Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, mes propos ne seront guère différents de ceux que j’ai déjà tenus à plusieurs reprises sur ce texte. J’indiquais notamment combien il était malaisé d’analyser les initiatives ayant l’apparence de la supériorité morale. Les meilleures volontés, nous le savons bien, peuvent être à l’origine d’un véritable cauchemar, surtout lorsqu’elles se manifestent dans un domaine saturé d’émotion. Or l’émotion était vive lors du drame du Rana Plaza !
Aussi noble que soit ce texte, il n’aurait pas empêché un tel drame : une réponse franco-française est totalement inadaptée, surtout quand les choses évoluent continuellement aux plans européen et international. C’est pourquoi une réponse européenne et internationale est nécessaire. C’est le cas avec les principes directeurs de l’OCDE, relayés par les points de contact nationaux, les PCN, qui aident les entreprises et leurs parties prenantes à adopter une conduite responsable dans la chaîne d’approvisionnement. Le drame du Rana Plaza avait d’ailleurs donné lieu à la saisine du PCN français. Celui-ci avait rendu son rapport dès décembre 2013. Il comprenait des recommandations et des propositions pour faire évoluer les pratiques des entreprises françaises, sur la base d’un dialogue et d’un consensus entre les différentes parties : syndicat, administration, entreprise.
Monsieur le secrétaire d’État, pourquoi la France ne transpose-t-elle pas la directive européenne du 22 octobre 2014 relative à la publication d’informations extrafinancières ? Celle-ci prévoit la promotion de plans de vigilance fondés sur le principe « appliquer ou expliquer » : les sociétés ne mettant pas en œuvre de politique dans un ou plusieurs des domaines visés – informations environnementales, sociales, de personnel, de respect des droits de l’homme et de lutte contre la corruption – devront s’en justifier publiquement. C’est là un mécanisme à la fois responsable et incitatif.
En anticipant sur la publication de cette directive et en élargissant le champ d’application des dispositifs prévus, les auteurs de ce texte infligent aux entreprises françaises des obligations qui n’existent nulle part ailleurs en Europe, plaçant ainsi celles-ci dans une position non concurrentielle.
Une réponse franco-française à la question posée n’est pas adaptée. C’est bien là l’erreur majeure du présent texte !
Je rappelle d’ailleurs que les entreprises françaises ont d’excellents résultats en matière de RSE, ou responsabilité sociétale des entreprises. Une étude du mois de mars 2015, menée par EcoVadis et la médiation interentreprises, montre que la France fait figure de leader mondial en la matière : « 47 % des entreprises françaises ont un système de management de la RSE considéré comme performant et exemplaire » ; cette proportion est de 40 % en moyenne dans l’OCDE et de 15 % seulement dans le groupe des BRICS – Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud.
Le dispositif proposé aurait un effet pervers sur les entreprises françaises, tant pour les multinationales que pour les PME. Il entraînerait pour elles un désavantage compétitif supplémentaire, et ferait courir le risque, à terme, d’une suppression d’emplois en France. La situation de l’emploi est-elle si florissante ? Les entreprises françaises sont-elles en si bonne santé ?
Le cabinet ATEXO, que la délégation aux entreprises a chargé d’une étude sur la portée économique de cette proposition de loi, a estimé que cette dernière concernerait entre 146 et 243 entreprises, auxquelles il faudrait ajouter leurs filiales, directes ou indirectes. Le chiffre peut paraître faible, mais ces 243 entreprises représentent en réalité plus de 4 millions de salariés, plus de 33 % de la valeur ajoutée produite en France et plus de 50 % du chiffre d’affaires à l’export ! Il est donc aisé de comprendre que la proposition de loi aurait un effet sur de très larges pans de l’économie française.
En outre, sur le plan pratique, les entreprises seraient confrontées à l’impossibilité de mettre en œuvre cette obligation de vigilance sur toute leur chaîne de sous-traitants et de fournisseurs. Telle est la réalité, en particulier, pour les TPE et PME françaises. Ces entreprises seraient contraintes de demander des garanties et des plans de vigilance en cascade, créant un poids administratif et financier supplémentaire. Serait ainsi soulevée une chaîne de responsabilités complexes ouvrant la perspective de nombreux contentieux – l’apparition d’un dommage dans la chaîne de sous-traitance serait en effet la preuve de l’insuffisance de l’entreprise, qui n’aurait pas été en mesure de le prévenir.
Or les entreprises françaises ne cessent d’attirer notre attention sur le poids du fardeau administratif, qu’elles nous demandent avec insistance d’alléger.
Par ailleurs, les fragilités juridiques du texte sont nombreuses. Nous les avons soulignées au fil des débats. Nous avons également mis en exergue les principes constitutionnels que cette proposition de loi heurtait.
Quoi qu’il en soit, le groupe Les Républicains du Sénat ne peut soutenir un texte qui promeut une vision idéologique de l’entreprise. Évitons la caricature d’un chef d’entreprise irresponsable et irrespectueux du droit de la protection des salariés et de l’environnement !
Nous partageons tous le constat du manque de compétitivité des entreprises françaises ; ne leur mettons pas au pied, avec un tel texte, des boulets supplémentaires ! Ce qu’elles nous demandent, comme nous le constatons à longueur de visites de la délégation aux entreprises, c’est de les laisser travailler en toute responsabilité.
De grâce, écoutons-les ! Ce sont elles qui, dans nos territoires, créent la richesse et l’emploi.