Intervention de Henri Cabanel

Réunion du 15 février 2017 à 14h30
Lutte contre l'accaparement des terres agricoles — Adoption définitive des conclusions d'une commission mixte paritaire

Photo de Henri CabanelHenri Cabanel :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, aujourd’hui, je suis très satisfait, en tant que sénateur et en tant qu’agriculteur. Le consensus trouvé dans le cadre de la commission mixte paritaire prouve que, au-delà de nos différences, de nos convictions politiques, nous pouvons nous unir pour des objectifs communs : la préservation d’un modèle d’agriculture familiale et une réponse à l’attente sociétale s'agissant de la baisse des produits de traitement.

Je tiens tout particulièrement à remercier les rapporteurs, MM. Gremillet et Potier, qui ont su établir un contexte d’échange serein et, surtout, constructif.

Le succès de la CMP repose sur un double accord : un accord de raison et un accord de cœur.

Je commence par l’accord de raison. Nous avions essentiellement trois points de divergence sur les articles 1er, 8 et 10. Ils ont fait l’objet de débats, dans le seul intérêt général.

Concernant le foncier et l’article 1er de cette proposition de loi, notre objectif commun est bien de diminuer la spéculation foncière et la dilapidation de terres à des investisseurs étrangers. Il n’est nullement dans notre intention de nous attaquer aux formes sociétaires en général.

M. Jérémy Decercle, président national des Jeunes Agriculteurs, indiquait récemment que deux jeunes sur trois choisissent cette entité juridique lors de leur installation.

La majorité de ces modèles sont vertueux et revêtent de nombreux avantages : mutualisation de moyens matériels et humains, transmission progressive de l’exploitation, protection du patrimoine personnel.

La CMP a donc trouvé un accord sur les amendements sénatoriaux précisant le dispositif, sans pénaliser les exploitations existantes, quelles que soient les formes sociétaires. Le droit de préemption des terres agricoles est maintenu aux sociétés titulaires d’un bail conclu avant le 1er janvier 2016, sans obligation de création d’une société de portage.

Non, il s’agissait uniquement de moraliser les transactions, en comblant un vide juridique et en repositionnant le rôle des SAFER.

L’affaire des terres vendues dans l’Indre a permis un focus médiatique et une réaction des pouvoirs publics, mais il ne faut pas que cette actualité nous fasse oublier le problème majeur du foncier : l’artificialisation des terres pour des logements, des zones industrielles ou commerciales ou des routes.

Les chiffres sont affolants et tournent en boucle sur le web : près de 80 000 hectares disparaissent, en moyenne, chaque année, soit l’équivalent d’un département tous les sept ans ou une perte de trois exploitations par jour. Dans l’Hérault, 25 % de la surface agricole utile a disparu en trente ans, au profit de l’urbanisation.

Et le phénomène ne date pas d’aujourd’hui ; il a démarré dans les années soixante. Baisse des revenus, départ à la retraite, difficultés à trouver un successeur… Autant de raisons qui poussent un exploitant à profiter de l’aubaine financière que peut représenter la vente de ses terres. Si les causes sont humaines et compréhensibles, les conséquences en sont énormes et diverses.

D’abord, cette artificialisation induit la perte de sols fertiles, qui bénéficient quelquefois d’une irrigation financée par des deniers publics.

Puis, elle met en péril notre indépendance alimentaire, l’Europe important l’équivalent de la production de 35 millions d’hectares.

Ensuite, elle a un impact direct sur la biodiversité : les sols stabilisés deviennent imperméables, ce qui a des effets évidents sur le cycle de l’eau. Malheureusement, on le constate régulièrement avec les phénomènes d’inondation que subissent nos différents territoires.

Comment enrayer ce phénomène d’artificialisation ? En ayant une vision de durabilité pour notre agriculture.

Les périmètres de protection des espaces agricoles et naturels périurbains, ou PAEN, qui sacralisent les espaces agricoles et naturels, font partie des outils indispensables à développer.

Monsieur le ministre, vous avez décidé de consacrer un titre entier de la loi d’avenir pour l’agriculture à la protection de ces espaces naturels, agricoles et forestiers, ainsi qu’au renouvellement des générations. L’appréhension du foncier y est centrale. C’est pourquoi vous avez souhaité un renforcement des missions des SAFER, concrétisé par un « pacte d’avenir ».

C’est crucial. Nous devons soutenir ces sociétés, notamment sur leur volume de ventes annuelles et sur la question du stock de foncier. Ces stocks leur sont indispensables pour effectuer un remembrement, qui est nécessaire aux installations et au renouvellement des générations.

Les SAFER ont massivement déstocké pour équilibrer leur budget. Ainsi, dans l’ancienne région Languedoc-Roussillon, le marché du foncier agricole s’est effondré en 2007, avec la crise viticole ; les stocks de la SAFER avoisinent aujourd’hui les 500 hectares, alors qu’ils devraient atteindre les 2 000. On est loin du compte.

Si les outils juridiques et législatifs existent, nous devons nous intéresser à la volonté politique et au financement des portages.

Je redis ma proposition de flécher une partie de la taxe spéciale d’équipement récoltée par les établissements publics fonciers vers les SAFER, par territoire et via une convention d’objectifs. Je laisse cette proposition à la discussion et à l’étude.

Une deuxième partie de la proposition de loi a créé un débat : les articles 8 et 10, qui concernent spécifiquement le développement du biocontrôle.

Là encore, nous sommes parvenus à un consensus, car l’idée n’est pas de figer des activités de la filière. Il s’agit d’offrir aux agriculteurs, premiers touchés par les pesticides, et aux consommateurs une réponse raisonnée aux objectifs de santé publique et de protection de l’environnement. Nous avons décidé la mise en place d’expérimentations et d’évaluations. Elles permettront d’analyser l’efficience des mesures préconisées.

La commission mixte paritaire a également intégré une exception à l’interdiction faite aux collectivités territoriales d’utiliser des produits phytopharmaceutiques classiques à partir du 1er janvier 2017, lorsque la pérennité du patrimoine historique ou biologique est en jeu et qu’il n’y a aucune autre solution.

Dans l’Hérault, j’ai sondé une société de ventes de produits phytosanitaires, dont le directeur a insisté sur la nécessaire pédagogie des agriculteurs pour mieux appréhender l’évolution des pratiques.

Dans les faits, les vendeurs répondent souvent strictement aux demandes des professionnels. Et la réalité est parfois inquiétante : les appareils de traitement ne sont pas forcément bien réglés ; les produits sont parfois suremployés, avec des dosages qui ne correspondent pas toujours à la surface réelle exploitée.

C’est pour ces raisons que les conseils et les diagnostics seront au début compliqués à faire passer, mais ils sont indispensables face à ce constat. Et les objectifs affichés par cette proposition de loi valent ces mois d’adaptation. Les vendeurs, qui bénéficient de trois années pleines pour faire évoluer leur offre de produits et développer les conseils, devront comprendre, avec raison, les enjeux tout aussi environnementaux que sociétaux.

Cette activité de conseil ne doit pas déboucher sur une augmentation du coût des produits, que les exploitations ne pourront pas supporter. Si les agriculteurs sont affaiblis, cela atteindra à terme leur propre activité.

J’ai commencé par l’accord de raison ; je conclus par l’accord de cœur.

L’attachement à notre agriculture et notre compréhension de l’attente sociétale ont été nos seuls guides. En un mot, seul l’intérêt général a fait de cette commission mixte paritaire un succès. Nous avons montré que c’est possible sur des sujets aussi sensibles que l’agriculture et l’environnement.

C’est exactement ce que souhaitent aujourd’hui les citoyens. Ils ne supportent plus les clivages politiques et les querelles de clocher qui sclérosent les décisions. L’efficacité est un triptyque simple : un problème, une solution, une action !

Nous ajoutons l’évaluation, condition demandée par les chefs d’entreprise et les citoyens pour accepter les contraintes générées. Si nous produisons des lois dans un but d’amélioration, nous nous devons d’en étudier l’impact pour coller à la réalité.

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