Intervention de Jean Bizet

Commission des affaires européennes — Réunion du 19 novembre 2013 : 1ère réunion
Économie finances et fiscalité — Tva sur les activités équestres - point d'actualité de m. jean bizet

Photo de Jean BizetJean Bizet :

En juillet 2003, le gouvernement français, conscient de l'intérêt économique et social de la filière hippique, lançait une nouvelle « politique du cheval » et à cette occasion, il mettait en avant son intention de modifier la fiscalité applicable à la « filière cheval » par une réforme combinée du Code général des impôts et du Code rural.

S'agissant de la TVA, l'objectif était l'intégration des activités des centres équestres dans la fiscalité agricole. Les pouvoirs publics soulignaient ainsi qu'il fallait prendre en compte la « spécificité de l'élevage du cheval pour lequel l'entraînement et l'exploitation font partie intégrante de son cycle biologique ».

Toutefois, la mise en oeuvre, à compter du 1er janvier 2004, de la TVA agricole pour les activités équestres autres que l'élevage ne s'est pas faite sans difficulté pour la raison simple que le législateur français, dans la loi de finances pour 2004, a décidé de conférer un caractère agricole aux activités équestres, mais sans toucher à la définition juridique classique de l'activité agricole. Il aurait fallu commencer par modifier cette définition.

Avant la réforme de 2004, l'article L.311-1 du Code rural disposait que relevaient du régime agricole « toutes les activités correspondant à la maîtrise et à l'exploitation d'un cycle biologique de caractère végétal ou animal et constituant une ou plusieurs étapes nécessaires au déroulement de ce cycle ainsi que les activités exercées par un exploitant agricole qui sont dans le prolongement de l'acte de production ou qui ont pour support l'exploitation. » Étaient donc écartées de la définition de l'activité agricole toutes les activités hippiques autres que l'élevage, à savoir précisément l'entraînement, le débourrage et l'enseignement. C'est pourquoi la loi de finances de 2004, pour soutenir la nouvelle politique du cheval, a décidé de considérer comme bénéfices de l'exploitation agricole, les revenus qui proviennent des activités de préparation et d'entraînement des équidés domestiques. Ainsi, les activités équestres de transformation ou de prestation pouvaient dès lors bénéficier de la TVA agricole et de son taux réduit.

La Commission européenne n'a eu de cesse alors d'engager des procédures d'infraction à l'encontre des divers États membres qui offraient une fiscalité avantageuse aux activités hippiques autres que l'élevage. Comme les Pays-Bas, l'Autriche et l'Allemagne avant elle, la France a été condamnée le 8 mars 2012 par la Cour de Justice pour non-respect de la directive de 2006 relative au système commun de TVA.

Dans son arrêt, la Cour insiste sur le fait qu'en vertu de cette directive, on ne peut appliquer un taux réduit ou super réduit de TVA qu'aux seules livraisons de biens et aux prestations de services destinés à être utilisés pour la production de denrées alimentaires ou dans la production agricole. En elle-même, la production agricole ne relèverait pas du taux réduit si cette finalité alimentaire n'était pas présente... La Cour souligne que toutes les opérations liées aux courses ainsi que les activités des centres équestres relèvent de la compétition, du sport, des loisirs ou du tourisme et non d'une utilisation des chevaux dans une production agricole ou dans une production de denrées alimentaires. La disposition fiscale mise en place par la France en 2004 est donc condamnable et, depuis le 8 mars 2012, la France est sommée de modifier sa législation.

Depuis le 1er janvier 2013, si l'on s'en tient à une interprétation stricte de la jurisprudence européenne issue de l'arrêt du 8 mars 2012, l'ensemble des opérations se rapportant aux équidés devraient être soumises au taux normal de TVA.

Ainsi se trouvent exclues des taux réduits :

- les opérations d'achat, d'importation, d'acquisition intracommunautaire, de vente, de livraison, de commission, de courtage ou de façon générale portant sur les équidés lorsque ceux-ci ne sont pas normalement destinés à être utilisés dans la préparation de denrées alimentaires ou dans la production agricole ;

- les gains de courses réalisés par les entraîneurs pour les chevaux dont ils sont propriétaires.

Il y a naturellement une exception pour les activités liées à la reproduction des animaux qui conservent un taux réduit.

Cependant, la principale préoccupation concernait les activités d'enseignement et donc les centres équestres ou clubs hippiques.

Conscients, dès avant l'arrêt du 8 mars 2012, de la fragilité juridique du dispositif mis en place en 2004, les pouvoirs publics ont cherché à maintenir les activités sportives équestres au taux réduit, et dans la loi de finances rectificative pour 2011, une disposition permet de manière temporaire le maintien au taux réduit des activités des centres équestres en procédant à une substitution de fondement juridique. Depuis le 1er janvier 2012, le taux de 7 % s'applique « aux prestations correspondant au droit d'utilisation des animaux à des fins d'activités sportives et de toutes installations agricoles nécessaires à cet effet ». Il s'agit donc des activités d'enseignement, d'animation et d'encadrement de l'équitation, de l'entrainement, de la préparation des animaux (pré-débourrage, débourrage et dressage) et des prises en pension d'équidés destinés à être utilisés dans le cadre des activités d'enseignement de l'équitation.

Bien que cette dérogation semble avoir été jugée compatible avec la directive de 2006 par le commissaire à la fiscalité Algirdas Semeta en mars 2013, le Gouvernement a indiqué qu'il n'avait pas la certitude que ce dispositif puisse échapper à la censure de la CJUE qui, selon lui, étendrait tôt ou tard sa jurisprudence du 8 mars 2012 aux centres équestres. C'est la raison pour laquelle la loi de finances rectificative pour 2012, dans son article 63, prévoit la suppression du dispositif au plus tard le 31 décembre 2014, voire plus tôt en cas de condamnation par la Cour. Selon l'article 63, un décret pouvait imposer le taux normal à tout moment, mais à défaut de décret, le régime du taux normal ne commencerait que le 1er janvier 2015.

Quelle que soit l'activité, passer d'un taux de 7 % à un taux de 20 % ne peut se faire sans dommage, et pour la filière équestre les conséquences vont être lourdes. Le passage au taux normal va fragiliser un grand nombre de centres équestres principalement ruraux. Environ 6 000 emplois pourraient être concernés dans 2 000 micro-entreprises. Il convient de rappeler que la « filière cheval » représente un atout fort pour la vitalité de nos territoires ruraux en termes d'activité, d'emploi et de lien social. Le Gouvernement en est d'ailleurs convenu dans les diverses réponses qu'il a faites aux parlementaires qui l'interrogeaient.

Notre Commission elle-même avait adopté, bien avant l'Assemblée nationale, une proposition de résolution européenne le 29 mai 2011 alertant le Gouvernement et demandant le maintien du taux réduit pour une filière qui représente plus de 100 millions d'euros de chiffre d'affaires et qui se classe en troisième position comme fédération sportive après le football et le tennis.

Le passage au taux normal est acté le mercredi 13 novembre 2013, alors que la FNSEA et toutes les institutions représentant la « filière cheval » ont demandé à être reçues par le ministre du budget et celui de l'agriculture le 12 novembre dernier. Il avait été demandé au Gouvernement de ne pas publier de décret avant toute nouvelle condamnation par le juge européen, d'obtenir la modification de la directive européenne sur la TVA, et de faciliter l'accès aux aides de la PAC pour les éleveurs et agriculteurs qui ont diversifié leurs activités dans la « filière cheval ». Le Gouvernement n'a pas retenu ces demandes. Il a publié dès le lendemain un décret abrogeant le taux réduit de TVA sur les activités des centres équestres. Cependant, pour aider la filière à absorber cette hausse, le décret prévoit que les contrats conclus avant le 31 décembre 2013 continueront à bénéficier du taux réduit jusqu'à leur terme. Le Gouvernement annonce également une aide aux centres équestres qui serait mise en place via un « fonds cheval » dont le montant n'a pas été précisé, même si on évoque un montant allant de 15 à 30 millions d'euros.

Selon le Gouvernement, ces deux mesures compensatoires devraient permettre d'absorber les deux tiers des coûts liés à la hausse de la TVA. Le dernier tiers serait à la charge du consommateur. Le ministre du budget annonce qu'une hausse de 60 centimes d'euro par heure d'équitation resterait à la charge des affiliés à la Fédération. En outre le ministre s'engage à demander à Bruxelles l'autorisation d'appliquer un taux réduit de TVA pour les centres équestres.

Que peut-on espérer pour la suite ? Les plus optimistes espèrent que 2014 ne sera qu'une année de transition qui pourrait être mise à profit pour les renégociations de la directive européenne sur la TVA. Mais c'est peu de dire que le contexte n'est pas favorable. La modification de la liste des activités pouvant bénéficier d'un taux réduit de TVA exige l'unanimité. De plus, 2014 est l'année du renouvellement de la Commission et du Parlement européen. Les institutions européennes vont expédier les affaires courantes. Il y a peu d'espoir d'un arrangement avec Bruxelles en 2014.

C'est pourquoi, pour être fidèle à la position de la proposition de résolution européenne de 2011 votée par notre commission, je suggère que nous nous adressions au Gouvernement afin d'obtenir des précisions et des garanties sur la création de ce « fonds cheval » dont le rôle va être très important dans cette affaire. Nous devons éviter que la France ne perde une filière à la fois sportive, rurale et économique très précieuse pour nos territoires.

Il n'était pas nécessaire d'agir de manière aussi précipitée. Ensuite, il faut aller dans le sens de la simplification. Or, ce « fonds cheval » n'est pas une simplification. En outre, 2014 sera une période difficile pour les négociations... renouvellement des commissaires, renouvellement des députés, ce ne sera pas facile. Je souhaite que 2014 soit une année de transition pour les centres équestres et qu'ensemble nous revenions à une meilleure solution. C'est une affaire de bon sens. Il ne faut pas que ce « fonds cheval » dure longtemps et qu'on revienne dès que possible à une TVA à taux réduit.

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