Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est par l’un de ces obscurs hasards de l’histoire, en 1801, sous l’empire d’un Ajaccien, ou plus exactement sous son consulat, que fut abrogée la sanction pour non-déclaration de la succession d’un bien immobilier sis en Corse. L’État ne se résolut à tenter de rétablir le droit commun que deux siècles plus tard, en 1998, laissant ainsi au terroir corse bien plus de temps que nécessaire pour développer un luxuriant maquis cadastral. En effet, faute de contrainte, de nombreuses successions n’ont jamais été réglées, conduisant à une propriété foncière et immobilière de plus en plus informelle.
Cette situation s’avère préjudiciable pour les pouvoirs publics, notamment parce qu’ils ne sont pas à même de recouvrer convenablement les droits de mutation ou les impôts locaux, mais aussi pour les propriétaires supposés, qui se trouvent dans l’impossibilité d’exercer leurs droits comme d’assumer leurs devoirs.
Le retour à la normale se heurte à deux difficultés majeures : d’abord, reconstituer les nombreux titres de propriété qui ont disparu, faute d’avoir été notariés au fil des mutations ; ensuite, sortir des inextricables indivisions de fait, qui résultent de l’agrégation exponentielle de plusieurs générations d’héritiers, autour d’un même bien, jamais transmis.
Le premier véritable signe d’intérêt des pouvoirs publics à l’égard de ce désordre foncier historique remonte au début des années quatre-vingt. Sous l’impulsion du gouvernement d’alors, les notaires de Corse s’attelèrent, comme ils le purent, à la reconstitution des titres de propriété par le biais de la prescription acquisitive. Il fallut encore trente ans pour que naisse le groupement d’intérêt public, le fameux GIRTEC, qui apporte aux notaires et aux héritiers un soutien technique, tout à la fois indispensable et insuffisant.
Parallèlement, l’État a mis en place différents avantages fiscaux supposés transitoires et incitatifs, dont les échéances furent en fait prorogées d’année en année, jusqu’à ce que le Conseil constitutionnel décide récemment d’y mettre un terme, pour méconnaissance du principe d’égalité devant la loi et les charges publiques.
Si l’on peut dire aujourd’hui que la situation est en voie d’amélioration, le rythme des régularisations reste toutefois peu satisfaisant au regard du stock encore à traiter. En effet, en 2015, on estimait encore à 34 % la proportion de parcelles corses dont le propriétaire est une personne décédée.
En dépit de son intitulé très général, cette proposition de loi vise donc à hâter la normalisation du cadastre et de la propriété foncière sur l’île de Beauté. Les deux premiers articles prévoient des dispositifs juridiques intéressants, que notre commission des lois a utilement encadrés dans le temps et dans l’espace de manière à éviter des effets indésirables. Ainsi, la mention dans la loi des actes de notoriété acquisitive renforcera la sécurité juridique de la propriété obtenue par prescription acquisitive. Quant à l’assouplissement des majorités de décisions relatives aux indivisions, il permettra de surmonter bon nombre de blocages qui surviennent mécaniquement en présence de très nombreux indivisaires.
En revanche, les trois articles fiscaux qui concernent le rétablissement, le renforcement et la prorogation de dix ans de différentes exonérations nous laissent un peu plus circonspects. Il n’est pas question ici de contester la nécessité d’incitations pour favoriser la résorption du désordre. Nous n’ignorons pas non plus qu’il se trouve des cas où le coût de la multitude d’actes nécessités par la régularisation excède plusieurs fois le prix du bien concerné. Pour autant, les exonérations proposées, en place pendant des décennies, n’ont pas fait la preuve de leur efficacité, tout en entraînant des effets d’aubaine considérables. Peut-être ont-elles indirectement contribué – je le crois – à limiter la spéculation, en évitant un certain nombre de ventes lors du règlement des successions, mais tel n’était pas leur objectif affiché. Il nous semble donc qu’il faudrait préférer un mécanisme beaucoup plus ciblé.
En outre, une prorogation de dix ans nous paraît excessive et, sauf à s’adonner à l’instabilité fiscale, elle prive le Parlement d’une clause de revoyure. De ce point de vue, la position de notre commission des finances nous était apparue un bon compromis. Nous regrettons donc que la commission des lois n’ait pas suivi la commission des finances, déléguée au fond sur ce point, surtout sans avoir excipé d’une de ces argumentations généralement très bien étayées par lesquelles elle a l’habitude de nous convaincre.
Toutes ces raisons auraient pu – je dis bien « auraient pu » – nous conduire à l’abstention. Néanmoins, fidèles aux principes de la subsidiarité, attachés à la reconnaissance des spécificités territoriales et a fortiori insulaires, nous ne pouvions rester insensibles au consensus politique qui s’est établi sur ce sujet entre les différentes forces politiques locales. À cette aune, le groupe écologiste témoignera donc sa confiance aux institutions et à la population corses en votant ce texte.