Intervention de Catherine Di Folco

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 15 février 2017 à 9h00
Proposition de loi visant à assurer la sincérité et la fiabilité des comptes des collectivités territoriales — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Catherine Di FolcoCatherine Di Folco, rapporteure :

Nous sommes saisis de la proposition de loi présentée par M. Vincent Delahaye et plusieurs de ses collègues du groupe UDI-UC, visant à assurer la sincérité et la fiabilité des comptes des collectivités territoriales.

Selon l'article 47-2 de la Constitution, « les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères. Ils donnent une image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière ». En pratique, il n'est pas aisé de répondre à cette exigence légitime ; la fiabilité des comptes locaux reste perfectible, malgré l'implication constante des élus, des agents territoriaux, des comptables publics et des chambres régionales et territoriales des comptes.

L'exposé des motifs de la proposition de loi mentionne trois exemples dans lesquels des doutes sérieux ont été émis sur la sincérité des comptes présentés par les collectivités territoriales : la Seine-Saint-Denis, l'Essonne et l'ancienne région Poitou-Charentes. Des retards de paiement pratiqués de manière systématique auraient permis de reporter d'une année à l'autre jusqu'à 10 % des dépenses de fonctionnement.

Cette proposition de loi prévoit deux mesures distinctes : le renforcement des contrôles non juridictionnels des chambres régionales et territoriales des comptes - c'est l'aspect préventif - et l'élargissement des compétences de la Cour de discipline budgétaire et financière - c'est l'aspect répressif.

Ce texte prévoit une saisine automatique du ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière lorsque les chambres régionales et territoriales des comptes constatent, à l'occasion d'un contrôle de gestion ou d'un contrôle de l'annualité budgétaire, une infraction sanctionnée par cette juridiction.

Les chambres régionales et territoriales des comptes auraient l'obligation de contrôler, au moins tous les six ans, la gestion des collectivités territoriales et de leurs établissements publics dont les recettes annuelles dépassent régulièrement 200 millions d'euros, soit près de deux cents collectivités territoriales et établissements publics. Les magistrats des juridictions financières resteraient libres, en revanche, d'établir leur propre programme de contrôle pour les collectivités territoriales dont les recettes sont inférieures à 200 millions d'euros.

Les chambres régionales et territoriales des comptes seraient également chargées d'examiner le respect du rattachement des charges à l'exercice budgétaire en cours, conformément au principe de l'annualité budgétaire. Ce contrôle aurait lieu tous les ans pour les collectivités territoriales dont les recettes annuelles dépassent régulièrement 200 millions d'euros, et tous les deux ans pour celles qui disposent de recettes annuelles comprises entre 100 et 200 millions d'euros.

Ce nouveau contrôle de l'annualité budgétaire s'appliquerait au rattachement comptable des charges mais non à celui des produits, ce qui a étonné plusieurs personnes entendues en audition.

Au plus tard un an après l'entrée en vigueur de la loi, le Gouvernement devrait remettre un rapport au Parlement mesurant l'impact de ce nouveau contrôle.

L'article 1er de la proposition de loi élargit, par ailleurs, les possibilités de sanction des élus locaux devant la Cour de discipline budgétaire et financière, alors, qu'actuellement, ils ne sont responsables devant cette juridiction que dans trois cas de figure limitativement énumérés par le code des juridictions financières. Entre 45 000 et 50 000 ordonnateurs locaux seraient concernés par cette mesure.

Le droit applicable aux élus locaux serait ainsi aligné sur celui des membres des cabinets ministériels ou des administrateurs des entreprises publiques, à une exception près : les élus ne pourraient pas exciper d'un ordre écrit les déchargeant de leurs responsabilités devant la Cour de discipline budgétaire et financière. Les membres du Gouvernement, les administrateurs élus des organismes de protection sociale et les administrateurs et agents des associations de bienfaisance resteraient, quant à eux, en dehors du champ de compétence de cette juridiction.

L'article 1er supprime, en outre, le dispositif de l'ordre écrit pour les fonctionnaires ou agents des collectivités territoriales et des établissements publics locaux, soit environ 1,9 million de personnes. Ils ne pourraient plus exciper d'un ordre écrit de leur supérieur hiérarchique ou du président de l'assemblée délibérante pour se décharger de leurs responsabilités devant la Cour de discipline budgétaire et financière. Le dispositif de l'ordre écrit resterait toutefois en vigueur pour les membres des cabinets ministériels, les fonctionnaires ou agents civils ou militaires de l'État et les représentants des organismes soumis au contrôle des juridictions financières (entreprises publiques, organismes de sécurité sociale...).

