Intervention de Jean Cassegrain

Commission des affaires économiques — Réunion du 15 février 2017 à 9h30
Audition conjointe de représentants des industries des métiers d'art et du luxe : M. Pascal Morand président exécutif de la fédération française de la couture du prêt-à-porter des couturiers et des créateurs de mode M. Pascal Rousseau secrétaire général de richemont holding france M. Francis Chauveau directeur industriel de puiforcat Mme Bernadette Pinet-cuoq président délégué de l'union française de la bijouterie joaillerie orfèvrerie des pierres et des perles M. Jean Cassegrain directeur général de longchamp

Jean Cassegrain, Directeur général de Longchamp :

La question des normes concerne également l'industrie du cuir. Sauf quand les normes sont absurdes - comme c'est le cas, apparemment, pour l'argenterie -, un industriel peut toujours s'arranger pour les respecter. En revanche, il est impossible de respecter les normes des 80 pays dans lesquels nous vendons nos produits.

À condition qu'elles ne soient pas absurdes, les normes européennes sont très positives : avoir une même réglementation dans toute l'Europe, cela permet de régler le problème dans 28 pays. Dans le secteur du cuir, nous devons déplorer le zèle des autorités françaises par exemple en matière d'étiquetage, une surtransposition des règles. Quand un Italien peut étiqueter « cuir » sur ses produits, nous devons étiqueter « cuir de vachette », « croûte de cuir de vachette », « doublé synthétique », etc.

Récemment, la DGCCRF - qui vient aussi contrôler l'affichage des prix rue Saint-Honoré -, a vérifié les étiquetages de tous nos produits en cuir. Ils ont trouvé un minuscule bracelet, sur une minuscule partie duquel nous avons eu le malheur d'inscrire « cuir » plutôt que « cuir de vachette ». Conséquence : plusieurs jours d'enquête et trois pages de rapport.

Ce qui est absurde, et même honteux, c'est que la maison italienne dont le magasin est situé à côté de la nôtre rue Saint-Honoré et qui vendrait le même produit étiqueté de la même manière serait en règle, ce produit ayant été mis sur le marché en Italie où cette norme n'existe pas. On fabrique des normes qui, en pratique, ne s'imposent qu'aux industriels qui produisent en France. C'est assez révoltant.

La contrefaçon est effectivement un problème international. À cet égard la France est un pays très consommateur en contrefaçons. Mme Primas, vous avez cité l'exemple de ces immeubles à Shanghai, mais sur leurs parkings, les bus sont remplis de touristes occidentaux. Les Chinois, eux, veulent acheter le vrai sac Vuitton ou le vrai sac Longchamp. Le problème se trouve donc aussi chez nous et il faut le traiter. Nous portons ce message auprès de l'Europe, également aux États-Unis, au Canada et en Chine. Dans ce dernier pays, des représentants de notre profession rencontrent régulièrement les responsables du site de vente en ligne Alibaba.com. Des groupes comme Facebook ou Ebay coopèrent assez bien. L'implication des intermédiaires bancaires est déjà une réalité dans certains pays : au Canada, il est possible de signaler à la police les contrefacteurs et MasterCard retire alors son logo des sites litigieux.

Notre législation anti-contrefaçons est très protectrice : quand on attrape les gens, ils vont en prison. Mais la réalité, c'est qu'il n'y a plus personne à attraper en France, car tout est devenu virtuel, et la police et les douanes sont totalement démunies. Pour y avoir beaucoup réfléchi depuis cinq ou six ans, depuis que ce problème est devenu exponentiel, je pense que la seule solution consiste à impliquer les intermédiaires, car ces entreprises de contrefaçon ne pourraient pas exister sans eux.

Au sujet du made in France, j'ai été volontairement un peu provocateur, et certains d'entre vous se sont étonnés que je ne sois pas le héraut du made in France. Il faut dépasser une vision quelque peu romantique du made in France. L'étiquette made in ne vous apprend rien sur la vie d'un produit avant qu'il n'arrive entre vos mains. Exemple assez simple, celui d'un foulard en soie imprimée : la soie grège est généralement tissée en Chine, le foulard peut être imprimé en Italie, tandis que le roulottage - l'ourlet - sera réalisé à Madagascar. Quel made in inscrire sur ce foulard ? Si vous êtes italien, vous ne vous posez pas la question : vous inscrivez made in Italy. C'est très compliqué de déterminer l'origine d'un produit, et surtout cela ne veut rien dire.

En France, il existe des endroits où les conditions de travail sont très mauvaises et où l'on fabrique de mauvais produits ; en Italie - et le made in Italy est un label prestigieux -, certaines personnes travaillent dans des conditions horribles, dans des caves ; a contrario, en Chine, il existe des gens travaillant dans des usines propres, de façon sérieuse.

Notre responsabilité de marque et d'entreprise, c'est de nous assurer que nos produits sont fabriqués dans des conditions sociales et environnementales correctes et avec un niveau de qualité correcte. Le savoir-faire n'est pas génétique : ce n'est pas parce qu'on est français qu'on a automatiquement du savoir-faire. Moi-même, je suis français, mais je suis très maladroit, je ne sais rien faire de mes mains. Inversement, des Tunisiens ou des Chinois peuvent être très habiles de leurs mains. C'est notre travail de les former, de les mettre à nos normes. L'enjeu n'est pas spécifiquement celui du savoir-faire. Comme l'a dit M. Rousseau, la décision de s'implanter dans un pays ou dans un autre répond à une combinaison de facteurs. Le savoir-faire peut jouer dans certains cas, mais entrent aussi en considération les coûts et l'image de marque. Pour les montres, l'origine suisse est importante pour l'image de marque. L'enjeu c'est de réunir le maximum de facteurs favorables en France.

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