J'ajoute qu'on observe aussi à l'OSCE une attitude peu coopérative de la Russie, qui cherche à détruire le consensus démocratique sur lequel cette organisation est construite. Quant aux sanctions, elles ont été prises par l'Union européenne en tant que telle, ainsi que par la Norvège, l'Australie, le Canada, le Japon et la Suisse. Si M. Trump souhaite affaiblir encore l'Union européenne, il peut les lever unilatéralement. Nous verrons alors ressurgir en Europe les mêmes clivages qu'en 2003.
Les Balkans sont une zone de confrontation. Les diplomates américains qui nous expliquaient comment gérer la période de transition actuelle ont beaucoup insisté sur le Monténégro. Les liens entre la Russie et la Serbie sont anciens, et matérialisés notamment par la base de coopération humanitaire à Nis. La force d'attraction de la Russie sera-t-elle suffisante pour que ces pays changent de pied et renoncent à adhérer à l'Union européenne ? Rien n'est moins sûr. Les Balkans sont aussi traversés par la route migratoire qui vient de la Turquie. Et nous connaissons l'influence de la Russie sur l'appareil d'État turc.
M. Lavrov affirme que la Syrie doit conserver ses frontières actuelles, issues des accords Sykes-Picot, ce qui entretient l'illusion que Bachar el-Assad pourra retrouver le contrôle complet de son territoire. Or les Kurdes sont très actifs. Que ferons-nous si la Turquie, membre de l'Otan, se livre à des exactions contre eux ?
Il est très difficile de s'entendre avec les Russes sur le fait qu'il existe des mouvements spontanés d'insurrection contre un pouvoir autoritaire, comme les révolutions de couleur ou les « printemps arabes ». Pour eux, ces phénomènes sont téléguidés de l'extérieur ou pilotés par des services de renseignement.
La Russie explique que le djihadisme a été alimenté par les Occidentaux, et notamment par les Américains lors de leur intervention en Afghanistan, dans les années 1980. Ils oublient de rappeler qu'ils les y ont précédés, et que la quasi-alliance sino-américaine qui s'y est nouée à l'époque était dirigée contre eux ! Le régime russe actuel repose en partie sur un pacte entre MM. Poutine et Kadyrov. La première guerre de Tchétchénie, entre 1994 et 1996, correspond au point bas de l'abaissement géopolitique de la Russie. Elle aboutit à une défaite humiliante pour les forces russes. En 1999 et en 2000, l'accès au pouvoir de M. Poutine est lié à des opérations de lutte contre le terrorisme tchétchène : M. Poutine offre à son armée une revanche en Tchétchénie, dont M. Kadyrov devient ensuite l'acteur principal. Signalons qu'en juin 2015, après l'attentat contre Charlie Hebdo, 800 000 personnes ont manifesté contre ce journal à Grozny.
La Russie a été massivement frappée par le terrorisme dans les années 1990. Pour elle, la guerre contre le terrorisme a commencé dès 1996, avec la lutte à mort contre M. Bassaïev. Au cours des années 2000, la Russie a été le troisième pays le plus frappé par le terrorisme, après l'Afghanistan et l'Irak. Le problème a été réglé en laissant carte blanche à M. Kadyrov. Mais nombre de djihadistes du Caucase du Nord sont sortis du pays et ont transité par la Turquie, malgré les opérations menées par ce pays pour les neutraliser. Les autorités russes font tout pour qu'ils ne reviennent pas sur le territoire de la Fédération.
Pour des raisons historiques évidentes, la relation franco-russe n'a rien à voir avec la relation germano-russe. C'est une relation teintée de romantisme, à l'image de la saga du Normandie-Niemen, dont le dernier aviateur, Gaël Taburet, est mort hier. On est souvent tenté de mobiliser les beaux symboles qui l'émaillent, mais la réalité est que nous avons de profondes divergences. Le discours de propagande russe dans notre pays va évidemment monter en puissance dans les prochaines semaines. La relation franco-russe s'est bien développée sur le plan économique depuis quinze ans, avec de très beaux succès de nos entreprises. Et nous avons réussi à trouver des convergences sur plusieurs dossiers politiques. Le problème de fond est le suivant : cette relation franco-russe est-elle prioritaire par rapport à la relation entre l'Union européenne et la Russie ? Pour Moscou, la réponse est évidemment oui, puisque la stratégie est de bilatéraliser les relations, dans le cadre d'une approche renvoyant au concept de concert européen, comme au dix-neuvième siècle. En bilatéral, peu de pays peuvent tenir tête à la Russie : l'Allemagne, essentiellement, et la France et l'Angleterre sans doute aussi.