Enfin, l'article 2 de la proposition de loi prévoit qu'un décret en Conseil d'État détermine les conditions dans lesquelles les personnes détentrices d'un mandat exécutif local peuvent s'assurer contre le risque de sanctions pécuniaires prononcées par la Cour de discipline budgétaire et financière. Cette disposition s'inspire du droit applicable aux comptables publics lorsque leur responsabilité est engagée devant les chambres régionales et territoriales des comptes. Néanmoins, la proposition de loi ne précise pas le mécanisme qui serait retenu (cautionnement à la Caisse des dépôts et consignations, assurances privées...).

La Cour de discipline budgétaire et financière pourrait également prononcer une peine d'inéligibilité à l'encontre des élus locaux qui auraient commis une des infractions mentionnées par le code des juridictions financières. Cette disposition modifierait substantiellement l'office de cette cour qui ne prononce, en l'état du droit, que des sanctions pécuniaires.

Après avoir procédé à de nombreuses auditions, un certain nombre de constats et questions sont apparus au sujet de cette proposition de loi.

Il est sans doute nécessaire de poursuivre les efforts de fiabilisation des comptes locaux. Depuis les années 1980, les règles budgétaires et comptables des collectivités territoriales et des établissements publics locaux ont été progressivement et utilement renforcées. Le comptable public réalise des contrôles internes, en utilisant le logiciel Hélios pour procéder à des contrôles comptables automatisés ; il adapte l'intensité, la périodicité et le périmètre de ses contrôles pour les concentrer sur les opérations présentant le plus de risques budgétaires ou comptables. Les documents budgétaires et comptables sont, dès leur adoption, envoyés au préfet du département qui peut procéder à un contrôle budgétaire. En fin d'exercice, le comptable public transmet à l'ordonnateur un indice de qualité des comptes locaux, qui facilite l'identification de risques d'irrégularités.

Les chambres régionales et territoriales des comptes exercent deux contrôles non juridictionnels, les contrôles budgétaires et les contrôles de gestion, qui peuvent les conduire à saisir le procureur de la République et le procureur général près la Cour des comptes. Elles peuvent aussi saisir le ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière.

Un comité national relatif à la fiabilité des comptes publics locaux, installé en 2010, élabore des guides pratiques consultables en ligne et aide les acteurs dans l'application du droit budgétaire et comptable.

Plus récemment, la loi NOTRe du 7 août 2015 a renforcé les obligations des collectivités territoriales et de leurs établissements publics. Son article 107 impose, par exemple, la présentation d'une étude d'impact financière pour toute opération exceptionnelle d'investissement et, pour les collectivités territoriales de 3 500 habitants et plus, la rédaction d'un rapport annuel sur les orientations budgétaires, les engagements pluriannuels envisagés et la structure de la dette.

La loi NOTRe prévoit, en outre, de généraliser d'ici août 2019 l'envoi dématérialisé des documents adressés au comptable public par les régions, les départements, les communes et les établissements publics à fiscalité propre de plus de 10 000 habitants. Elle renforce les chambres régionales et territoriales des comptes en prévoyant la publicité immédiate des rapports de contrôle budgétaire et l'obligation, pour les exécutifs locaux, de rédiger un rapport sur les mesures prises pour répondre aux recommandations adressées lors d'un contrôle de gestion.

Enfin, une expérimentation, prévue par l'article 110 de la loi NOTRe, sera conduite entre 2017 et 2023 par la Cour des comptes, en lien avec les chambres régionales et territoriales des comptes. Elle vise à expérimenter des procédures de certification des comptes du secteur public local.

Cette certification des comptes pourrait améliorer la qualité de leurs procédures comptables, notamment en ce qui concerne le rattachement des charges et des produits. Il faudra toutefois en maîtriser le coût, surtout dans un contexte de tension des finances locales.

Cinquante collectivités territoriales ont déposé leur candidature pour participer à cette expérimentation. Vingt-cinq ont été retenues, dont la Ville de Paris et le département du Rhône. Les travaux doivent débuter en 2017 pour un premier exercice de certification prévu en 2020. Le Gouvernement établira un bilan d'étape en 2018 puis un bilan final en 2023.

Dans son rapport annuel sur les finances publiques locales de 2015, la Cour des comptes souligne que la fiabilité des comptes du secteur local reste imparfaite. Elle mentionne, à l'instar des auteurs de la proposition de loi, le défaut ou l'insuffisance de rattachement comptable des charges et des produits. Elle soulève toutefois d'autres difficultés, telles qu'un amortissement insuffisant des immobilisations, des provisions pour risques trop faibles ou des informations lacunaires sur la structure de la dette. Dès lors, la proposition de loi ne répondrait qu'à une partie des difficultés soulevées par la Cour des comptes.

