Intervention de Didier Marie

Réunion du 1er février 2017 à 14h30
Devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre — Rejet en nouvelle lecture d'une proposition de loi

Photo de Didier MarieDidier Marie :

Cette proposition de loi trouve pourtant ses origines dans des principes internationaux auxquels la France a souscrit, quelle que soit la couleur politique de nos gouvernements. Ces textes partent du constat que les chaînes de production, de plus en plus mondialisées, engendrent une extrême fragmentation des chaînes de décision, cloisonnent les responsabilités et organisent une forme d’impunité.

Permettez-moi de le rappeler pour mémoire : les principes directeurs de l’OCDE proclament que les entreprises multinationales doivent respecter les droits de l’homme et parer aux incidences négatives de leur activité ; la déclaration de principe de l’Organisation internationale du travail et le pacte mondial des Nations unies incitent les entreprises à promouvoir les droits de l’homme dans leur sphère d’influence. Les 31 principes de Ruggie, adoptés à l’unanimité par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, affirment que la responsabilité d’une entreprise dépasse les conséquences de ses activités pour embrasser celles de ses partenaires économiques, confirmant ainsi le lien entre maison mère, sous-traitants et fournisseurs.

Cette proposition de loi s’inscrit dans une logique de transparence et d’éthique engagée en France avec la loi de 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, sous le gouvernement Jospin, le Grenelle II, sur l’initiative de M. Borloo, plus récemment la loi pour la reconquête de la biodiversité, qui établit le préjudice écologique dans le code civil, et la loi Sapin II sur la transparence financière et la lutte contre l’évasion fiscale.

Ce texte, enfin, accompagne et généralise un mouvement volontariste du monde des entreprises, lesquelles, ayant compris que le respect de leur responsabilité sociale et environnementale est une composante de leur compétitivité, se dotent d’outils de prévention.

Vous nous dites que ce texte est punitif, stigmatisant pour nos entreprises et contraire à la compétitivité. C’est faux !

Tout d’abord, il vise à mettre en œuvre une obligation de moyen et non pas de résultat : il n’y a pas d’inversion de la charge de la preuve. Les entreprises concernées, qui auront établi et mis en œuvre leur plan, verront leur responsabilité dégagée en cas de dommage. Ce texte n’est aucunement punitif, il est incitatif et préventif.

Ensuite, il tend à sécuriser les entreprises en favorisant un meilleur contrôle de la chaîne de valeur, ce qui permettra d’éviter des coûts de réparation et de dédommagement en cas d’accident. Avouez qu’il est tout de même plus intelligent de consacrer des ressources à élaborer des dispositifs de prévention que de provisionner un éventuel sinistre.

Enfin, nos entreprises ont compris que la mise en œuvre de leur responsabilité sociétale est un plus en termes de compétitivité. La majorité d’entre elles s’est engagée à instaurer de bonnes pratiques, et il est regrettable que ces bons élèves soient défavorisés au regard de concurrents moins vertueux.

Chers collègues, nous ne sommes plus dans le monde de Milton Friedman, qui considérait que la responsabilité sociale de l’entreprise est de faire du profit. Les entreprises vivent et prospèrent désormais dans un environnement social dont elles tiennent compte. Avoir une bonne réputation est un argument de compétitivité. L’inverse peut coûter cher.

Vous nous dites également que ce texte n’est pas sûr juridiquement. Nous avons pris en compte vos remarques. C’est d’ailleurs tout l’intérêt du bicamérisme et de la navette : ils permettent d’améliorer les textes en confrontant les différents arguments.

Aussi, vous l’aurez remarqué, ce texte a été sensiblement amélioré au fur et à mesure des différentes lectures, grâce à un dialogue constructif entre la société civile, le Parlement et le Gouvernement. Je voudrais à cet égard remercier les ministres concernés de leur investissement personnel et de celui de leurs services, qui nous ont permis d’aboutir à cette ultime version.

Permettez-moi, pour lever toute ambiguïté, de revenir sur quelques-unes des objections que vous formulez.

Vous regrettiez le flou du champ d’application des obligations de vigilance. Il a été précisé, sur le modèle de la loi Sapin II, par une liste détaillée des mesures qui devraient nécessairement faire partie du plan de vigilance. Vous contestez le renvoi à un décret pour de plus amples précisions. C’est méconnaître l’émergence de nouveaux risques à prendre en compte. Je pense notamment aux entreprises agissant dans des zones de guerre soumises au terrorisme, qui devront adapter et compléter leurs mesures de vigilance, pour prévenir toute mise en cause similaire à celle, récente, d’un grand groupe français du BTP.

Vous pointez du doigt des incertitudes s’agissant de la définition du champ exact des fournisseurs et sous-traitants. La condition de l’existence d’une « relation commerciale établie » permet de limiter le périmètre aux « partenariats dont chacun peut raisonnablement anticiper la poursuite pour l’avenir », tels que définis par la jurisprudence.

Vous contestez les modalités d’élaboration du plan en association avec les parties prenantes, au nom du principe de clarté et d’intelligibilité de la loi. C’est méconnaître ce qu’est une démarche RSE, qui implique tous les acteurs de la société, au premier rang desquels les partenaires sociaux, démarche aujourd’hui maîtrisée et partagée par toutes les entreprises s’engageant dans cette voie.

Vous remettez en cause le principe de proportionnalité des peines et considérez que l’amende civile de 10 millions d’euros a le caractère d’une punition. C’est éluder ce qui est écrit.

L’amende encourue en cas de manquement est désormais modulée en proportion de la gravité des faits, en considération des circonstances de leur commission et en fonction de la personnalité de son auteur. Une somme de 10 millions d’euros est un montant maximum en cas de défaut de plan et en l’absence de dommage. Il est donc parfaitement cohérent qu’elle puisse être portée à un maximum de 30 millions d’euros si le risque n’a pas été pris en compte et qu’une catastrophe survient.

Enfin, vous considérez que le texte méconnaît le principe de responsabilité, puisqu’il permet d’engager la responsabilité d’une société du fait de la faute d’un tiers dont le lien de causalité n’est pas clairement démontré.

D’une part, l’article 2 a été complété, puisqu’il est précisé que peut être engagée la responsabilité civile d’une société dont le manquement à son obligation a eu pour conséquence la survenue d’un dommage, alors que sa satisfaction aurait permis de le prévenir.

D’autre part, il est désormais prévu que la procédure de sanction ne pourra être engagée qu’à l’égard d’une société préalablement mise en demeure et n’ayant pas respecté ses obligations.

Cette responsabilité pourra être recherchée par toute personne ayant un intérêt à agir, comme il est d’usage en droit des sociétés.

Votre dernière objection à ce texte, c’est qu’il est de portée nationale, ce qui exposerait nos entreprises à une distorsion de concurrence.

Outre ce que j’ai dit précédemment sur l’intérêt pour leur réputation qu’elles peuvent tirer d’une démarche exemplaire, l’histoire montre que toutes les avancées sociales et sociétales se sont faites par la volonté politique, par la loi qui affranchit. La France, souvent en pointe en la matière, a ouvert la voie à une généralisation des bonnes pratiques. Je le rappelais en première lecture, ce fut le cas avec l’abolition de l’esclavage, avec la protection des ouvriers face aux accidents du travail, avec l’introduction de l’obligation d’une comptabilité transparente. Il en fut de même, plus récemment, avec le reporting non financier, initié par la loi NRE, qui a abouti à une directive.

Chaque fois, au nom de la compétitivité, une partie plus ou moins importante du patronat, relayée par une partie des conservateurs, s’est opposée à ces évolutions. Chaque fois, ces mesures se sont traduites non seulement par un plus grand respect des droits humains et une amélioration des conditions de travail des salariés, mais aussi par une amélioration des performances des sociétés.

Nous ne partageons pas l’idée selon laquelle les droits des ouvriers, fussent-ils au bout du monde, entraveraient la prospérité des entreprises. Nous n’acceptons pas que des enfants travaillent, que des êtres humains soient exploités, sans protection sociale ni salaire correct.

Ne pas vouloir imposer ce devoir de vigilance, c’est pénaliser les entreprises vertueuses ; c’est peser à la baisse sur nos standards nationaux en matière de protection sociale, de droits des salariés, de protection de l’environnement, de lutte contre la corruption ; c’est inciter aux délocalisations. C’est finalement donner une prime aux mauvaises pratiques et considérer qu’elles seraient une condition de la compétitivité, ce qui n’est ni vrai ni acceptable. L’éthique est non pas un supplément d’âme, mais la raison même de l’action économique, qui fournit des biens et services dans une société qui les souhaite mais veut qu’ils soient produits en respectant les droits de l’homme et en protégeant notre planète pour les générations futures.

Ce texte n’est pas un texte politique ou idéologique, contrairement à ce que vous dites. C’est un texte humaniste, au sens universel. Il aurait dû nous rassembler, mais vous avez fait le choix de l’entraver.

Oui, la France est en pointe ! Oui, nous œuvrons pour que cette loi soit suivie d’une directive européenne ! Oui, ce texte honore notre pays et rappelle notre histoire ! Oui, mes chers collègues, ce texte rappelle que nous sommes le pays de la Déclaration universelle des droits de l’homme et que nous nous inscrivons pleinement dans cette filiation !

Vous l’aurez compris, nous ne voterons pas la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

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