Monsieur le Président, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui le projet de loi autorisant la ratification du protocole additionnel à la convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme, qui a été signé par la France en octobre 2015, à Riga.
La convention du Conseil de l'Europe de mai 2005, que ce protocole vient compléter, est le premier instrument international à aborder la lutte contre le terrorisme sous l'angle de la prévention. Élaborée dans le contexte des attentats terroristes du 11 septembre 2001, elle oblige les parties à qualifier d'infractions pénales divers actes susceptibles de conduire à la commission d'infractions terroristes, notamment la provocation publique, le recrutement et l'entraînement, ainsi qu'à renforcer leur coopération. Elle est entrée en vigueur en juin 2007 et pour la France, l'année suivante.
Ce Protocole est avant tout la réponse du Conseil de l'Europe aux recommandations formulées par le Conseil de Sécurité des Nations unies dans sa Résolution 2178 « Menaces contre la paix et la sécurité internationales résultant d'actes de terrorisme », adoptée à l'unanimité, en septembre 2014. Les Etats y sont appelés à prendre des mesures afin de prévenir et d'endiguer le flux de combattants terroristes étrangers vers les zones de conflit, et à faire notamment en sorte que la qualification des infractions pénales par leur législation interne permette d'engager des poursuites et de réprimer, le fait de se rendre à l'étranger « dans le dessein de commettre, d'organiser ou de préparer des actes de terrorisme, ou afin d'y participer ou de dispenser ou recevoir un entraînement au terrorisme », ainsi que la fourniture, la collecte délibérée de fonds ainsi que toute autre activité qui facilite de tels voyages.
Inutile de rappeler ici combien ce phénomène des combattants étrangers est devenu une préoccupation majeure de la communauté internationale, comme en témoignent également les préconisations du Conseil Européen en août 2014, de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) en décembre 2014 et de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe en janvier 2016. Depuis le début de la guerre en Syrie en 2011, beaucoup de jeunes vivant en Europe, mais aussi dans le reste du monde, sont partis rejoindre les rangs de l'Etat islamique ainsi que d'autres groupes terroristes en Syrie et en Irak. Outre les exactions qu'ils commettent dans ces territoires envers les populations locales ou étrangères, ces combattants, une fois de retour dans leur pays, constituent une menace pour la sécurité, comme l'ont montré notamment les attentats de novembre 2015 en France - la menace sur le territoire national reste actuellement très élevée. Selon les informations recueillies en audition, le nombre total de combattants étrangers au sein de Daech et du Jabhat Fatah al-Cham (ex- Jabhat al Nosra) s'est stabilisé en 2015, plafonnant autour de 15 000 combattants, puis s'est progressivement contracté pour atteindre 12 000 individus actuellement. Les contingents européens actuellement en zone syro-irakienne seraient d'environ 690 Français (principalement à Raqqah), 500 Allemands, 400 Belges, 190 Néerlandais, 125 Espagnols et 120 Suédois, pour ne parler que des Européens. Parmi ces Français, il y aurait 287 femmes et 22 mineurs combattants. On observe un net tarissement des arrivées de combattants terroristes français depuis le 2scd semestre 2015, qui s'explique par les succès de l'action militaire. La France participe à la lutte contre ces groupes terroristes avec les opérations « Barkhane » au Sahel et « Chammal » en Irak et en Syrie ainsi qu'en soutenant, avec la coalition internationale, l'action des forces de sécurité irakiennes pour reprendre Mossoul, ainsi que Raqqa. Au total, plus de 1 500 combattants étrangers européens sont revenus, la plupart en Europe. Le Royaume-Uni totalise le plus grand nombre de retours (328), devant la France (200), où le rythme des retours s'est ralenti en raison de l'augmentation du nombre de décès de Français -un sur quatre ayant atteint la zone syro-irakienne depuis 2012 y a trouvé la mort - et des mesures prises par Daech pour empêcher leurs départs du Levant.
La France s'est très vite emparée de cette question, en renforçant son arsenal juridique, sans parler des actions de prévention de la radicalisation. La loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme a créé dans le code de la sécurité intérieure une mesure d'interdiction de sortie du territoire qui emporte, dès son prononcée par le ministre de l'intérieur, l'invalidation des titres d'identité et de voyage et une inscription au fichier des personnes recherchées (FPR), ainsi qu'une mesure d'interdiction administrative du territoire pour les ressortissants étrangers, dont la présence constituerait « du point de vue de l'ordre ou de la sécurité publiques, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour l'intérêt fondamental de la société », avec là encore, une inscription au fichier des personnes recherchées. La loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement a créé dans le code la sécurité intérieure, un mécanisme de contrôle administratif dès le retour sur le territoire national (cette disposition pourrait être modifiée par le projet de loi relatif à la sécurité publique en cours d'examen par le Sénat) : assignation à demeurer à domicile ou dans un périmètre déterminé ou bien encore obligation de se présenter périodiquement aux services de police ou de gendarmerie. Ces lois produisent leurs effets et début janvier 2017, on dénombrait 244 mesures d'interdiction de sortie du territoire, 207 interdictions administratives du territoire concernant des individus liés aux mouvances terroristes et islamistes radicales, 85 mesures d'expulsion de personnes en lien avec le terrorisme.
La politique pénale mise en oeuvre repose sur le principe d'une judiciarisation de l'ensemble des ressortissants français de retour de zone, à l'initiative du parquet de Paris. Une mesure de contrainte leur est appliquée dès leur arrivée sur le territoire national (garde à vue, mise à exécution d'un mandat d'arrêt), dans le but d'évaluer la nécessité d'engager des poursuites judiciaires sur le fondement d'infractions terroristes et plus spécifiquement, au titre de leur participation à une association de malfaiteurs terroriste ayant ou ayant eu pour objet la préparation d'un ou plusieurs crimes d'atteintes aux personnes. À défaut de mesures judiciaires, les mesures administratives évoquées peuvent s'appliquer.
Début janvier 2017, 172 individus de retour de zone irako-syrienne (ou « returnees ») avaient fait l'objet d'un traitement judiciaire, parmi lesquels 50 ont été condamnés par les juridictions répressives, 113 ont été mis en examen, 8 sont en attente de jugement et 1 a le statut de témoin assisté. Parmi les 121 returnees mis en examen ou en attente de jugement, 35 sont sous contrôle judiciaire et 86 sont en détention provisoire. Sur les 50 returnees condamnés, 28 sont actuellement incarcérés et 16 sont visés par des mandats d'arrêt, ayant été jugés par défaut et se trouvant toujours sur zone. Les 6 returnees condamnés mais non écroués sont pour l'essentiel des mineurs.
Venons-en au contenu du Protocole : il fait obligation aux Parties d'ériger en infractions pénales les actes qu'il décrit et qui se présentent principalement comme des actes préparatoires d'actes terroristes. En droit interne, l'infraction d'association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme (article 421-2-1 du code pénal) et l'infraction de financement d'une entreprise terroriste (article 421-2-2) permettent de poursuivre et de réprimer l'ensemble des comportements à des fins de terrorisme visés aux articles 2 à 6 du protocole : participer à une association ou à un groupe, recevoir un entraînement, se rendre à l'étranger, financer des voyages à l'étranger, organiser ou faciliter des voyages à l'étranger. Dans l'immense majorité des hypothèses, ces comportements s'inscrivent en effet dans le cadre d'une entente entre plusieurs personnes, celles, objets des poursuites en France, et les membres de l'organisation terroriste qu'ils ont rejointe ou tenté de rejoindre ou en lien avec laquelle ils ont suivi un entrainement pour le terrorisme. L'association de malfaiteurs terroriste permet de réprimer en outre tous les faits préparatoires à un acte terroriste : recrutement, intégration ou tentative d'intégration, entraînement, endoctrinement idéologique, acquisition d'armes, location de logements conspiratifs, recherche de moyens de locomotion et de dissimulation, etc... Le Protocole oblige également les Parties à faciliter la coopération internationale à travers l'échange d'informations en désignant un point de contact disponible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. C'est l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste, l'UCLAT, qui sera ce point de contact.
En conclusion, je recommande l'adoption de ce projet de loi. Ce protocole a été signé par 33 États membres du Conseil de l'Europe mais n'a encore été ratifié que par l'Albanie, le Danemark et Monaco, or pour son entrée en vigueur, 6 ratifications sont requises.
Naturellement on ne peut que souhaiter que ce genre de démarche soit étendu, au-delà du Conseil de l'Europe, même si cette convention est déjà un acquis puisque 47 États, dont la Turquie, sont membres du Conseil de l'Europe.
L'examen en séance publique est prévu le jeudi 16 février 2017, selon la procédure simplifiée, ce à quoi je souscris.