En réponse aux questions de Philippe Dominati et de Michel Bouvard, ainsi qu'aux remarques formulées par Éric Bocquet, je voudrais souligner qu'il existe trois grandes différences entre Euronext et les autres places de marché en Europe.
La première est le lien très fort d'Euronext avec l'économie réelle. Une certaine approche considère que l'essentiel de la valeur ajoutée ne se fait pas sur la « matière première » que sont les entreprises, leurs fonds propres ou encore leur cotation en bourse, mais au-dessus, avec les produits dérivés, les indices et autres trackers. Une seconde approche, qui est celle d'Euronext et d'autres places financières plus modestes en Europe, considère que les entreprises, leurs fonds propres, leur performance et leur cotation en bourse sont au coeur du métier d'une infrastructure de marché. C'est le sens de notre mandat : permettre aux investisseurs de rencontrer ceux qui ont des liquidités mais pas de projets. Nous permettons aux capitaux d'aller vers l'économie réelle, c'est-à-dire toutes les entreprises mais aussi - nous sommes ici à la commission des finances du Sénat - la dette publique et le déficit public. Cela représente une partie considérable du travail qui est effectué tous les jours.
La deuxième spécificité d'Euronext est qu'il s'agit d'un projet ouvert et fédéral. Alors que la construction européenne fait l'objet de critiques quotidiennes, la société Euronext est l'un des rares succès qui montrent que des Européens peuvent être plus efficaces lorsqu'ils sont ensemble. La marge opérationnelle d'Euronext (Ebitda) est aujourd'hui de 56 %, d'après le consensus des investisseurs ; celle du London Stock Exchange (LSE) est de 45 %, et celle de Deutsche Börse de 52 %. Lorsqu'Euronext était une filiale du New York Stock Exchange (NYSE), cette marge était de 39 %. Le fait qu'Euronext soit un projet ouvert et fédéral signifie aussi que nous avons vocation à accueillir d'autres États membres de la zone Euro.
La troisième grande différence, à mon sens absolument déterminante, concerne les choix technologiques. Nous avons rapatrié nos équipes de Belfast et de Porto, et décidé de ré-internaliser et de recentraliser nos développements technologiques. Au moment où certains de nos concurrents estiment qu'il faut aller plus loin dans la vague de l'offshore, nous avons opté pour le nearshore, discipliné et compact. Nous pensons que le monde n'est pas en train de devenir de plus en plus grand, mais au contraire de plus en plus petit : dans ce contexte, la maîtrise de nos technologiques et de nos infrastructures techniques est fondamentale.
À cet égard, le fait que ces activités soient conduites par des Européens, et singulièrement des Français, et ceci à tous les niveaux - actionnaires, conseil de surveillance, management - n'est pas anodin. Quand tout va bien, la question ne se pose pas, mais lorsque survient une crise ou une tension, c'est là que se prennent des décisions extrêmement importantes. Odile Renaud-Basso a cité l'épisode des appels de marge : des personnes à Londres ont un jour décidé qu'il était dans leur intérêt d'augmenter les marges sur les obligations italiennes, et le lendemain ces mêmes obligations sont passées à 7 % ou 8 % à Rome et à Milan, avec un impact considérable sur les conditions de financement de l'Italie. On voit ici que la proximité avec les infrastructures de marché revêt un véritable enjeu de souveraineté.
S'agissant enfin des perspectives de consolidation entre Euronext et Deutsche Börse, je souligne tout d'abord qu'il s'agit d'un choix d'actionnaire - je suis pour ma part un employé, et il est très important de ne pas mélanger les rôles. Ensuite, ma conviction personnelle, très profonde, est que la zone euro constitue l'espace pertinent pour notre développement : à cet égard, il existe une vraie différence entre le projet de consolidation avec Deutsche Börse et celui avec le London Stock Exchange - hors de la zone Euro, et bientôt hors de l'Union européenne. Enfin, il importe en tout état de cause de respecter l'actif le plus précieux d'Euronext : sa dimension fédérale. Rien de durable et d'efficace ne se fera si chaque pays n'a pas l'impression d'être à l'aise et d'avoir une influence sur la manière dont les choix sont faits. Il s'agit là d'une condition absolument essentielle. Le succès d'Euronext aujourd'hui tient précisément à sa gouvernance fédérale équilibrée.