Intervention de Éric Bocquet

Réunion du 8 février 2017 à 14h30
Assainissement cadastral et résorption du désordre de propriété — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Éric BocquetÉric Bocquet :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici réunis pour débattre d’une proposition de loi d’un grand intérêt, contrairement à ce que pourraient laisser croire les apparences. Il ne s’agit en effet, de notre point de vue, ni plus ni moins que de doter – enfin ! – certains territoires de la République d’outils indispensables à leur développement économique et social futur. Le cas le plus prégnant – cela ne fait aucun doute pour les auteurs de la proposition de loi – est bien évidemment celui de la Corse.

Avec ce texte, nous devrions permettre à la Corse de disposer, enfin, d’un cadastre. Cela peut paraître pour le moins étonnant, mais comment oublier qu’un cadastre est un outil indispensable à toute activité économique ? C’est à partir de ce document que l’on peut évaluer précisément la valeur d’un terrain, quelle que soit son utilisation d’ailleurs, que l’on peut définir la valeur d’un immeuble, que l’on peut évaluer le coût éventuel de tel ou tel investissement public ou privé, à raison de la valeur foncière ou bâtie existante. C’est aussi à partir de ce cadastre complété que l’on pourra définir une véritable démarche d’entretien des zones naturelles d’exception, des secteurs boisés ou de montagne remarquables qu’abrite l’île ou que l’on pourra œuvrer à la juste préservation des splendeurs et attraits de son littoral.

La proposition de loi dont nous débattons est appelée à consacrer la mise en œuvre véritable du dernier des arrêtés Miot encore en vigueur, celui qui est relatif aux mutations par décès.

Les arrêtés Miot, base de la controverse depuis plus de deux siècles désormais, étaient – faut-il le rappeler ? – la manifestation pleine et entière de l’État de droit sur l’île de Beauté pendant la période du Consulat et de l’Empire, comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre. La Corse de 1801, quand elle voit arriver le préfet Miot, n’est pas véritablement la région la plus riche du pays. La production réglementaire alors réalisée la place dans le cadre juridique ordinaire de la France post-révolutionnaire.

L’arrêté sur les successions présente cependant une difficulté, celle de pouvoir être mis correctement en œuvre, compte tenu des difficultés dont souffre l’administration sur un territoire pour le moins accidenté, où les voies et chemins sont souvent de qualité médiocre. Sans parler des effets de l’hiver sur l’ensemble des villages corses situés dans les hauteurs. Résultat : l’administration pratique largement par « évaluation d’office » de la valeur des biens meubles et immeubles ou des biens fonciers, une évaluation d’office qui consiste, assez souvent, à estimer à zéro la valeur cadastrale desdits biens. Si l’on ajoute deux cents années ou presque de cette pratique, mélangée à des problèmes de consistance de la propriété et de détention des titres – une mutation en ligne directe, c’est parfois compliqué, mais cela le devient plus encore quand on y ajoute le collatéral –, on en arrive au désordre cadastral actuel.

Toute la Corse n’est pas confrontée au problème d’absence d’évaluation cadastrale. Toutes les communes de Corse du Sud, par exemple, perçoivent la taxe d’habitation, pour des montants fort variables pour ce qui concerne la part communale, allant de 17 414 000 euros environ à Ajaccio, contre seulement 2 766 euros à Cargiaca, petit village de l’Alta Rocca. Elles perçoivent également la taxe foncière sur les propriétés bâties, avec, là encore, de grandes inégalités : le maire d’Ajaccio peut compter sur plus de 13 millions d’euros, quand celui de Zérubia doit se contenter de moins de 4 000 euros.

Pour la contribution foncière des entreprises, l’intercommunalité concentre évidemment le produit au niveau des EPCI, la communauté d’agglomération du pays ajaccien et la communauté de communes du Sud-Corse, autour de Porto-Vecchio, étant les mieux dotées en l’espèce, pour en rester à la Corse du Sud.

Le problème cadastral est frappant quand on regarde le foncier non bâti, qui, en 2015, ne produisait strictement aucune recette pour la majorité des communes du département de Corse du Sud, évidemment les plus petites. Ce phénomène affecte singulièrement les communes des cantons construits autour de Propriano/Sartène, Cargèse et Grosseto-Prugna. Si les élus des chefs-lieux perçoivent plus ou moins de foncier non bâti – 7 600 euros environ à Cargèse, plus de 43 000 euros à Grosseto-Prugna et moins de 8 000 euros à Sartène –, la ligne budgétaire est de zéro pour les élus de petits villages comme Zoza, Bilia, Campo ou Cozzano.

Depuis 2012, comme chacun le sait, le passif cadastral est peu à peu épuré, mais il reste, chacun en convient, encore beaucoup à faire. Faut-il que le dispositif d’incitation fiscale à l’assainissement, tel que défini aux articles 793 et 1135 bis du code général des impôts, soit prolongé de dix années, comme certains de nos collègues le proposent ? C’est négliger, de notre point de vue, une question clé, celle des moyens matériels et humains consacrés à cette juste tâche.

En effet, comment ne pas pointer ici que le GIRTEC, le groupement d’intérêt public intervenant en Corse, dispose certes d’une assemblée générale composée de vingt-cinq membres et d’un conseil d’administration comprenant onze personnalités tout à fait respectables, mais également d’une force de frappe comptant sept agents seulement ?

De surcroît, quelques incertitudes pèsent sur le devenir du financement de l’opération d’assainissement. Il resterait 15 % du territoire corse à cadastrer, ce qui montre l’ampleur de la tâche à accomplir, dépassant assez largement les moyens du groupement ; les dix ans que d’aucuns voudraient encore mettre à profit pour alléger les contraintes fiscales de la propriété foncière ne suffiront pas.

Le développement économique et social futur de la Corse, sa pleine participation à la relance de l’activité en France appellent un redoublement des efforts que nous devons mener sur la résolution des désordres du cadastre et non pas à placer cette démarche dans l’orbite exclusive de l’intérêt des plus gros détenteurs de parcelles !

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