Intervention de Vincent Delahaye

Réunion du 8 février 2017 à 14h30
Assainissement cadastral et résorption du désordre de propriété — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Vincent DelahayeVincent Delahaye :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le droit français repose sur un principe très simple : l’égalité. La loi devant être la même pour tous, il est normal qu’elle s’applique uniformément sur tout le territoire. C’est la définition même d’une loi : c’est une norme générale d’application universelle.

Au cœur de notre droit se trouvent notre droit civil et notre régime de propriété. Ce droit-là, pour des raisons qui tiennent à l’histoire, à la coutume et à l’habitude, n’a jamais trouvé à s’appliquer totalement sur le territoire de la Corse. Ainsi, près de 30 % des parcelles foncières de l’île sont orphelines de titres de propriété. C’est un problème pour les Corses eux-mêmes, mais aussi pour les collectivités territoriales et la République d’une manière générale.

Concernant la population corse, il est assez scandaleux qu’un tel problème persiste depuis deux siècles. Sans titres, les possesseurs de biens ne peuvent jouir pleinement des droits qui s’attachent à la propriété, notamment en matière de donation entre vifs, de vente, d’établissement de baux, de mise en valeur des biens ou de règlements successoraux. De facto, en l’absence de titres bien établis, le tiers du foncier corse est soumis à une indivision de fait, qui entrave le bon fonctionnement du marché immobilier local déjà contraint par le relief et l’insularité de ce territoire.

Concernant les collectivités territoriales, l’absence de titres rend impossible la tenue d’un cadastre complet et obère par conséquent les ressources fiscales des pouvoirs publics. Comment prélever la taxe foncière ? À qui adresser la taxe d’habitation ? Comment imposer les successions et les mutations ? Tous les niveaux de collectivités ont été concernés, et, à l’heure où nous nous apprêtons à voir la collectivité unique instituée en Corse, il est évident que ce problème doit être résolu pour permettre à la collectivité unique de prospérer et de réaliser ses missions.

Enfin, c’est un problème pour notre République, car il n’est pas normal qu’un territoire français, même insulaire, puisse ainsi échapper à l’impôt et ne pas être soumis à la même loi civile que le reste de la population. C’est une question d’égalité territoriale qui me semble incontournable en tant qu’élu national.

La présente proposition de loi prévoit le régime de prescription acquisitive pour apurer le stock des parcelles orphelines. Cela fait deux siècles que la République tâche périodiquement de traiter ce problème, par voie administrative, juridictionnelle ou législative. Aussi, pourquoi ne pas essayer cette nouvelle méthode ? Elle semble à la fois équilibrée, progressive et respectueuse des droits des propriétaires.

Concernant les dispositions fiscales de la présente proposition de loi, celles-ci ont vocation, selon les auteurs du texte, à faciliter la reconstitution des droits de propriété. Concrètement, il s’agit de porter de 30 % à 50 % la part de la valeur des biens exonérés de droits de mutation pendant dix ans. Il en est de même en matière de succession. Il s’agit également d’exonérer les droits de partage.

Le Conseil constitutionnel a censuré ces dispositions à plusieurs reprises pour des questions de procédure. Il a déjà eu en revanche l’occasion de rappeler sur le fond que ces dispositions n’ont pas toutes à voir avec la facilitation de la reconstitution de droits de propriété dans l’île. Si la demande est réelle, pourquoi cette exonération sur les mutations ?

Les droits de partage peuvent se justifier au regard de l’objectif poursuivi. Toujours est-il que plusieurs dispositions semblent relever davantage de l’effet d’aubaine que de la révérence au respect du droit civil. Plus globalement, cela pose un problème logique : pourquoi le législateur devrait-il contribuer à rétablir des droits de propriété s’il ne s’agit pas d’en profiter pour prélever enfin l’impôt ?

Le Conseil constitutionnel ne manquera pas de trancher cette question à l’occasion des litiges qui interviendront sûrement à l’avenir. Un propriétaire floué ou même l’administration fiscale pourront toujours soulever une question prioritaire de constitutionnalité pour éclaircir la portée de ces dispositions.

Au-delà du débat qu’ouvre ce texte sur la portée de son volet fiscal, il fait une tentative bienvenue pour ancrer encore un peu plus la Corse à la loi de la République. Dans ces conditions, le groupe de l’UDI-UC salue le travail équilibré des rapporteurs de la commission des lois et de la commission des finances. Les sénateurs centristes suivront ainsi la recommandation de la commission des lois et voteront majoritairement en faveur de ce texte.

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