Nous poursuivons nos auditions consacrées à la question de la qualité de vie au travail des personnels hospitaliers en accueillant ce matin les organisations représentatives de praticiens. Nous avons déjà entendu les représentants du ministère de la santé, de la fédération hospitalière de France, de l'AP-HP et de la Haute Autorité de santé, puis, la semaine dernière, les représentants des organisations représentatives des syndicats infirmiers. Je crois que le constat des difficultés actuellement ressenties par les personnels hospitaliers n'a pas été contesté, y compris par les représentants des établissements et ceux du ministère de la santé, même si bien entendu des nuances sont apparues dans la mesure du phénomène et l'identification de ses causes. Il nous paraît important de pouvoir distinguer ce qui relève des contraintes générales auxquelles font face les établissements, confrontés à une activité plus soutenue que la progression des budgets, et ce qui tient davantage de l'organisation interne et du mode de fonctionnement des services.
Je remercie de leur présence ce matin : le Dr Jean Marie Scotton, du Syndicat national des médecins des Hôpitaux Publics ; le Dr Alain Jacob, délégué général de l'Intersyndicat national des praticiens Hospitaliers ; le Dr Max-André Doppia, président d'Avenir hospitalier ; le Dr Jacques Trévidic, président de la Confédération des praticiens des hôpitaux (CPH) ; le Dr Rémy Couderc, secrétaire national de la Coordination médicale hospitalière (CMH).
Docteur Jean Marie Scotton, du Syndicat national des médecins des Hôpitaux Publics (Snam-HP). - J'exerce depuis plus de trente ans ; j'ai été praticien hospitalier, chef de service, chef de pôle, membre de la commission statutaire nationale compétente pour les praticiens hospitaliers au sein du conseil national de gestion (CNG).
Les risques psychosociaux à l'hôpital relèvent soit de cas individuels, soit de situations collectives dégradées. Les problèmes personnels relèvent de conflits entre médecins, au sein du corps soignant, ou entre l'administration et les médecins. Le recrutement est un moment-clé. J'ai constaté les évolutions depuis la loi portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi HPST, en 2009. Avant, les candidatures étaient examinées et débattues collectivement au sein de la commission médicale d'établissement (CME). Celle-ci constituait un espace de dialogue social majeur. Les candidatures étaient examinées collégialement et les médecins étaient recrutés par consensus. Depuis, les pouvoirs ont été confiés aux chefs de pôles, au détriment des chefs de service. Au CNG, arrivent souvent des dossiers où les années probatoires ont été refusées. Quand on creuse un peu, on constate que les recrutements sont réalisés sans consultation, sans définition préalable d'un profil de poste, sans définition de la continuité des soins, etc. De même, certains directeurs, peu heureusement, abusent de leur pouvoir : procédures d'insuffisances professionnelles infondées, suspensions arbitraires, rapports à charge, etc. Cela est très dur à vivre pour les praticiens.
Les situations collectives dégradées sont un autre facteur de risque psychosocial. Les chefs de service ont été affaiblis. Les conseils de service ont disparu. Ils constituaient pourtant un lieu d'échange important permettant au chef de service de présenter son projet, d'associer les médecins et le personnel. Aujourd'hui, chacun se sent isolé. En outre, l'hôpital a perdu en attractivité. On a des équipes médicales qui tournent grâce à des remplacements, avec peu de communication ; le sentiment d'isolement des médecins en souffrance s'accroît. Leur détresse est souvent méconnue, ce qui conduit à des drames. La charge de travail a aussi augmenté à cause de la tarification à l'activité (T2A) et de l'accroissement des tâches administratives. La permanence des soins impose des contraintes lourdes. Certaines catégories sont soumises à un stress élevé : urgentistes, chirurgiens, obstétriciens, etc. Impossible pour eux de se soustraire à trois jours de garde consécutifs car il faut faire face.
Enfin, il faut évoquer les restructurations. Les groupements hospitaliers de territoire (GHT) sont précédés de préfigurations par le biais de conventions. Le déploiement de l'activité sur plusieurs sites s'effectue dans un contexte de restrictions budgétaires. Les jeunes médecins sont souvent obligés d'aller faire des gardes dans un établissement voisin, qui sont considérées comme des astreintes, au mépris des textes, sans respect des obligations de repos compensateur. L'IGAS préconise aussi des modalités d'organisation innovante des ressources médicales par groupe d'établissements. Mais les situations sont très variables. Derrière le projet médical partagé se cache parfois un ostracisme inacceptable. Si un service ferme dans le cadre d'une restructuration, il suffit que le nouvel établissement ne veuille pas des médecins en place pour que ceux-ci se retrouvent sans affectation ! C'est un facteur de stress important. Les commissions régionales paritaires et le CNG doivent avoir leur mot à dire dans ces cas-là.
Enfin, dans certaines situations potentiellement à risque, comme une procédure judiciaire ou une suspension brutale, les personnes devraient aussi pouvoir bénéficier d'un soutien psychologique, au-delà de la protection juridique, qui est à la discrétion du directeur. Une collègue me faisait part du stress qu'elle avait ressenti en recevant la convocation d'un juge. Le médecin se sent seul dans ces cas-là. Un cas de détresse très médiatisé m'a ému. Les médecins se sont retrouvés seuls, presque bannis de l'hôpital, leur maison cernée par les journalistes. Je n'oublierai jamais l'image de ce collègue allongé comme un gisant en salle de réanimation, avec sa femme à ses côtés, après une tentative de suicide...Il faut réfléchir à une prise en charge individualisée dans les situations de grande vulnérabilité.
Docteur Alain Jacob, délégué général de l'Intersyndicat national des praticiens Hospitaliers (INPH). - On parle toujours de ce qui ne marche pas, rarement de ce qui fonctionne. On parle des trains qui sont en retard, jamais de ceux qui arrivent à l'heure ! Évoquer les difficultés de l'hôpital public ne doit pas faire oublier qu'il assure sa mission, les avancées technologiques réalisées, les réorganisations réussies, etc.
La médecine est un exercice difficile par nature avec des contraintes fortes, des tensions psychologiques importantes. La baisse du numerus clausus s'accompagne d'une pression sur la démographie médicale à l'hôpital avec un accroissement de la charge de travail et des tensions. La question de l'attractivité de la médecine à l'hôpital, que la ministre s'efforce de renforcer, est aussi posée. Les conditions proposées aux jeunes praticiens ne les incitent probablement pas à consacrer leur carrière à l'hôpital comme leurs prédécesseurs ; désormais, les mobilités sont plus fortes, il faut en tenir compte. La T2A a sans doute été un progrès en reconnaissant les différentes activités et l'activité réalisée mais elle a fait passer l'argent au premier plan, dans la conduite des stratégies hospitalières, au détriment de la notion de service rendu et du sens de nos missions. La loi HPST, s'il elle a eu des avantages, a éloigné le praticien des centres de décision avec l'organisation polaire des établissements. Le lieu de décision a migré du service vers le pôle et les médecins se sentent dessaisis. Les GHT renforcent ce risque d'éloignement. Les notions de service médical et d'équipes de soin ne sont pas suffisamment mises en avant.
Les systèmes d'information sont axés autour du dossier médical et de la tarification. Ils ont une visée financière et les praticiens ont le sentiment de perdre le sens de leur pratique. Ces facteurs sont des sources d'inquiétudes, de tensions, qui peuvent aboutir, dans des cas extrêmes, à des situations dramatiques. Les difficultés sont souvent tues ou étouffées jusqu'à ce que la situation explose, devienne insupportable, avec des conséquences lourdes - blessures ou suicides. La ministre va mettre en place des outils pour traiter ces difficultés en amont : des instances de conciliation au niveau local, émanant de la commission médicale d'établissement (CME), seront créées ; les commissions régionales paritaires seront dotées d'une structure de prévention et de résolution des conflits ; un médiateur national, M. Édouard Couty, a été nommé.