Intervention de Henri Malosse

Commission des affaires européennes — Réunion du 5 février 2014 : 1ère réunion
Institutions européennes — Audition de M. Henri Malosse président du comité économique et social européen

Henri Malosse :

Monsieur Teulade, vous avez raison : pourquoi ne sommes-nous pas écoutés ? Lorsque j'étais rapporteur du Comité sur la directive Bolkestein il y a quelques années, nous avions attiré l'attention sur le dumping social et fiscal qui en résulterait. Pourquoi a-t-on soumis les travailleurs détachés jusqu'à trois mois, aux règles du pays d'accueil, sauf pour les cotisations sociales, contrairement à ce que je préconisais ? Le tollé qu'elle a suscité en France et ailleurs aurait été épargné, en dépit du bricolage postérieur du Parlement européen, qui a repris certaines de nos suggestions.

Depuis une quinzaine d'années, les institutions de l'UE ont tendance à négliger, non seulement le Comité économique et social, mais aussi les acteurs sociaux reconnus, organisations professionnelles, syndicales, consulaires, au profit d'une myriade de lobbyistes. Le Parlement européen a organisé des « agoras citoyennes » : sur 300 personnes, vingt à trente représentent des organisations légitimes, noyés au sein de « la société civile du rond-point Schuman », des gens respectables assurément, mais dont la représentativité se mesure au carnet d'adresses. Cela pose un problème de démocratie.

Du temps de Jacques Delors, le président de la Commission accordait une grande importance à notre comité. Il lui avait demandé un avis exploratoire sur la dimension sociale de l'Europe, qui a inspiré le volet social des traités. Hélas, ce respect et cette confiance se sont dégradés. C'est pourquoi je fonde beaucoup d'espoirs dans notre accord de coopération avec le Parlement européen.

Nous sommes libres, puisqu'il n'y a pas de mandat impératif : nous dialoguons, trouvons des consensus. Ainsi, sur le temps de travail, nous avons dégagé des idées de compromis, qui ont été ensuite reprises par le Parlement ou le Conseil européens. Mais on nous néglige. Nous devons nous battre, prendre la parole...Depuis vingt ans, nous avons été trop « gentils », aussi ne sommes-nous guère écoutés. Il faut être plus directs, planter du clinton à Alès !

Sur le chômage, il faut se garder d'inférer des corrélations hâtives, tant le problème est complexe. La situation géographique entre en ligne de compte. Il y a, hors zone euro, des pays comme la Suède et le Danemark, dont la situation économique est meilleure que celle des autres, pour de multiples raisons. Au sein de la zone euro, l'Autriche, l'Allemagne ont des taux de chômage moins élevés que d'autres pays. Il y a, au sein de la zone euro, des pays qui ont été frappés plus durement par la crise, et ont bénéficié de la solidarité de leurs partenaires. Les conditions posées, l'austérité ont-elles été trop dures ? Certains le pensent. Les relations de cause à effet ne sont portant pas aisées à établir. Le Royaume-Uni fut, des Vingt-Huit, le plus frappé par la crise bancaire, mais aussi celui qui a consacré le plus d'argent public au sauvetage de ses banques ; il n'est pas membre de la zone euro. Contrairement à l'Irlande, à la Grèce ou à l'Espagne, il disposait des ressources pour ce faire.

Sur le Smic, l'Allemagne évolue positivement. Faut-il imaginer un jour un Smic européen ? Nous avons proposé - en relayant la suggestion du groupe des travailleurs - qu'un revenu minimum européen soit établi en fonction du PIB de chaque pays. Lorsque je suis allé en Bulgarie, j'ai fait la « une » des journaux, en évoquant un niveau de 400 € dans dix ans, qui fait rêver là-bas !

La convergence fiscale et sociale doit devenir l'un des piliers de la construction européenne. Depuis quinze à vingt ans, dans la plupart des pays, un sentiment général de la concurrence a fait place à celui de la convergence et de la solidarité. Nos systèmes fiscaux et sociaux sont mis en concurrence, plus qu'ils ne sont incités à converger. Certains s'en sortent mieux que d'autres, lesquels ont le sentiment qu'on leur impose l'austérité, qu'on ne leur propose que de se serrer toujours davantage la ceinture. Il manque des « solidarités actives », selon la belle expression de Jean Monnet, autour d'objectifs communs. Songez qu'il y a un écart de un à douze entre le revenu minimum en Bulgarie et au Luxembourg !

Jacques Delors, pendant son deuxième mandat, avait tenté de proposer aux Gouvernements, ce qui était plus facile à faire à quinze qu'à vingt-neuf, un calendrier progressif vers la convergence, une sorte de « serpent ». Une telle perspective pourrait être expliquée à nos concitoyens : même s'il y aura toujours des fraudeurs, plutôt que de conduire au dumping social, l'Europe pourrait être plus solidaire, plus forte. En Grèce, quand le prix du tabac a augmenté, des cigarettes de contrebande ont été importées de Turquie et de Bulgarie. Si l'on se contente de proclamer « que le meilleur gagne ! », si l'Europe n'est qu'un marché, elle n'a plus de sens.

L'Allemagne a connu de graves déficits de ses comptes sociaux au début du mandat de Gerhard Schröder, lequel a entrepris des réformes l'ayant rendu impopulaire, puisqu'il a choisi de baisser les cotisations sociales. Le déficit a disparu. Les solutions ne sont pas légion : ou l'on réduit les prestations, ou l'on augmente les cotisations. La France elle-même est confrontée à ce choix. Cela étant, l'Europe, vue du reste du monde, reste fondée sur un modèle social qui se caractérise avant tout par son système de protection sociale. D'où l'importance de la convergence.

Les régions appelées ultrapériphériques dans le jargon européen comprennent, outre nos départements et territoires ultramarins, les îles Canaries, les archipels de Madère et des Açores, qui nous permettent de ne pas être isolés. Il est toujours difficile d'expliquer à un Finlandais les spécificités de territoires au climat très différent du sien, au point que certaines prétentions des fonctionnaires européens à réglementer de manière uniforme des dispositifs aussi importants que les toboggans des espaces de jeux pour enfants peuvent s'en trouver contrariées... Ainsi, on interdit à La Réunion, en vertu de la réglementation européenne sur le traitement des déchets lourds, d'expédier ses pneus usagés en Afrique du Sud, pourtant bien plus proche que le continent européen...

Le droit des femmes est un sujet important, mais je dois reconnaître que notre comité n'est pas paritaire...

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