Sur les démonstrations de force de la Russie, je vous invite à lire le compte rendu de l'audition des ambassadeurs de Norvège, de Suède et de Finlande devant la commission de la défense de l'Assemblée nationale au début du mois. La préoccupation de ces trois alliés - dans le cadre de l'Union européenne ou de l'OTAN - est palpable. Il y a en effet des tests en permanence, cela préoccupe nos autorités militaires et mobilise des forces. Que cherche la Russie ? À évaluer nos capacités de réaction et la cohésion de l'OTAN, certainement. Mais surtout, à obtenir un ascendant psychologique. C'est le mode de fonctionnement du président Poutine. Cette intimidation stratégique passe aussi par le facteur nucléaire.
Pour comprendre l'influence russe dans la campagne électorale américaine, il faut se placer dans un cadre chronologique remontant jusqu'à 1996. Cette année-là, l'action conjuguée de trois oligarques - MM. Berezovski, Gusinsky et Khodorkovski - sous l'influence américaine, a fait réélire M. Eltsine, alors que celui-ci était à 5 % dans les sondages. Pour M. Poutine et son entourage, il s'agissait là d'une ingérence directe dans les affaires intérieures de la Russie. Vingt ans plus tard, le bac se retourne sur le cochon, et la Russie exerce ouvertement une influence sur les élections américaines.
C'est aussi en 1996 qu'ont commencé les négociations secrètes entre Russes et Américains sur la gestion du cyberespace. La Russie souhaitait qu'il soit régulé par l'ONU, quand les Américains, qui y voyaient un outil de promotion de la démocratie et de domination économique, s'y opposaient. Ce processus s'est fracassé sur l'affaire Snowden. Nous sommes désormais dans une guerre ouverte pour le contrôle du cyberespace, dans laquelle la Chine joue aussi un rôle de premier plan.
Bien sûr, il serait absurde d'expliquer le phénomène Trump, qui répond à une évolution sociologique profonde des États-Unis, dont les classes moyennes ont été laminées, et constitue le prolongement du mouvement des Tea parties, par l'action de la Russie. Pour autant, on ne saurait exonérer la Russie qui, comme d'autres puissances, s'est efforcée de faire tomber la pièce du bon côté au dernier moment. En France, on voit bien que la Russie soutient le Front national et que celui-ci tient lieu de ce qu'était le PCF pendant la Guerre froide. Le programme de Mme Le Pen invite à une alliance stratégique avec la Russie. Pour autant, il serait absurde d'expliquer la progression du Front national depuis trente ans par ce soutien. Mais ne nous leurrons pas : la Russie va essayer de faire en sorte que la pièce tombe du bon côté - pour elle.
La question sur la Libye renvoie à la relation de la Russie avec l'Égypte, qui enregistre un regain dans la coopération militaire sur fond d'une grande similitude dans le style de gouvernement. Oui, il y a eu une mise en scène sur un navire russe, mais je ne sais pas exactement quel type de soutien est apporté aux forces du général Haftar. En tous cas, pour la Russie, tout vide stratégique est une opportunité à saisir.