Intervention de Catherine Génisson

Commission des affaires sociales — Réunion du 8 février 2017 à 9h05
Table ronde sur la problématique de la qualité de vie au travail des personnels hospitaliers avec des représentants des syndicats des praticiens hospitaliers

Photo de Catherine GénissonCatherine Génisson :

Très bien !

Docteur Alain Jacob. - Ces outils ne pourront être utiles que si l'on réfléchit aux causes des difficultés, du désarroi. Il faut travailler en amont.

Docteur Max-André Doppia, président d'Avenir hospitalier. - Nous sommes très honorés d'être reçus en tant que représentants syndicaux. Mon syndicat, Avenir hospitalier, représente environ un quart des praticiens hospitaliers. Nous possédons une expertise en matière de risques médico-sociaux. Les chiffres sont trop élevés, même si je suis choqué d'entendre dire parfois que le taux de suicide à l'hôpital n'est pas plus élevé qu'ailleurs. Le suicide ne constitue que la partie émergée des risques psychosociaux à l'hôpital. L'essentiel n'est pas visible ; les pouvoirs publics ont du mal à entendre ces souffrances qu'en tant qu'acteurs de terrain nous connaissons bien et dont nous sommes les porte-paroles. Les Français, à 85 %, plébiscitent l'hôpital public, son efficacité. Pourtant les professionnels s'y sentent moins compris qu'avant, ils ont le sentiment que le sens de leur mission n'est plus clair, subissent des contraintes immaîtrisables à cause d'une réglementation sans cesse changeante.

Dans ce contexte, je voudrais vous rappeler qu'en France, le stress au travail coûte un milliard d'euros, soit un septième du déficit de l'assurance maladie. Ce chiffre atteint 200 milliards de dollars par an aux États-Unis et il représente 10 % du PIB au Royaume-Uni. La problématique de l'épuisement professionnel au travail dépasse donc nos frontières, comme elle dépasse le seul cadre de l'hôpital.

Il faut donc se saisir réellement de ce problème de santé publique et aller au-delà des bonnes intentions et de la bienveillance.

Je le redis, l'hôpital continue, malgré cela, de fonctionner, mais les professionnels, eux, commencent à tituber et, parfois, s'effondrent. Pensons à cet infirmier qui s'est suicidé il y a quelques jours ! Et dire simplement que c'est pareil dans d'autres secteurs ne fait pas avancer les choses...

Auparavant, nous connaissions un consensus sur le sens du travail et de la mission à l'hôpital public, qui comprenaient un engagement et une part de gratuité. Vous non plus, mesdames et messieurs les sénateurs, vous ne comptez pas votre temps de travail. C'est pareil à l'hôpital : une large part du travail ne peut pas se tarifer, se mesurer, s'analyser dans un but strictement gestionnaire. Nous appelons cela le collectif de travail et, personnellement, je pense que ce collectif est en danger.

Le constat est clair : il existe bien, à l'hôpital, une souffrance au travail. Plusieurs études internationales - PRESST-NEXT pour les paramédicaux et SESMAT « Santé et satisfaction des médecins au travail », étude que j'ai pilotée avec Madeleine Estryn-Béhar - ont documenté le phénomène : 42 % de burn-out chez les médecins hospitaliers et 15 % d'intentions d'abandon de la profession.

Les déterminants de cette situation sont à chercher, en particulier, dans l'insuffisance du travail d'équipe, l'isolement et l'absence d'espaces de délibération. Dans n'importe quelle entreprise, tous les services se réunissent régulièrement pour faire le point. Cela n'existe pas à l'hôpital.

En tant qu'organisation syndicale, nous revendiquons l'expertise qui est la nôtre en la matière, car depuis longtemps, nous travaillons avec les chercheurs qui ont mis ces difficultés à jour.

D'ailleurs, mon organisation syndicale a invité, en 2001, le docteur André Lapierre, fondateur, en 1991, d'un programme d'aide aux médecins du Québec, destiné à prendre en charge les praticiens qui connaissent des addictions. Le docteur Lapierre nous avait notamment expliqué que les problématiques liées à la santé mentale avaient explosé. En effet, des réformes avaient été menées en quelques mois et les professionnels, praticiens, paramédicaux et gestionnaires, en étaient déboussolés. En vingt ans, 20 % des médecins du Québec ont fait appel à ce programme d'aide.

En France, nous n'avons rien ! C'est seulement depuis quelques mois que les pouvoirs publics semblent s'intéresser à cette question importante de santé publique, qui a des conséquences sociales (abandon de profession, suicide...), mais aussi en termes de qualité des soins, comme Véronique Ghadi, chef de projet à la Haute Autorité de santé, vous l'a indiqué lors de son audition.

Nous développons notre expertise au travers de différents outils comme l'observatoire de la souffrance au travail des praticiens hospitaliers, que nous avons créé. Les praticiens peuvent déclarer en ligne et, malgré le caractère non anonyme, mais confidentiel, des informations, 20 % des médecins indiquent avoir déjà eu des tendances suicidaires. Voilà la réalité !

En tout cas, tout cela correspond à un changement culturel profond. Je rappelle que nous avons mis des années à faire appliquer la directive européenne 93/104/CE, qui n'a été transposée dans notre statut qu'en 2002 et qui ne s'applique toujours pas aux internes. La prise en compte concrète de la santé au travail fait donc face à une formidable inertie des pouvoirs publics.

Par ailleurs, je note que les directeurs d'hôpitaux sont évalués sur des critères financiers et non sociaux, ce qui est tout de même surprenant. Il existe donc une forme de déresponsabilisation des gestionnaires.

En ce qui concerne le niveau de l'Ondam, il faut certes être pragmatique mais, si on laisse entamer à ce point les fondements mêmes de l'hôpital public, la cocotte-minute risque d'exploser, du fait de la souffrance de l'ensemble des personnels médicaux, paramédicaux et administratifs, y compris d'encadrement.

Je ne vais pas être trop long et j'imagine que vous allez nous interroger sur les moyens de régler cette question. Je souhaite simplement conclure sur le fait que nous entendons prendre toute notre place pour construire un « mieux-être » hospitalier.

Docteur Jacques Trévidic, président de la Confédération des praticiens des hôpitaux (CPH). - Je souhaite tout d'abord remercier la commission des affaires sociales d'organiser ces tables rondes sur la qualité de vie au travail des personnels hospitaliers. Il s'agit d'une préoccupation récente des pouvoirs publics, les journaux en parlent régulièrement et il nous faut aujourd'hui trouver des solutions. Je vous ai adressé une contribution générale, que je me propose de vous résumer.

L'hôpital n'est pas une organisation unique et simple, certaines choses marchent, d'autres non. Et parfois, dans un même établissement, il peut y avoir des difficultés dans un service, pas dans les autres. Ne faisons pas de règle générale et examinons les situations au cas par cas.

On constate toutefois que, depuis dix ans, les difficultés se sont nettement aggravées, spécialement depuis la loi HPST qui a détruit les espaces de dialogue (conseils de service ou de pôles...) et a introduit un management nettement plus vertical. Ainsi, la prévalence des situations d'épuisement professionnel est devenue très importante.

Ces difficultés proviennent notamment de l'intensification de l'activité, qui ne touche pas seulement les urgences. Nous connaissons un véritable effet de ciseaux : la demande de soins n'a jamais cessé de croitre, alors même que nous subissons une pénurie de personnel due à la démographie médicale. La baisse du numerus clausus décidée il y a de nombreuses années, mais dont nous subissons aujourd'hui les conséquences, constitue une véritable erreur stratégique ; elle a par exemple entraîné le recrutement de professionnels étrangers qui ne disposent pas des mêmes qualifications. En outre, les carrières hospitalières sont insuffisamment attractives au regard d'autres modes d'exercice, notamment en termes de rémunération.

Depuis de très nombreuses années, le financement de l'hôpital public est sous pression, c'était déjà le cas du temps de la dotation globale, ça l'est resté avec la tarification à l'activité. La T2A a induit une pression à la fois collective et individuelle, puisqu'il est finalement demandé aux praticiens de faire de plus en plus d'actes. Cette pression dégrade certainement la qualité des soins.

L'insuffisance de la capacité à manager les ressources humaines constitue un autre problème de fond, qui n'est - il est vrai - pas propre à hôpital... Il n'existe aucun enseignement sur ces questions pour les professionnels hospitaliers. Aujourd'hui, le management est principalement vécu comme vertical, ce qui n'est ni acceptable ni souhaitable. Il faut laisser de la place à la démocratie interne, en particulier pour que les agents puissent exprimer leur ressenti.

Autre problème récurrent de l'hôpital public, l'absence de suivi et de prévention quant à la santé des praticiens hospitaliers, ce qui crée parfois des situations douloureuses. Il s'agit en partie d'un problème culturel, d'où l'importance de la sensibilisation, mais aujourd'hui, rien n'est fait.

Les organisations syndicales de praticiens hospitaliers sont reconnues aux niveaux national et régional, mais pour des raisons historiques, elles n'ont aucune place dans l'hôpital lui-même. C'est une situation incroyable ! Nous pourrions pourtant relayer des situations de souffrance au travail. L'inspection générale des affaires sociales, qui a récemment publié un rapport sur les risques psychosociaux des médecins à l'hôpital, propose de faire une place aux syndicats de praticiens hospitaliers dans les nouveaux comités territoriaux de dialogue social.

