Intervention de Jean Cassegrain

Commission des affaires économiques — Réunion du 15 février 2017 à 9h30
Audition conjointe de représentants des industries des métiers d'art et du luxe : M. Pascal Morand président exécutif de la fédération française de la couture du prêt-à-porter des couturiers et des créateurs de mode M. Pascal Rousseau secrétaire général de richemont holding france M. Francis Chauveau directeur industriel de puiforcat Mme Bernadette Pinet-cuoq président délégué de l'union française de la bijouterie joaillerie orfèvrerie des pierres et des perles M. Jean Cassegrain directeur général de longchamp

Jean Cassegrain, Directeur général de Longchamp :

Je vous parlerai de la contrefaçon et du commerce international. La maroquinerie représente 20 000 salariés, 430 entreprises, 5,5 milliards d'euros d'exportation et 2,5 milliards d'euros d'importation. L'entreprise Longchamp a été créée en 1948 par mon grand-père, sa direction est restée intégralement familiale ; nous employons 3000 salariés dans le monde, 1300 en France, pour un chiffre d'affaires de 560 millions d'euros - nous sommes de ces ETI qui font la force de l'Allemagne avec son Mittlestand, une entreprise fière de son indépendance et qui entend le rester.

La contrefaçon représenterait 5% des importations européennes, elle est devenue une source de financement importante pour le crime organisé et elle a pu, cela a été démontré, financer le terrorisme. Ses dégâts économiques sont considérables, car elle érode l'image de marque et l'originalité des produits. L'innovation coûte cher, les contrefacteurs pillent notre travail en banalisant nos produits. Nous dépensons 2,5 millions d'euros par an contre la contrefaçon, soit 0,5 % de notre chiffre d'affaires, avec un service de six juristes à temps plein, des enquêteurs - mais notre action n'est pas capable d'endiguer le phénomène, faute d'outils juridiques adaptés au commerce sur internet. Les contrefacteurs sont entrés dans le XXIème siècle : si les produits contrefaits sont rares à la vente en Europe, parce que chacun sait qu'il en coûte pénalement de les exposer à la vente, les Européens achètent en ligne des produits contrefaits, sur des sites souvent chinois dont l'adresse est fictive. Notre service juridique est parvenu à faire déréférencer 472 sites, 2835 comptes Facebook et 8626 annonces de vente, mais les produits contrefaits continuent d'être faciles à trouver sur internet. Car si les douanes peuvent arrêter des conteneurs entiers de produits contrefaits, elles ne peuvent ouvrir tous les paquets envoyés à des particuliers.

Aussi avons-nous besoin de moderniser notre législation, en impliquant les intermédiaires sur lesquels repose l'activité des contrefacteurs : d'abord les plateformes internet, au premier chef les « Gafa » et autres Alibaba, qui offrent une véritable vitrine aux contrefacteurs ; ensuite les banques et opérateurs de paiement ; enfin, les transporteurs, comme UPS, DHL et Fedex. Si les Gafa jouent le jeu, d'autres plateformes refusent de regarder les contrefacteurs autrement que comme des clients, il faut aller plus loin. De même, les banques et les transporteurs se désintéressent du sujet : nous avons besoin de vous pour que les règles changent.

Sur le commerce international, ensuite, il faut en dire les bienfaits, à l'heure où les frontières tendent à se fermer. Nous réalisons les trois quarts de nos ventes à l'étranger : nous ne survivrions pas si nous devions rester dans nos frontières - et, en vingt-cinq ans, j'ai vu disparaître des entreprises françaises, allemandes ou italiennes qui n'avaient pas su sortir de leur territoire national. Je regrette l'échec des négociations sur le traité transatlantique, mais aussi qu'il y ait si peu de politiques qui disent les bienfaits du commerce international.

Notre entreprise dépend de sa capacité à exporter, mais aussi de ses fournisseurs à l'étranger : nous réalisons la moitié de notre production à l'étranger - en Tunisie, au Maroc, en Roumanie, à Maurice et en Chine. Sans ces sites à l'étranger, les quelque 900 maroquinières que nous employons dans nos six ateliers en France, n'auraient peut-être plus de travail. Nous employons 200 professionnels en Tunisie, dans un superbe atelier, nous n'avons nullement à en rougir ni à nous en excuser et je ne crois pas que, surtout dans le contexte actuel, ce travail desserve les intérêts de notre pays. Nous aimerions donc voir davantage d'élus politiques défendre une vision positive du commerce international.

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