Je souhaiterais exprimer, en quelques remarques, un certain malaise. Le panel est composé de représentants de grandes banques privées internationales, dont la compétence n'est pas en doute mais dont l'intérêt va forcément dans le sens d'un développement de la finance. Ils sont conviés au même titre que les représentants de la direction générale du Trésor, c'est-à-dire du ministère de l'économie et des finances de la République. Et, au risque de choquer, je souligne la présence d'un représentant de la banque UBS, laquelle est aujourd'hui poursuivie par la justice française et pourrait se voir infliger une amende allant jusqu'à 5 milliards d'euros, pour des pratiques de démarchage illicite qu'elle a reconnues et la gestion de plus de 12 milliards d'euros dissimulés entre 2005 et 2012. Je ne m'étendrai pas sur l'amende infligée par l'ACPR en 2013.
Permettez-moi donc de ressentir un certain malaise face à l'union sacrée affichée ce matin, qui a tout d'un plaidoyer par la finance pour la finance. Ceci appelle plusieurs réserves sérieuses. Les risques bancaires n'ont pas été évoqués en tant que tels - René Proglio a toutefois fait mention de la question de la régulation dans son intervention, ce qui doit être salué. Personne n'a évoqué le niveau de la dette étudiante aux États-Unis, qui atteint 1 160 milliards de dollars et pourrait provoquer une nouvelle crise financière, ni les deux tiers de créances douteuses que détiennent les banques italiennes, au coeur de la zone euro. Il semble parfois que nous soyons repartis comme avant, comme si la crise de 2008 n'avait pas eu lieu.
J'entends bien sûr votre message : pas de taxes, elles sont « dissuasives », et un allègement du droit du travail, pour pouvoir réagir rapidement en cas de crise. C'est un discours que l'on entend depuis longtemps. Mais celui-ci conduit à une compétition vers le bas qui s'est récemment accélérée.
Aux États-Unis, le président Donald Trump s'est déjà attaqué frontalement à l'ébauche de réglementation bancaire qu'avait mise en place le président Barack Obama - qualifiant la loi Dodd-Frank de « désastre ». Rappelons au passage la forte présence au sein de l'administration de Donald Trump d'anciens dirigeants de la banque Goldman Sachs, dont on connaît la responsabilité dans la crise de 2008 - cette même banque qu'a rejointe José Manuel Barroso, quelques années après avoir quitté la présidence de la Commission européenne.
S'agissant du Brexit, chacun ici semble tenir pour évident que ce qui est bon pour la finance est bon pour l'économie réelle, et donc pour nos concitoyens. Pourtant il y a là un vrai débat, qui n'a pas été abordé. Or la compétition s'aggrave là aussi, avec la décision britannique de quitter l'Union européenne. Une décision souveraine, qui doit être respectée, mais qui porte en elle le risque d'un véritable dumping fiscal. La Première ministre Theresa May a annoncé une forte baisse de l'impôt sur les sociétés, confirmée par le chancelier de l'Échiquier Philip Hammond.
Le Luxembourg s'est aussi lancé dans cette course au moins-disant - rappelons que le pays a déjà plus de 600 milliards d'euros d'actifs britanniques sous gestion sur son territoire. Jusqu'où ira-t-on ? Aura-t-on un impôt sur les sociétés à 15 %, à 10 %, à 5 % ? Comment financera-t-on demain la formation, le système de santé, le logement et tous les autres services publics ? Cette concurrence fiscale est porteuse de grands dangers. Et l'on voudrait nous faire croire que rapatrier en France des activités financières se fera au bénéfice de tout le monde ? Permettez-moi d'être sceptique.