Le temps de travail joue un rôle important dans l'épuisement professionnel. Pour la plupart des praticiens, il est défini en demi-journées et personne ne sait réellement ce que ça représente... Certes, la directive européenne fixe une limite hebdomadaire de 48 heures, mais comment la vérifier si les demi-journées ne sont pas traduites en heures ? Beaucoup de collègues, en particulier lorsqu'ils font des gardes sur place, dépassent largement les 48 heures, mais sans que cela ne soit explicite, puisque le calcul est fait en demi-journées ! Je prends un autre exemple : les nuits représentent deux demi-journées, alors que, dans le planning, elles recouvrent souvent 14 heures... Ce flou ne permet pas de vérifier les choses et ne constitue qu'un repoussoir pour les jeunes professionnels, qui souhaitent un meilleur équilibre entre vies professionnelle et personnelle.

Permettez-moi une dernière remarque. En lisant les comptes rendus des précédentes auditions que vous avez réalisées, j'ai vu que la question des 35 heures est systématiquement remise sur le tapis. On ne peut qu'en être agacé... Cette réforme a été introduite voilà quinze ans ! On peut donc arrêter de dire que tout est de sa faute. Il est vrai que, dans les années soixante, on renvoyait encore la faute aux congés payés... Ce sujet est clivant politiquement, mais il faut tourner la page, car dans les organisations de travail, cela ne veut plus rien dire !

Docteur Rémy Couderc, secrétaire national de la Coordination médicale hospitalière (CMH). - Je tiens aussi à remercier la commission de cette invitation à parler de la pénibilité et de l'attractivité. Ce sont en effet des éléments très importants qui doivent être pris en compte quand on réfléchit à l'avenir de l'hôpital.

Rappelons tout d'abord la faible capacité des médecins à avouer leur propre souffrance au travail ! Il existe une forme de tabou social sur ces sujets. Les choses évoluent, mais très lentement, et beaucoup de choses restent à faire.

Comme cela a été dit, des enquêtes ont clairement montré la réalité de la souffrance au travail des médecins, en particulier PRESST-NEXT. Je ne citerai que deux chiffres : 43 % de personnes déclarent une souffrance au travail et 15 % ont l'intention de quitter la profession. Depuis ces enquêtes, qui ne datent pourtant que de quelques années, la situation a perduré, d'autant que plusieurs réformes sont intervenues entre-temps.

Que signifie la pénibilité quand on parle du corps médical ?

Cela provient d'abord du travail de nuit en horaires alternés, ce qui correspond à la permanence des soins. Il existe, en effet, un flou dans la comptabilisation de ces horaires de nuit, puisqu'une demi-journée équivaudrait finalement à sept heures de travail... On voit bien qu'il faut mettre tout cela à plat.

La pénibilité ne se limite pas au travail de nuit. Elle inclut aussi le travail en milieu délétère : présence d'agents chimiques dangereux ; risques d'exposition aux radiations ionisantes ou au bruit ; risques microbiologiques, viraux et bactériens ; postures pénibles ; port de charges lourdes ; travail répétitif... Il existe donc bien une pénibilité spécifique. Autre exemple : aux urgences ou en réanimation, le travail est très fractionné, ce qui crée une pénibilité particulière.

Il faut aussi souligner la question de la démographie médicale : dans nombre de disciplines, en particulier celles avec horaires alternés, le nombre de postes vacants est très important. Cela crée aussi une forme de pénibilité.

Sur tous ces sujets, l'employeur a une obligation de prévention des risques psychosociaux, mais aussi d'évaluation. Or, cette évaluation reste tout à fait embryonnaire. Les différentes instances compétentes doivent s'impliquer dans ce travail : commission médicale d'établissement, commissions régionales paritaires ou encore médiateur national. Il existe aussi un débat sur le rôle du CHSCT dans l'évaluation des conditions de travail et sur la participation des médecins à cette instance.

Dans la souffrance au travail, un point important est l'instabilité des organisations. Le monde hospitalier subit des réformes en temps continu, sans temps de repos ou d'assimilation. L'administration et le corps médical doivent donc s'adapter en permanence.

En outre, l'empilement de couches, de strates, crée une distance entre la décision et l'exécution, ce qui pose, d'une part, un problème de temporalité, d'autre part, une forme de détachement du praticien par rapport à l'équipe. Au total, le management participatif est très peu répandu à l'hôpital.

En conclusion, je voudrais dire que l'hôpital subit aujourd'hui une grande injonction paradoxale : d'un côté, la T2A et la production de recettes ; de l'autre, la nécessité de la qualité et de la sécurité des soins, mais à moyens constants ou en diminution.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion