l'examen en première lecture du projet de loi de programmation relatif à l'égalité réelle outre-mer, le Sénat a introduit dans le texte, à l'initiative du Gouvernement, un nouvel article 34 terdecies qui consacre l'utilisation des actes de notoriété acquisitive pour les immeubles situés en Guadeloupe, en Martinique, à La Réunion, en Guyane, à Saint-Martin et à Mayotte, territoires ultramarins qui, comme la Corse, sont touchés par des désordres fonciers. La question est donc sur le point d'être réglée pour les territoires ultramarins, puisque le projet de loi relatif à l'égalité réelle outre-mer devrait être définitivement adopté d'ici peu. Il ne reste plus qu'à rendre ce dispositif applicable en Corse.
C'est dans cette perspective que nos collègues Joseph Castelli et Jacques Mézard ont récemment déposé un amendement au projet de loi de ratification de diverses ordonnances relatives à la Corse, reprenant en grande partie la présente proposition de loi. Cependant, notre commission des lois l'a déclaré irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution.
S'agissant du volet civil, cet amendement transposait pour la Corse l'article 34 terdecies du projet de loi relatif à l'égalité réelle outre-mer. Sur le fond, le recours aux actes de notoriété acquisitive était limité dans l'espace : seule la Corse était concernée. Il était également limité dans le temps, comme le prévoyait la présente proposition de loi dans sa rédaction initiale. Le dispositif ne devait s'appliquer qu'aux actes de notoriété acquisitive établis jusqu'au 31 décembre 2027, date à laquelle le groupement d'intérêt public pour la reconstitution des titres de propriété en Corse (Girtec) cessera de fonctionner.
Cet amendement ne reprenait pas certaines précisions inutiles introduites dans la proposition de loi par l'Assemblée nationale. À cet égard, il revenait aux termes de la proposition de loi initiale et définissait les actes de notoriété acquisitive comme des actes notariés de notoriété qui constatent « une possession répondant aux conditions de la prescription acquisitive », plutôt que comme des actes contenant les éléments matériels attestant des qualités et de la durée de cette possession. Enfin, il supprimait le nouvel article 2261-2 du code civil, qui ne faisait que rappeler l'application de la procédure civile de droit commun.
Pour ma part, j'estime que l'amendement de nos collèges Castelli et Mézard apporte une réponse pertinente à la problématique corse. Mon amendement COM-1 en reprend donc la teneur.
L'article 2 issu des travaux de l'Assemblée nationale prévoit l'assouplissement des règles de majorité applicables en matière d'indivision. Actuellement, le code civil impose une règle de majorité qualifiée des deux tiers des droits indivis pour effectuer les actes d'administration et de conservation d'un bien. Le seuil serait abaissé à la majorité simple lorsque la propriété est acquise par prescription constatée dans un acte de notoriété acquisitive. De même, l'unanimité ne serait plus exigée pour les actes de disposition sur un bien nouvellement titré, à la suite de l'établissement d'un acte de notoriété acquisitive. Une majorité des deux tiers suffirait alors.
Selon les auteurs de la proposition de loi, pour sortir de situations de blocage provoquées par le comportement d'une minorité, voire d'un seul indivisaire « taisant » ou en opposition franche avec les autres, les règles actuelles ne sont pas suffisantes, du moins pas pour les indivisions complexes corses.
Bien que l'article 2 soit très dérogatoire au droit commun, il répond à un véritable besoin. Sans cet assouplissement des règles, l'article 1er serait privé d'effets. Une fois la propriété reconstituée, une fois les droits des différents indivisaires reconnus par des actes de notoriété acquisitive, la situation serait à nouveau bloquée en raison de l'impossibilité pour les indivisaires, souvent nombreux et issus de plusieurs générations, de gérer et plus encore de céder le bien, faute d'unanimité.
Cependant, comme l'ont révélé nos travaux, des détournements de la règle demeurent possibles. Par exemple, alors même qu'elles disposeraient de titres de propriété valables, certaines personnes de mauvaise foi pourraient s'adresser à un notaire pour qu'il établisse, en toute bonne foi, ignorant l'existence de ces titres, un acte de notoriété acquisitive. Ils bénéficieraient ensuite des règles assouplies de fonctionnement de l'indivision et pourraient contourner l'opposition ou le silence d'un indivisaire connu et identifié.
Par ailleurs, s'il présente un intérêt évident pour la Corse, ce texte ne devrait pas pouvoir s'appliquer à l'ensemble du territoire. J'ai donc déposé un amendement COM-2 qui règle ces deux problèmes tout en donnant pleine satisfaction aux Corses.
Quant à l'amendement COM-3, il concerne le droit local d'Alsace et de Moselle.
Dans le projet de loi « Justice du XXIe siècle », le Sénat et l'Assemblée nationale avaient adopté conforme un article modifiant la loi de 1884 concernant le renouvellement du cadastre, la péréquation de l'impôt foncier et la conservation du cadastre des départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin pour rendre la prescription acquisitive applicable dans les départements d'Alsace et de Moselle. Or, cette mesure a été censurée comme cavalier législatif par le Conseil constitutionnel. Mon amendement a pour objet d'introduire cette disposition dans la proposition de loi que nous examinons, puisqu'elle traite de prescription acquisitive et de cadastre.