Intervention de S.E. M. Mahmoud Abbas

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 8 février 2017 à 9h45
Audition de s.e. M. Mahmoud Abbas président de l'autorité palestinienne

S.E. M. Mahmoud Abbas, président de l'Autorité palestinienne :

Je remercie le Président et le Gouvernement de la République française, ainsi que vous-mêmes, des efforts déployés pour que la Conférence de paix organisée à Paris en présence des représentants de soixante-dix pays et de cinq organisations internationales soit un succès. Ce n'est pas nouveau ! La France a toujours soutenu les actions en faveur d'une paix juste et globale dans la région, sur la base de deux États. Elle a pris de nombreuses initiatives et nous a apporté une aide considérable pour construire nos institutions et développer notre économie.

Le vote par l'Assemblée nationale et le Sénat français en 2014 d'une résolution recommandant au Gouvernement français de reconnaître l'État palestinien est encore une preuve de ces valeurs élevées portées par votre peuple, héritier d'une civilisation prestigieuse. Vos combats pour les libertés nous inspirent dans la construction de nos institutions. Onze parlements en Europe ont recommandé à leur gouvernement de reconnaître l'État palestinien, comme ils reconnaissent l'État d'Israël.

Alors que la communauté internationale a voté l'an dernier la résolution 2334 du Conseil de sécurité, le gouvernement israélien a fait adopter hier par la Knesset une loi autorisant le vol de terres palestiniennes privées au profit de colons ; cette légalisation rétroactive concerne tous les territoires occupés depuis 1967, y compris Jérusalem Est. C'est un déni flagrant du droit international ! Nous continuerons à nous adresser aux tribunaux internationaux pour protéger notre vie en Palestine.

Décider de nouvelles expropriations et de nouvelles constructions de logements sur nos terres, c'est une décision grave et dangereuse, qui mine la possibilité de faire coexister deux États et consacre la réalité actuelle, un État d'apartheid, avec en son sein deux systèmes. Est-ce ce que souhaite la communauté internationale ? Les Territoires occupés depuis 1967 représentent seulement 21 % de la Palestine historique, mais notre revendication territoriale pour l'État palestinien se borne à ce pourcentage, Cisjordanie, Jérusalem Est et Gaza. Hélas, ces zones sont remplies de colonies ! Pas moins de 600 000 colons y vivent aujourd'hui ! Où pourrons-nous édifier l'État palestinien ? Israël manifestement n'en veut pas et préfère un État unique, d'apartheid, comme en Afrique du Sud jadis : le monde acceptera-t-il de revenir à ce schéma ? Notre peuple subit l'occupation depuis plus de cinquante ans, Israël persiste en dépit des résolutions internationales successives : celle de 2012 votée par l'Assemblée générale des Nations unies a consacré la reconnaissance de l'État palestinien par 138 États ; elle a été confirmée par la résolution 2334 plus récemment. Plus un aucun autre peuple au monde ne vit sous l'occupation, le nôtre excepté... Comment le peuple israélien accepte-t-il que son gouvernement nous opprime ? Le monde entier réclame deux États, et nous avons pour notre part reconnu l'État israélien. Onze parlements européens, je le répète, ont voté des résolutions demandant la reconnaissance de l'État palestinien : c'est du jamais vu, une réponse à la colonisation...

Israël doit admettre deux États. Nous sommes prêts à négocier dès que l'autre partie le voudra. Nous étions à Moscou dans cet espoir pour une rencontre, mais le chef du gouvernement israélien n'est pas venu. Nous voulons négocier, faire la paix, faire la guerre au terrorisme : qu'attend de plus de nous le monde ?

Il est temps d'appliquer la résolution 2334 affirmant illégitimes et caduques toutes les colonies israéliennes dans les Territoires occupés depuis 1967, y compris à Jérusalem Est. Un suivi international est indispensable pour parvenir à un accord de paix dans le calendrier prévu. La Conférence de Paris a décidé de créer un mécanisme incluant le Quartet international, des représentants de pays européens et de pays arabes, sur le modèle du « 5 + 1 » employé avec l'Iran, pour encourager les parties à négocier.

Nous sommes également désireux de travailler avec Donald Trump pour que prévale une paix fondée sur deux États. Nous respectons le choix des Américains ; nous demandons seulement au nouveau chef d'État d'adopter une vision juste du conflit israélo-palestinien. Les États-Unis sont une grande puissance, dont la parole est entendue : qu'elle soit, non pas de notre côté, non pas contre Israël, mais du côté du droit, de la justice, de la résolution votée à l'ONU. Israël a annexé Jérusalem Est en 1967 et prétend que cette ville soit sa capitale. Transférer l'ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem serait une violation du droit international ; ce serait reconnaître l'annexion, et rendrait toute paix impossible. Que Jérusalem Ouest soit un jour la capitale d'Israël, et Jérusalem Est celle de l'État palestinien, c'est envisageable ; un transfert d'ambassade aujourd'hui ne l'est pas. La capitale de l'État palestinien restera ouverte aux croyants des trois religions monothéistes, nous le garantissons. À l'Unesco, Israël a tenté de déformer notre position - alors que cette instance s'occupe des aspects historiques et non religieux.

Nous respectons le judaïsme, la Torah, Moïse et tous les prophètes envoyés par Dieu. Nous n'avons rien contre la religion juive - ce serait pour nous un blasphème. L'holocauste est la catastrophe humanitaire la plus détestable et la plus horrible. Parmi les Palestiniens, il y a les Juifs de Samarie, d'ailleurs, que rien ne distingue des autres Palestiniens et qui jouissent de leurs droits complets. Ils ont les mêmes droits et les mêmes devoirs que tous les autres.

Donc, je le répète, nous ne sommes pas contre le judaïsme, nous sommes contre l'occupant. Le gouvernement britannique a invité le Premier ministre israélien à célébrer le centième anniversaire de la Déclaration Balfour. Nous demandons au contraire au gouvernement britannique de présenter des excuses au peuple palestinien pour toutes les destructions qui en ont résulté ! Et de suivre la recommandation formulée en 2014 par sa Chambre des pairs en reconnaissant l'État palestinien. Les Anglais ont offert en 1971 quelque chose qu'ils ne possédaient pas à quelqu'un qui ne le méritait pas ! Bien sûr, aujourd'hui, l'État israélien existe. Mais n'oublions pas tout de même comment le gouvernement britannique a nié notre existence. Quelle injustice il nous a faite ! Et il veut la célébrer ?

La coopération avec la France s'est traduite, concrètement, par la création de la zone industrielle de Bethléem ou la restauration de l'église de la Nativité. Je pourrais citer les relations anciennes et exceptionnelles entre des villes françaises et palestiniennes. Et dans le séminaire intergouvernemental que nous tenons régulièrement, nous évoquons tous les sujets de coopération.

Il faut travailler à réunifier notre territoire, lever les blocus, avancer dans la réconciliation interpalestinienne, former un gouvernement d'union nationale sur la base du programme de l'OLP, et organiser des élections législatives le plus tôt possible. La réconciliation avec le Hamas doit se faire sur des bases claires : il doit accepter un programme national et international, et un gouvernement respectant la légalité internationale ; alors nous pourrons organiser des élections législatives et présidentielles. Les élections municipales, qui auraient dû se tenir voici plus d'un an, auront lieu en mai prochain.

La lutte contre le terrorisme sous toutes ses formes est un devoir commun. Nous voulons lutter contre le terrorisme et l'extrémisme. La solution aux crises de la région se trouve dans le dialogue, non dans la guerre, car celle-ci engendre seulement la guerre, selon un cycle interminable. Aux conflits politiques nous voulons des solutions politiques, préservant la souveraineté et l'intégrité territoriale de tous les États. Une solution pacifique à la cause palestinienne aidera à endiguer la menace terroriste, qui prend volontiers en otage notre combat. Il faut ôter ce prétexte aux terroristes !

Nous espérons que vous poursuivrez vos efforts en vue d'une reconnaissance de l'État palestinien et que pourront être créés, avant qu'il ne soit trop tard, deux États aux frontières sûres et reconnues, Jérusalem Est devenant notre capitale et Jérusalem Ouest celle de l'État d'Israël. Et pour lever tout malentendu, je le redis fortement : notre capitale restera ouverte aux croyants de toutes les religions.

Vive l'amitié franco-palestinienne !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion