Intervention de Jean-Michel Baylet

Réunion du 8 février 2017 à 14h30
Assainissement cadastral et résorption du désordre de propriété — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Jean-Michel Baylet, ministre :

Quoi qu’il en soit, cette décision allait à rebours de l’unité, que je louais il y a un instant, que nous voyons se former lorsque les intérêts fondamentaux de la Corse sont en jeu.

La Corse se trouve, depuis un peu plus de deux siècles, dans un inextricable désordre foncier. Pourtant, nul ne conteste, ni sa population ni ses élus, le nécessaire retour au droit commun et à une taxation en matière de droits de succession identique à celle du territoire national.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais rappeler précisément l’origine des difficultés dans lesquelles se trouve la Corse depuis ce fameux arrêté pris le 10 juin 1801 par l’administrateur général de la Corse, alors nouvellement nommé par le Premier consul, André François Miot.

Il ne s’agissait pas, à l’époque, pour le pouvoir napoléonien, de supprimer l’imposition, mais de tenir compte de la situation économique et géographique de l’île, ainsi que de l’inexistence d’un marché foncier, en abrogeant les pénalités encourues pour défaut de déclaration d’une succession dans le délai légal de six mois. Cela a conduit de facto à une absence généralisée de taxation et à ce qu’il est convenu d’appeler près de deux siècles après à un colossal désordre foncier. Il est certain qu’un tel droit dérogatoire devait cesser pour la préservation même du foncier en Corse, qui est souvent dégradé, notamment les maisons de village, auxquelles les Corses sont tellement attachés. Les différents groupes de travail qui se sont penchés sur la question, les notaires qui s’attachent depuis une trentaine d’années à rétablir les titres de propriété partagent le constat et s’accordent sur la nécessité de remédier à la situation.

Le retour au droit commun a donc été décidé selon un calendrier échelonné prévu par la loi du 22 janvier 2002 relative à la Corse, modifiée par la loi de finances rectificative pour 2008. Le législateur a ainsi défini un dispositif transitoire en deux temps, conservant une exonération des droits de succession à 100 % jusqu’en 2012, puis la ramenant à 50 % jusqu’en 2017.

En 2007, la loi a autorisé la création d’un groupement d’intérêt public pour la reconstitution des titres de propriété, le GIRTEC. Celui-ci est composé de magistrats, de notaires et de fiscalistes.

Ce retour au droit commun a toutefois soulevé bien des difficultés, d’une ampleur sans doute inattendue au regard de la tâche à accomplir.

En 2010, il est apparu que 41 % des parcelles, soit 405 727 parcelles sur 995 386 parcelles cadastrées, appartenaient à des « propriétaires apparents », c’est-à-dire à des propriétaires nés avant 1910. Cela signifie que le GIRTEC et les notaires doivent faire face à des centaines d’héritiers potentiels non connus pour déterminer le titrement des parcelles, c’est-à-dire à la fois leur périmètre exact et leurs propriétaires indivis.

Actuellement, le pourcentage de parcelles non titrées est évalué à 34 %, soit environ 350 000. Bien qu’il ait diminué, il reste donc très important.

Face à une telle situation, à une histoire aussi spécifique, et face aussi à la nécessité d’un retour au droit commun, qui n’est remis en cause par personne, il est apparu évident au Gouvernement qu’il fallait laisser le GIRTEC accomplir son travail jusqu’à son achèvement et le retour à la normale. C’est également le sens des conclusions de votre rapporteur et de la commission des lois, qui ont considéré que ces difficultés justifiaient « la mise en œuvre de moyens temporaires exceptionnels » pour parvenir à bonne fin.

Je commence à bien connaître la Corse ; je la connais sans doute de mieux en mieux grâce à mes rencontres fréquentes avec tous ses élus et avec les Corses eux-mêmes. Je sais donc à quel point cette question est primordiale pour le peuple corse et au cœur d’une des problématiques les plus fondamentales qui se posent dans l’île.

Comme j’ai eu l’occasion de le rappeler à l’Assemblée nationale et comme M. le rapporteur l’a lui-même indiqué, le Premier ministre Manuel Valls s’est exprimé à ce sujet devant l’Assemblée de Corse le 4 juillet. Il a promis que le Gouvernement étudierait avec intérêt les propositions parlementaires en ce domaine. Permettez-moi d’ailleurs de saluer le président de l’Assemblée de Corse, Jean-Guy Talamoni, et le président du conseil exécutif de Corse, Gilles Simeoni, tous deux présents dans les tribunes.

Ces débats, à l’Assemblée nationale il y a quelques mois, au Sénat aujourd’hui, vont permettre au Gouvernement, si vous en êtes enfin d’accord, mesdames, messieurs les sénateurs, de tenir une parole qui s’adresse avant tout à l’ensemble des Corses.

Cette proposition de loi comporte deux objectifs principaux : sécuriser la prescription acquisitive et prolonger le régime fiscal dérogatoire. Je veux apporter quelques précisions techniques sur ces deux objectifs.

Les articles 1er et 2 sécurisent les procédures de reconstitution des titres de propriété en s’attachant à la prescription acquisitive, autrement dit l’usucapion, facilitant en cela la procédure de titrement en Corse. Pour cette raison, le Gouvernement n’entend pas s’y opposer, bien au contraire.

Toutefois, de par la rédaction initiale de ces deux articles, les modifications auraient concerné l’ensemble du territoire national. La commission des lois du Sénat a souhaité, d’une part, les restreindre à la seule Corse, eu égard à ses spécificités historiques, et, d’autre part, les limiter au temps que prendra le GIRTEC pour achever le titrement, soit jusqu’en 2027, selon les articles 3 et 4, que je vais maintenant évoquer. Quoi qu’il en soit, le Gouvernement ne souhaite pas revenir sur ces dispositions et se rangera à la rédaction du Sénat, qui apporte au texte, tant sur le fond que sur la forme, une réelle plus-value.

L’article 3 porte l’exonération des droits de mutation à titre gratuit à 50 %, au lieu de 30 %, de la valeur des biens lors de la première mutation du bien titré pour la première fois entre 2014 et 2027. Je mentionnerai simplement que le coût de ce dispositif est modique et sera amplement compensé par les recettes fiscales, d’impôts locaux notamment, actuellement entravées par l’absence de titres de propriété.

L’article 4 proroge le régime dérogatoire pour une période de dix ans supplémentaires. L’ayant largement évoqué précédemment, je n’y reviendrai pas. C’est le cœur même de cette proposition de loi.

L’article 5 restaure, pour les mêmes raisons et pour la même période transitoire de dix ans, l’exonération des droits de partage de 2, 5 % sur les actes de partage de succession.

Par ailleurs, la commission des lois a introduit un nouvel article dans cette proposition de loi, l’article 7, qui vise à toiletter l’article 24 de la loi du 31 mars 1884 concernant le cadastre des départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. Comme quoi, il n’y a pas qu’en Corse qu’il y a des spécificités ! Cette disposition, que j’avoue avoir découverte avec intérêt, interdit l’agrandissement de la propriété par prescription acquisitive dans les départements alsaciens. Elle avait été introduite par voie d’amendement, avec avis favorable du Gouvernement, dans le projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, mais elle avait été censurée par le Conseil constitutionnel, qui avait considéré qu’il s’agissait d’un cavalier législatif.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion