Intervention de Ronan Dantec

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 15 février 2017 à 10h00
Proposition de loi visant à la mise en oeuvre effective du droit à l'eau potable et à l'assainissement — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Ronan DantecRonan Dantec, rapporteur :

Nous sommes en effet réunis pour examiner la proposition de loi visant à la mise en oeuvre effective du droit à l'eau potable et à l'assainissement, adoptée le 15 juin 2016 par l'Assemblée nationale.

L'accès à une eau potable est un élément vital, indissociable de la dignité humaine. Le droit à l'eau potable et à l'assainissement a d'ailleurs été reconnu comme un « droit fondamental, essentiel à la pleine jouissance de la vie » par une résolution de l'Assemblée générale des Nations-Unies du 28 juillet 2010. Mais ce droit est loin d'être une réalité pour tous. Dans le monde, plus de 600 millions de personnes n'ont pas accès à une eau salubre et plus de 2,5 milliards de personnes sont privées d'accès à des installations sanitaires. Il s'agit d'une des premières causes mondiale de mortalité, notamment infantile : près de 700 000 enfants de moins de cinq ans meurent chaque année du fait de maladies liées à la consommation d'une eau contaminée. Le changement climatique, qui accroît les épisodes de sécheresse et accélère la désertification, fait peser une autre menace sur l'accès à l'eau, qui touche en premier lieu les pays les plus vulnérables : 65 % de la population africaine pourrait ainsi être confrontée à un stress hydrique d'ici 2025.

Dans ce contexte, la France jouit d'une situation privilégiée, tant au regard des ressources en eau disponibles que de l'accès de la population à une eau potable et à des équipements sanitaires. En effet, près de 99 % des Français sont aujourd'hui raccordés à un réseau de distribution d'eau. Le droit à l'eau potable est donc une réalité pour la grande majorité des habitants de notre pays. Pourtant, il reste des catégories de population qui n'ont pas accès à l'eau potable et à l'assainissement dans des conditions satisfaisantes : d'une part, celles qui n'ont pas d'accès physique à l'eau, au premier rang desquelles les personnes sans-abri ; d'autre part, les personnes qui ont du mal à régler leurs factures d'eau et font face à des impayés, voire des coupures d'eau.

Cette proposition de loi agit sur deux fronts à travers deux mesures phares : la mise à disposition gratuite d'équipements de distribution d'eau et d'assainissement pour les personnes qui en ont besoin et la création d'une aide préventive pour aider les personnes à faibles ressources à s'acquitter de leurs factures d'eau. Elle est issue de nombreux travaux réalisés ces dernières années sur le droit à l'eau et à l'assainissement, par des juristes comme Henri Smets, des associations, ou encore des institutions comme le Conseil d'État.

Cette proposition de loi s'inscrit surtout dans la lignée de plusieurs initiatives de députés et de sénateurs de sensibilités politiques différentes qui ont cherché à garantir l'accès de tous à l'eau : je pense à la proposition de loi du député André Flajolet de 2010 visant à créer l'allocation de solidarité pour l'eau, ou à la loi du 7 février 2011 relative à la solidarité dans les domaines de l'alimentation en eau et de l'assainissement adoptée à l'initiative de notre collègue Christian Cambon.

À la suite du sixième Forum mondial de l'eau qui s'est tenu à Marseille en mars 2012, et où une délégation de notre assemblée s'était rendue, la Fondation France Libertés et plusieurs associations réunies au sein du collectif « Coalition eau » ont entrepris, avec des parlementaires, la rédaction d'une nouvelle proposition de loi visant à créer une aide préventive d'accès à l'eau. Élaboré de manière transpartisane, le texte issu de ces travaux a été co-signé par des députés de quatre groupes politiques différents à l'Assemblée nationale.

Nommé rapporteur au nom de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, le député Michel Lesage a réalisé un travail important d'amélioration juridique et légistique de ce texte, en lien étroit avec le Gouvernement et le milieu associatif, si bien que le texte qui nous est présenté est juridiquement cohérent. Cet intense travail de préparation, de plus de trois ans, et les contraintes du calendrier parlementaire, expliquent que cette proposition de loi nous soit soumise aussi tard dans la législature. Finir la législature en votant le droit à l'eau serait toutefois un symbole très fort.

La proposition de loi est composée de quatre mesures principales. D'abord, son article 1er reconnaît un droit à l'eau potable et à l'assainissement. Il ne s'agit pas de créer un droit opposable à l'eau au même titre que le droit au logement puisque l'article ne définit pas de voies de recours juridictionnelles pour contraindre la puissance publique à agir, mais d'inscrire dans l'ordre juridique interne un droit déjà consacré au niveau international.

La seconde mesure vise à garantir à tous un accès physique à l'eau potable et à l'assainissement. L'article 2 de la proposition de loi oblige les collectivités compétentes en matière d'eau et d'assainissement à installer et entretenir des équipements de distribution gratuite d'eau potable. Il prévoit également la mise à disposition gratuite de toilettes publiques dans les collectivités de plus de 3 500 habitants et de douches publiques dans les collectivités de plus de 15 000 habitants. Cela permettra aux personnes sans-abri, dont le nombre est estimé à 100 000 en France, de satisfaire leurs besoins élémentaires d'alimentation et d'hygiène par la mise à disposition de points d'eau collectifs et de bains publics.

Cette mesure est loin d'être aussi contraignante qu'il y paraît puisque, pour se conformer à cette obligation, les collectivités pourront mettre à disposition les équipements sanitaires ou de distribution d'eau qui existent déjà, par exemple ceux des bâtiments publics - mairies, centres sportifs, centres d'accueil - ou d'associations subventionnées. Sauf volonté des collectivités d'augmenter leur offre, cette mesure n'occasionnera aucune dépense de construction d'installations nouvelles pour les collectivités. Au regard de l'enjeu humain et sanitaire que représente l'accès de tous à l'eau, cette exigence paraît raisonnable.

La troisième mesure consiste à créer une aide préventive d'accès à l'eau et à l'assainissement, nommée « allocation forfaitaire d'eau ». Les articles 3, 4, 5 et 6 en précisent les conditions d'éligibilité et les modalités de financement. L'article 3 pose le principe d'une aide préventive versée aux personnes dont les dépenses d'eau excèdent 3 % de leurs ressources disponibles. Ce seuil est la norme retenue par les institutions internationales pour caractériser un coût prohibitif de l'eau. En moyenne, les dépenses d'eau représentent 0,8 % du budget des ménages. D'après le Conseil général de l'environnement et du développement durable, il existerait environ 2 millions de personnes en France dont la facture d'eau dépasse ce seuil d'acceptabilité de 3 %.

Actuellement, les ménages confrontés à des impayés d'eau peuvent recourir aux aides versées notamment par les fonds de solidarité pour le logement (FSL) gérés par les départements. Ce mécanisme ne fonctionne toutefois qu'a posteriori pour aider, ponctuellement et au cas par cas, les ménages en difficulté - ce qui occasionne des coûts dont on parle trop peu - et certains ménages, par crainte de stigmatisation ou par méconnaissance des dispositifs existants, n'y ont pas recours. Enfin et surtout, un quart des FSL n'octroient pas d'aides au règlement des impayés d'eau, faute d'un volet spécifique, et lorsque de telles aides existent, leurs critères d'attribution varient fortement d'un territoire à l'autre. Les limites de ces mécanismes curatifs plaident pour la mise en place d'une aide préventive afin d'éviter que les ménages en difficulté se retrouvent dans l'impossibilité de payer leurs factures d'eau.

L'article 4 précise les modalités de versement de cette aide : il s'agirait d'une allocation forfaitaire d'eau versée aux personnes dont les ressources sont inférieures ou égales à celles du RSA « socle ». Les personnes dont les ressources seraient comprises entre le montant forfaitaire du RSA « socle » et le plafond de ressources donnant droit à la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) percevraient la moitié de l'allocation. Le choix de verser cette allocation aux bénéficiaires du RSA « socle », outre le fait qu'il permet une gestion simple et lisible de l'aide, est cohérent avec l'objectif de cibler les personnes dont les dépenses d'eau dépassent 3 % de leur revenu disponible, puisque ce seuil est généralement atteint par les personnes qui disposent de moins de 600 euros par mois. Pour tenir compte de la forte disparité des prix de l'eau sur le territoire, cette allocation ne serait attribuée qu'aux seules personnes payant l'eau à un prix supérieur à un niveau fixé par décret.

L'article 5 est relatif aux modalités de financement de cette aide, dont le coût est estimé entre 50 et 60 millions d'euros - à titre de comparaison, les sommes engagées pour lutter contre la précarité énergétique se situent entre 600 millions et un milliard d'euros... Cet article prévoyait que l'aide soit financée par un Fonds de solidarité du droit à l'eau institué au sein du Fonds national d'aide au logement (Fnal) alimenté par la création d'une taxe additionnelle à la taxe existante sur les eaux en bouteille de 0,5 centime d'euro par litre d'eau embouteillée. Compte tenu du fait qu'environ 150 litres d'eau en bouteille sont vendus en France par an et par habitant, et à supposer que cette taxe soit entièrement répercutée par les entreprises, cela représenterait un surcoût de moins de 1 euro par an pour le consommateur.

Cet article a toutefois été supprimé en séance publique à l'Assemblée nationale à l'initiative du Gouvernement, opposé à la création d'une surtaxe qui aurait pu pénaliser les petites entreprises mettant sur le marché de l'eau embouteillée, et qui a souhaité qu'une solution de financement plus consensuelle soit trouvée. Les fabricants d'eau en bouteille, avec lesquels j'ai eu l'occasion d'échanger, sont favorables à cette nouvelle mouture du texte.

L'article 6, lui, demeure. Il prévoit une solution de repli puisqu'il affecte le produit de l'actuelle contribution sur les eaux embouteillées au Fnal pour le financement de l'allocation forfaitaire d'eau. En clair, l'action publique sera allégée puisque la dépense assurée aujourd'hui par les départements sera prise en charge par l'État et son montant diminué par la réduction des coûts de gestion. L'article 6 prévoit en outre la généralisation, dans tous les fonds de solidarité pour le logement, d'un volet « eau » chargé de financer des aides aux ménages confrontés à des impayés d'eau.

L'article 7 prévoit que les maires ou les présidents d'EPCI présentent un rapport sur les actions menées pour mettre en oeuvre le droit d'accès à l'eau potable et à l'assainissement dans les trois ans suivant les élections municipales. Cette question devra également figurer dans les rapports annuels sur le prix et la qualité du service public d'eau potable présentés aux assemblées délibérantes.

L'article 8 prévoit enfin la remise par le Gouvernement d'un rapport triennal sur la mise en oeuvre de ce droit à l'eau potable et à l'assainissement.

Cette proposition de loi répond à un enjeu humain et social majeur : celui de l'accès de tous à l'eau et à l'assainissement. Fruit d'un long travail réalisé avec le milieu associatif et le Gouvernement, le texte issu des travaux de l'Assemblée est équilibré et cohérent, et tient la route du point de vue juridique. Compte tenu du calendrier législatif, je souhaite qu'il soit adopté de manière conforme par notre assemblée. C'est pourquoi je ne propose pas d'amendements et donnerai un avis défavorable à celui qui a été déposé. J'espère que le Sénat sera à la hauteur de cet enjeu et votera en faveur de cette proposition de loi. La Slovénie a inscrit le droit à l'eau dans sa Constitution ; la France peut être le premier pays à transposer la résolution de l'ONU - qu'elle a soutenue - dans sa législation.

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