Permettez-moi tout d'abord de remercier le Président Bizet qui, pour la deuxième fois depuis le début de l'année, donne la parole aux membres français de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, prouvant que la commission des Affaires européennes du Sénat n'est pas uniquement la commission des Affaires de l'Union européenne. Une telle initiative constitue la première mise en application d'une des conclusions du rapport que j'ai remis au Premier ministre il y a quelques jours et dont je viens vous présenter les conclusions aujourd'hui.
La primauté du droit, le respect des droits de l'Homme et la promotion de la démocratie constituent les fondements de la construction européenne depuis 1949. La création du Conseil de l'Europe et la Convention européenne des droits de l'Homme ont ouvert un cycle vertueux pour le continent, dont l'unification a progressé en même temps qu'avançait la démocratie. D'abord en direction des pays du Sud de l'Europe, puis vers les anciennes républiques populaires. Le Conseil de l'Europe a joué un rôle essentiel, notamment par l'intermédiaire de la Commission pour la démocratie par le droit, dite « Commission de Venise », qui a permis de consolider, au sein des États concernés, les acquis de la transition démocratique. C'est également le Conseil de l'Europe qui, le premier, a accueilli, en son sein, les pays représentant ce que nous avons appelé un temps la « Nouvelle Europe », jouant de facto le rôle d'antichambre de l'Union européenne.
L'Union européenne est intervenue dans un deuxième temps via les programmes de préadhésion puis l'adhésion proprement dite. Elle a contribué, notamment au plan financier, à enraciner dans ces pays les valeurs défendues par le Conseil de l'Europe tout en poursuivant sa volonté de convertir ces États aux quatre libertés - personnes, biens, capitaux, installation -, préalables indispensables à l'intégration économique.
La création d'une Agence européenne des droits fondamentaux est venue néanmoins tempérer ce partage des rôles, renforçant la volonté de l'Union européenne de conférer une réelle tonalité politique à son action. Au risque de parasiter celle du Conseil de l'Europe dont la visibilité et la cohérence s'est, il faut le reconnaître, effritée avec le temps.
Le Premier ministre m'a, à cet égard, demandé il y a quelques mois de réfléchir aux moyens de renforcer la complémentarité entre les deux organisations. Je souligne ce terme de complémentarité, tant le Conseil et l'Union sont, à mon sens, interdépendants. Une absorption du Conseil par l'Union européenne semble, en effet, impossible car il existe entre les deux des différences de structure - le Conseil est une organisation intergouvernementale et l'Union, une organisation intégrée - et de format - le Conseil réunit, outre les 27 États membres de l'Union, vingt autres pays dont la Russie, la Turquie, l'Islande, les pays des Balkans occidentaux ou l'Azerbaïdjan.
Les relations entre les deux organisations s'inscrivent dans un contexte nouveau, marqué par le sommet de Varsovie en 2005, la publication du rapport Juncker sur la coopération entre le Conseil et l'Union européenne en 2006 et la conclusion d'un mémorandum d'accord en 2007. L'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne et le développement de la politique de voisinage de l'Union européenne, en direction notamment de pays membres du Conseil de l'Europe ou faisant l'objet de programmes de coopération de sa part ont, également, un impact indéniable sur l'évolution des rapports entre les deux organisations.
Signe de cette évolution, en 2011, 56 programmes conjoints entre les deux organisations devraient être conduits, dont 7 dans le domaine des droits de l'Homme, 20 dans celui de l'État de droit et 29 dans le domaine de la démocratie. L'Union européenne assure la grande majorité du financement de ses programmes, soit environ 82 %.
La création de l'Agence européenne des droits fondamentaux en 2007 vient cependant tempérer la nécessité d'un rapprochement entre le Conseil de l'Europe et l'Union. Je regrette à cet égard la passivité des États membres des deux organisations qui n'ont pas su ou voulu défendre la valeur ajoutée du Conseil de l'Europe dans ce domaine et, notamment, l'expertise de son commissaire aux droits de l'Homme. Les moyens accordés à l'Agence, 20 millions d'euros en 2010, soit plus que le budget affecté à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe - 14 millions d'euros -, traduit d'ailleurs ce manque d'ambition des États membres à l'égard du Conseil de l'Europe.
Il est indéniable et inévitable que les activités du Conseil de l'Europe et de l'Agence des droits fondamentaux se recoupent. Les travaux menés par cette dernière, ces deux dernières années, rappellent les problématiques du Conseil de l'Europe : discriminations, accès à la justice, violences à l'égard des femmes. Il importe que de véritables synergies soient mises en place entre l'Agence et le Conseil de l'Europe, fondées notamment sur une mutualisation des ressources et l'élaboration de programmes conjoints. L'accord de coopération du 15 juillet 2008 doit, à cet égard, être respecté afin de renforcer la complémentarité entre l'Agence et le Conseil de l'Europe. Une évaluation de l'action de l'Agence doit, au terme de son règlement, intervenir d'ici la fin de l'année. L'hypothèse d'une suppression de l'Agence ne doit pas, à mon sens, être écartée, au regard, notamment, du coût pour les gouvernements de ce doublon. En cas de maintien, l'Agence devra être à la disposition de l'Union européenne, mais aussi du Conseil de l'Europe, pour l'assister dans l'exercice de ses fonctions traditionnelles.
Au-delà de la question de l'Agence européenne, il convient de mettre en place un système d'alerte précoce et d'échanges d'informations dès lors que sont prise des normes juridiques nouvelles. L'expertise dont le Conseil dispose en matière de suivi - ou monitoring - des engagements pris par les États membres au moment de leur adhésion dans le domaine des droits représente également un atout que l'Union européenne devrait mieux exploiter. Il convient, en effet, de lutter contre toute tentation de l'Union à se doter de tels services de monitoring. Cela étant, une rationalisation des activités du Conseil en la matière doit parallèlement être poursuivie, tant celles-ci ont eu tendance à se multiplier ces dernières années, au risque de créer une forme de lassitude au sein des États concernés face à des obligations de rendre des comptes tous azimuts.
Le travail de terrain du Commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe, qui agit en toute indépendance, doit également être mieux pris en compte par l'Union européenne, comme l'avait déjà souligné le rapport Juncker en 2006. L'Union doit, à l'avenir, envisager le Conseil de l'Europe et ses organes comme son prestataire de services dans le domaine des droits fondamentaux.
La politique de voisinage de l'Union européenne pourrait servir de cadre à cette coopération nécessaire entre les deux organisations. L'Union pour la Méditerranée, comme le Partenariat oriental, concernent en effet des pays liés à des degrés divers au Conseil de l'Europe. Les pays de la rive sud de la Méditerranée ont, ainsi, noué des liens particuliers avec le Conseil de l'Europe via le statut de « Partenaire pour la démocratie » et souhaiteraient profiter de son expertise. Dans le cadre de l'Union pour la Méditerranée, on pourrait imaginer une répartition des rôles entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe, le Conseil se voyant confier les questions liées à la démocratie et aux droits de l'Homme. Au sujet du Partenariat oriental, l'Union européenne doit chercher à tirer profit de l'expertise acquise par le Conseil dans cette région, cinq des six pays visés par ce programme étant déjà membres du Conseil : Arménie, Azerbaïdjan, Géorgie, Moldavie et Ukraine.
La réflexion engagée sur le renforcement de la coopération entre les deux organisations ne doit pas, pour autant, exonérer le Conseil de l'Europe de tout travail de réforme en son sein. Il convient, à cet égard, de souligner l'ambitieux programme de son Secrétaire général, M. Thorbjørn Jagland, dans ce domaine. Le constat est simple : le Conseil de l'Europe doit se recentrer sur son coeur de métier, symbolisé par le triptyque démocratie - droits de l'Homme - État de droit, rompre avec l'inflation normative qu'elle connaît depuis des années - 200 conventions sont actuellement en vigueur, certaines pouvant être jugées obsolètes - et lutter contre l'engorgement de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Une meilleure implication des États est, à ce titre, indispensable tant le format intergouvernemental de l'organisation implique un appui constant des États membres, en particulier de ceux appartenant déjà à l'Union européenne. Nous ne pouvons, en effet, laisser certains États où les standards démocratiques ne sont pas toujours correctement appliqués, à l'instar de la Russie ou de la Turquie, profiter de notre passivité au sein des instances strasbourgeoises. Il existe un risque réel que notre absence tempère les ambitions initiales du Conseil de l'Union européenne et permette une vaste entreprise de relativisation du principe d'universalité des droits de l'Homme. Le Comité des ministres, « gouvernement » du Conseil de l'Europe si je puis dire, doit, à cet égard, voir son rôle d'orientation stratégique revalorisé.
De fait, comme le souhaite le Secrétaire général, il convient d'aboutir à un pilotage plus politique du Conseil de l'Europe, dont la gouvernance serait rationnalisée via une révision de ses programmes d'activités, actuellement au nombre de 130. Les contraintes financières qui pèsent sur l'Organisation rendent cette réforme indispensable. Elle devrait être complétée dans les prochains mois par une deuxième phase, portant sur le positionnement stratégique du Conseil de l'Europe et sur sa capacité à identifier et analyser les problèmes qui se posent à la société européenne.
L'Assemblée parlementaire qui, je vous le rappelle élit le Secrétaire général et les juges à la Cour européenne des droits de l'Homme, a clairement un rôle à jouer dans cette réforme, en sachant qu'elle aussi doit voir son fonctionnement modernisé. Je salue, à cet égard, le travail entrepris en ce sens par notre président de délégation, Jean-Claude Mignon.
L'Assemblée parlementaire est un forum paneuropéen de dialogue interparlementaire qui permet de débattre de questions politiques sensibles, à l'image du conflit entre la Géorgie et la Russie, mais aussi de sujets controversés comme l'intégration des Roms ou la place de l'Islam dans nos sociétés. Il convient néanmoins de lui permettre de recentrer son activité sur le coeur de métier et délaisser les sujets périphériques où sa valeur ajoutée est anecdotique. Un mécanisme de recevabilité des propositions de résolution ou de recommandation devrait, à cet égard, être mis en place. Il devrait être accompagné d'une réduction du nombre des commissions permanentes et d'un allègement concomitant de l'ordre du jour. Un accent pourrait également être mis sur une amélioration du dialogue, quasi inexistant, avec le Parlement européen. Sans être institutionnalisé, la coopération entre les deux institutions devrait t être fondée sur une approche thématique.
Au-delà de la coopération technique entre les deux organisations, il convient de s'attarder quelques instants sur la question de l'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'Homme. Si l'objectif est de créer un ordre juridique unique en matière de droits de l'Homme à l'échelle du continent européen, l'adhésion va également créer un lien organique entre l'Union et le Conseil de l'Europe. Pour autant, comme l'a déjà souligné le Président Robert Badinter au sein de cette commission, un nombre non négligeable de modalités pratiques restent à préciser en ce qui concerne l'acte d'adhésion en tant que tel et il convient de ne pas agir avec précipitation. Un groupe de travail informel rassemble, aux côtés du service juridique de la Commission européenne, sept États membres de l'Union européenne, dont la France, et sept États membres du Conseil de l'Europe, mais non intégrés à l'Union européenne, dont la Russie et la Turquie.
L'adhésion à la Convention européenne des droits de l'Homme pose un certain nombre de difficultés qu'il convient de dépasser sous peine de rendre illusoire cette unification par le droit. Les actes de la politique extérieure et de sécurité de l'Union doivent ainsi être exclus du champ d'application de l'accord d'adhésion. L'Union européenne ne doit, par ailleurs, pouvoir adhérer qu'aux protocoles de la Convention que ses États membres ont d'ores et déjà ratifiés. L'adhésion aux autres protocoles implique un accord préalable de tous les États membres. Le juge désigné par l'Union européenne à la Cour européenne des droits de l'Homme doit, par ailleurs être un juge permanent et non un juge ad hoc appelé à siéger dans les affaires concernant l'Union européenne. Ce juge serait élu par une délégation du Parlement européen. La Commission européenne devrait également pouvoir participer aux réunions du comité des ministres dès lors que celui-ci exerce ses fonctions de contrôle de l'exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Il convient, par ailleurs, de rappeler que la Cour de justice de l'Union européenne dispose du monopole d'interprétation du droit communautaire, ce qui n'est pas sans poser problème en cas de requête portant sur ce droit devant la Cour européenne des droits de l'Homme. Je souhaite que soit donc mis en place un mécanisme de renvoi préjudiciel, afin que la Cour européenne des droits de l'Homme puisse saisir la Cour de justice de l'Union européenne. L'avis de cette dernière lierait la Cour de Strasbourg. Je suis, par ailleurs, favorable à ce que l'acte d'adhésion de l'Union européenne à la Convention puisse être soumis pour avis à la Cour de Luxembourg.
L'Union européenne souhaite agir en qualité de co-défendeur aux côtés d'un État membre dès lors que celui-ci est attaqué devant la Cour européenne des droits de l'Homme sur un acte résultant d'une obligation communautaire. Je suis sceptique la pertinence d'un tel dispositif tant la portée politique d'une condamnation pourrait être très négative pour l'Union européenne. Je lui préfère un mécanisme de tierce intervention de l'Union, dès lors qu'elle estime que le droit de l'Union est véritablement mis en cause. Un État membre pourrait, au nom de sa souveraineté, refuser cette intervention.
Couronnement juridique de la coopération entre le Conseil de l'Europe et l'Union européenne, l'adhésion à la Convention européenne des droits de l'Homme devrait néanmoins prendre plusieurs années. En effet, dès lors qu'un accord sera trouvé entre les parties sur l'acte d'adhésion, les 47 États membres du Conseil de l'Europe et l'Union européenne devront le ratifier. Cette procédure ne va pas toujours de soi, comme les réticences russes à ratifier le protocole n° 14 à la Convention l'ont démontré dans un passé récent. Une prise en otage politique de la ratification n'est pas à exclure.
En guise de conclusion, j'aimerais m'attarder un instant sur le rôle que pourrait jouer la France dans ce renforcement de la coopération entre les organisations. Depuis de nombreuses années, on observe en effet une certaine passivité du pouvoir exécutif à l'égard du Conseil de l'Europe, pourtant situé sur son territoire. Nous en sommes particulièrement témoins dès lors qu'il s'agit de préparer nos interventions devant l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.
Le Gouvernement français doit être plus présent au sein du Conseil. D'autant que la France est le premier contributeur au budget du Conseil de l'Europe et que le travail et l'implication de notre délégation parlementaire sont reconnus par tous nos interlocuteurs. Une coordination administrative des ministères concernés via le Secrétariat général aux affaires européennes doit être mise en place, à l'instar de ce qui existe déjà pour les dossiers communautaires. Une telle réévaluation de l'action de notre Gouvernement au sein du Conseil de l'Europe renforcerait sa crédibilité et légitimerait un partenariat avec l'Union européenne.
Rappelons que le contexte est extrêmement favorable à une telle implication au regard, notamment, de la réforme Conseil de l'Europe. La présence des plus hautes autorités françaises devant l'assemblée parlementaire constituerait à cet égard un bon signal. Je tiens à rappeler que les chefs d'État ou de gouvernement allemand, roumain, turc ou serbe sont intervenus devant les parlementaires au cours de ces dernières années.
Une réflexion sur la visibilité des activités de la délégation parlementaire française doit également être menée. Une présentation annuelle des travaux du Conseil de l'Europe, et en particulier de son assemblée parlementaire, devant l'Assemblée nationale et le Sénat pourrait être ainsi envisagée. Il convient, dans le même temps, de mettre en relief l'activité des parlementaires au titre de leur mandat de délégué auprès de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Leur rôle est largement reconnu au sein de Parlements d'autres États membres comme la Douma russe. L'Assemblée parlementaire y est, en effet, considérée comme une véritable « école des cadres », permettant à ses membres d'acquérir une réelle expérience en matière des pratiques européennes. Nous devons, dans une certaine mesure, nous en inspirer, tant cette Assemblée participe du bon fonctionnement ce qu'il est coutume d'appeler la « diplomatie parlementaire » et qui peut permettre d'avancer sur un certain nombre de sujets délicats. Je pense ici aux débats sur la burqa ou sur l'indépendance du parquet. Une meilleure implication de l'exécutif comme du législatif français permettrait de mieux faire comprendre nos positions et éviter tout raccourci concernant nos orientations.
C'est le sens de mon rapport et d'une partie des quarante-sept propositions que j'ai formulées.
Je vous remercie.