Intervention de Alain Lambert

Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation — Réunion du 9 février 2017 : 1ère réunion
Audition de M. Alain Lambert président du conseil national d'évaluation des normes cnen sur le bilan et les perspectives de la simplification normative

Photo de Alain LambertAlain Lambert, président du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) :

Merci de votre accueil. Je me réjouis de vous voir si nombreux. Le partenariat avec le Sénat a été très précieux pour le CNEN. Ce matin encore, au cours d'une réunion de trois heures, j'ai constaté combien le pouvoir réglementaire, à ses échelons les plus modestes, prenait de liberté avec l'intention du législateur : à partir d'un texte sur la protection de l'ouïe des jeunes, il était question de faire distribuer par les maires, avant tout concert, des bouchons d'oreille ! Lorsque je leur ai lu le texte de la loi, les membres du Conseil ont été stupéfaits. Hélas, notre avis défavorable risque de n'avoir guère de poids. En tous cas, nous trouvons en vous un soutien indispensable qui nous autorise à mettre en exergue l'intention du législateur.

La destruction des grands principes de notre droit à laquelle aboutissent les excès du pouvoir réglementaire est-elle une fatalité ? Le combat est-il perdu d'avance ? Répondre « oui » à cette question, c'est accepter que l'élaboration de notre droit échappe aux représentants du peuple français. Ce serait, si je puis dire, faillir à votre devoir.

L'intention du législateur est souvent déformée par l'administration au motif que le droit devrait être d'application uniforme sur notre territoire. Mais la proportionnalité n'est pas l'inégalité ! Et le principe d'égalité n'empêche aucunement d'introduire une dose de proportionnalité ; ce point a été tranché à de multiples reprises par la jurisprudence. La diversité de notre pays est une chance, et vous-mêmes adoptez chaque année des dispositions adaptées à l'outre-mer ou aux différentes tailles de collectivités territoriales.

Cela dit, le Conseil d'État a clairement indiqué que le principe de proportionnalité devrait figurer soit dans notre Constitution, soit au moins dans un texte législatif. À vous de guetter l'opportunité, soit de l'introduire par voie d'amendement, soit de profiter d'une révision constitutionnelle pour insérer dans un alinéa de l'article 72 les mots « selon le principe de proportionnalité ».

Parfois, c'est la transposition du droit communautaire qui produit des textes incompréhensibles. Dans celui que nous examinions ce matin, l'administration avait repris le dispositif d'une décision de la Cour de Justice, mais celle-ci tranchait un contentieux bien précis, qui n'avait pas vocation à être généralisé !

Vous pouvez faire évoluer ces pratiques, plus que vous ne l'imaginez. D'abord, en travaillant sur les exposés des motifs de vos amendements - même si je sais bien que le Gouvernement ne les accueille pas tous. Ainsi, le pouvoir réglementaire connaîtra vraiment l'intention du législateur. À cet égard, la formule à laquelle il est souvent fait recours : « l'amendement s'explique par son texte même », est évidemment insuffisante... Je sais le président Larcher attaché à l'application de l'article 41 de notre Constitution, et je l'en approuve. Nous ne pouvons pas morigéner les administrations lorsqu'elles rédigent un texte réglementaire trop complexe, et ne pas respecter le domaine qui nous est imparti.

Nous devons aussi convaincre l'ENA et les instituts d'études politiques d'intégrer à leurs programmes l'enseignement de la légistique. Je voyais bien ce matin que les fonctionnaires en cause poursuivaient consciencieusement le bien public, mais on ne leur avait pas appris à écrire le droit de manière efficace.

Je comprends que vous soyez attachés à ce que les études d'impact soient travaillées, mais elles sont souvent faites au doigt mouillé. Il faudrait surtout systématiser les études ex post, qui sont la seule manière de vérifier l'exactitude des prévisions et la proportionnalité entre le coût et l'objectif. Et, même après expérimentation, je ne trouve pas choquant d'avoir une clause de réexamen après trois ou cinq ans.

Le droit pénal inhibe parfois les agents publics et les élus. Certes, la sanction pénale doit exister. Mais la pénalisation de certains domaines de l'action publique est contestable. Ainsi, je préside un établissement public composé pour moitié de fonctionnaires et pour moitié d'élus. Nous avons fonctionné une année entière sans que notre budget ait été adopté, faute d'accord entre nos tutelles. C'est-à-dire que nous avons manié des fonds publics en toute illégalité ! Il le fallait pourtant !

Vous avez aussi plus de pouvoir que vous ne le pensez dans vos fonctions de contrôle. Quand on vous a forcé la main, car le fait majoritaire existe au Parlement, vous pouvez obliger le ministre ou son administration, un ou deux ans après, à venir vous rendre compte des effets des mesures qu'ils ont fait adopter. C'est important, pour que la loi ne soit pas qu'un acte de communication.

Je ne suis pas résigné. La prolifération du droit peut être contenue. C'est affaire de volonté politique, et le Sénat a une forte légitimité en la matière, donc une lourde responsabilité !

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