Plus généralement, nous pouvons nous interroger sur l'articulation entre le contrôle de l'annualité budgétaire et cette expérimentation, qui débute, de certification des comptes des collectivités territoriales. Il convient de choisir entre ces deux procédures pour éviter l'empilement des dispositifs. À ce stade, il me semble préférable d'attendre le bilan d'étape de l'expérimentation de certification des comptes, dont la publication est prévue en 2018.

Une autre question porte sur le fonctionnement des chambres régionales et territoriales des comptes et de la Cour de discipline budgétaire et financière.

Lors des auditions, les représentants des magistrats des juridictions financières se sont interrogés sur l'opportunité d'imposer un programme de contrôle pour les collectivités territoriales et les établissements publics locaux dont les recettes dépassent 100 millions d'euros. De leur point de vue, la liberté d'organisation laissée aux présidents des chambres régionales et territoriales des comptes constitue une garantie d'indépendance de ces juridictions et permet de concentrer les contrôles sur les comptes présentant le plus de risques de dérapage.

En outre, le renforcement des contrôles de gestion et la création du contrôle de l'annualité budgétaire - prévus par la proposition de loi - pourraient représenter une charge supplémentaire pour les chambres régionales et territoriales des comptes. Par exemple, cela nécessiterait d'augmenter de moitié le personnel de contrôle de la chambre régionale des comptes d'Île-de-France.

De même, l'augmentation du nombre de justiciables devant la Cour de discipline budgétaire et financière et la suppression de l'ordre écrit pour les fonctionnaires territoriaux conduiraient à repenser le fonctionnement de cette cour, qui rend aujourd'hui moins de dix arrêts par an et dispose de très peu de moyens.

Je rappelle, d'ailleurs, que le législateur a déjà confié de nouvelles missions aux juridictions financières sans prévoir de moyens supplémentaires, telles que l'expérimentation de la certification des comptes des collectivités territoriales, l'évaluation des charges et ressources transférées entre collectivités territoriales ou le contrôle des établissements sociaux, médico-sociaux et des établissements de santé privés.

Il convient, par conséquent, de mieux évaluer l'impact concret de la proposition de loi sur la charge de travail du personnel de l'ensemble des chambres régionales et territoriales des comptes et de la Cour de discipline budgétaire et financière.

Enfin, ma dernière interrogation porte sur le rôle et les compétences de la Cour de discipline budgétaire et financière. En 2009, le projet de loi réformant les juridictions financières, inspiré par Philippe Seguin, étendait déjà la responsabilité des élus locaux devant cette cour. Le dispositif prévu semblait toutefois plus encadré que la présente proposition de loi : pour être sanctionnés, les élus locaux devaient avoir agi dans le cadre de leurs fonctions, avoir été informés de l'affaire et avoir donné une instruction, quelle qu'en soit la forme, à un subordonné de commettre l'infraction. À l'époque, la commission des lois de l'Assemblée nationale avait étendu cette responsabilité financière aux ministres ; face à l'opposition du Gouvernement, le texte n'a jamais été inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.

On peut s'interroger sur la mise en oeuvre de la responsabilité des élus locaux devant cette cour de discipline. Une simple erreur dans l'application de règles budgétaires et comptables de plus en plus complexes ne paraît pas justifier l'engagement de leur responsabilité personnelle et pécuniaire. De même, la peine d'inéligibilité de cinq ans prévue par la proposition de loi semble disproportionnée. Pour rappel, les fraudes électorales sont passibles d'une peine d'inéligibilité limitée à trois ans.

De même, il est difficile d'évaluer les conséquences de la suppression de l'ordre écrit pour les seuls fonctionnaires territoriaux. Par cohérence avec la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie des fonctionnaires, il ne me semble pas opportun de mettre en place un traitement différencié entre les fonctionnaires territoriaux, d'une part, et les fonctionnaires hospitaliers et de l'État, d'autre part.

En revanche, il peut être nécessaire de réformer le fonctionnement et le champ de compétences de la Cour de discipline budgétaire et financière. À titre d'exemple, le projet de loi de 2009 prévoyait sa suppression et le transfert de ses compétences à la Cour des comptes. Plus récemment, M. Jean-Louis Nadal, président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, a souligné le manque de visibilité et d'efficacité de cette juridiction. Les auditions que j'ai menées n'ont fait que le confirmer.

Compte tenu de l'intérêt des questions posées par cette proposition de loi mais également de toutes les interrogations soulevées lors des auditions, je vous propose, avec l'accord de son auteur, de déposer une motion tendant à son renvoi en commission, afin d'approfondir notre réflexion sur la meilleure façon de renforcer la fiabilité des comptes des collectivités territoriales.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion