D'abord, un mot sur la compétitivité. Le made in France est très important tout particulièrement - et cela ne vaut pas que pour notre secteur - pour ce qui concerne le design et le prototypage. Mais il faut raisonner à une échelle plus large. En France, les compétences et les talents sont nombreux, mais il faut compter aussi avec les obstacles administratifs. Or on peut produire en Europe dans des conditions proches de celles que nous rencontrons en France. Dans le domaine de la maille, l'Italie et le Portugal comptent. Dans le haut de gamme, 80 % des textiles viennent d'Italie et il est parfois plus simple d'être proche du donneur d'ordre, de la marque elle-même.
Si l'on regarde la compétitivité micro-économique, l'Italie du Nord est entre 10 % et 15 % moins chère que la France ; dans les Pouilles, la différence est de près de 30 %.
D'une manière générale, la proportion est de 50/50 en ce qui concerne lieux de production, certaines marques étant plus implantées que d'autres en France - et elles le font savoir. Pour certaines marques un peu moins connues, il n'est pas possible de produire en France, où seulement pour une partie de leur gamme. Un moment, l'entreprise va faire un choix rationnel et logique, celui d'aller produire en Roumanie ou au Maghreb.
Selon telle ou telle entreprise, il existe des compétences établies. Par exemple, en couture flou de la robe, la France est traditionnellement plus performante.
Le prix n'est pas tout : la flexibilité et la capacité de réaction entrent en jeu. Oui, la pesanteur administrative est trop forte.
À propos du CICE et du pacte de responsabilité, et en dehors de toute considération politique, au niveau macro-économique, cela a permis de faire baisser le coût salarial unitaire de 3,7 % en 2016, mais du point de vue de nos entreprises, ce sont des outils peu commodes à utiliser, d'autant qu'ils ne concernent pas les mêmes postes budgétaires et qu'il n'est pas forcément possible d'établir une comparaison dans les prix de revient. Ensuite, ces mesures ne sont pas forcément considérées comme pérennes et ne modifient donc pas nécessairement, contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, la localisation des lieux de production.
Les pesanteurs administratives sont source de problèmes, notamment pour les confectionneurs et les confectionneurs sous-traitants. D'autant plus que les grandes séries, c'est terminé ; désormais, ce sont les très petites séries qui priment, lesquelles requièrent de la réactivité. Avantage considérable de cette accélération du temps : une diminution des stocks et une plus grande animation des collections et des points de vente. Plus les petites séries s'imposent, et avec elles le besoin de réactivité, plus la pesanteur administrative est difficile à vivre pour les marques et les confectionneurs français.
Je ne veux pas être pessimiste, il y a plein de choses très positives, mais rien n'est gagné et c'est pourquoi nous avons absolument besoin de votre soutien.
En matière d'innovation, la caractéristique de nos secteurs, avec d'autres, c'est qu'ils véhiculent au plus haut point à la fois la création et l'innovation. C'est donc un cocktail associant la création, le savoir-faire traditionnel et les nouvelles technologies. Le digital est très important, surtout dans la chaîne logistique. Les choses évoluent en ce qui concerne la traçabilité, ce qui n'est pas neutre : le consommateur veut savoir ce qui se passe derrière - comme dans certains restaurants, dont les cuisines sont visibles depuis la salle -, tout comme elles évoluent en prévisibilité et en intelligence artificielle - comment combiner l'intelligence artificielle avec la création ? Ce sont de vrais enjeux.
Un nouveau modèle économique fonctionne très bien aujourd'hui, c'est la location de vêtements, à l'image de l'entreprise américaine Rent the Runway.
Vous avez posé la question de l'impression 3D. Pour ce qui n'est pas strictement du digital ou pour ce qui relève du marketing expérientiel, sur lesquels nos secteurs sont très en avance, des choses se font, davantage sur des matériaux rigides que sur des matériaux souples. Ces technologies sont extrêmement complexes : tout dépend des moules et des matériaux. Pour les matériaux souples, c'est un peu plus compliqué, qu'on soit en stéréolithographie ou en frittage de poudre. Beaucoup de questions restent posées, en particulier sur le plan environnemental, liées notamment aux hautes températures, qui ne sont pas toujours résolues. Rien n'est systématique, tout est en cours. Des créateurs comme Karl Lagerfeld s'y intéressent beaucoup.
Un mot sur la robotique. On se pose parfois la question de l'industrie 4.0. Il est parfaitement possible de reproduire le geste d'un bras ou de doigts, mais dans ce dernier cas, dans le cadre de processus industriels très automatisés, comme dans l'électronique. En revanche, avec des matériaux très complexes et un peu souples nécessitant beaucoup de savoir-faire, c'est beaucoup plus compliqué. Aujourd'hui les meilleurs spécialistes en robotique disent qu'on est loin d'y être parvenu cela fait bien des années que l'automatisation de la confection demeure un mythe, compte tenu de la permanence des savoir-faire.
S'agissant de la formation, l'enjeu c'est de se tenir aux techniques et au savoir-faire traditionnel, mais aussi de préparer l'avenir, d'intégrer le digital et les enjeux de développement durable dans tous leurs aspects. Nous travaillons avec l'éducation nationale et celle-ci doit adapter ses programmes. Dans nos écoles, nous proposons des certificats d'aptitude professionnelle et des brevets professionnels et nous adaptons constamment nos programmes, par exemple en ce qui concerne la conception assistée par ordinateur. Concernant les formations post-bac, il reste des problèmes à résoudre en matière de diplomation et nous collaborons à cette fin avec les ministères de l'économie, de la culture et de l'enseignement supérieur. Parmi les formations post-bac, les bachelors et les masters sont accrédités et reconnus par l'État. Nos établissements, réputés pour certains, sont à la fois publics, parapublics et privés. Ainsi, l'école Duperré, l'école Boulle, l'école nationale supérieure des arts appliqués et des métiers d'art Olivier de Serres ont le statut de lycée. C'est en voie de transformation, mais, face à la concurrence internationale d'établissements dotés d'un statut académique, il est compliqué d'attirer les talents et ce le sera de plus en plus.
D'un diplômé bac+3, on peut dire qu'il est bachelor, qui est un label international. Mais quand on lui demande si son diplôme est reconnu par l'État, il lui faut expliquer qu'il est RNCP niveau 2 (répertoire national des certifications professionnelles). Allez expliquer à l'étranger que vous êtes à RNCP level 2, ce n'est pas très crédible. Il faut aller dans le sens de ce qui était fait pour les écoles de commerce et les écoles d'ingénieur : la possibilité de diplomation ou de commissions ad hoc. Les choses avancent, mais je ne suis pas mécontent de pouvoir vous en dire un mot. C'est très important pour la compétitivité internationale de notre enseignement supérieur dans ces domaines, qui va de pair avec l'enseignement d'un savoir-faire plus traditionnel.