Le vingt-cinquième anniversaire de l'adhésion du Portugal à l'Union européenne s'inscrit dans un contexte morose, marqué par la crise économique et l'incertitude politique. Les difficultés rencontrées par le Portugal pour financer sa dette tiennent, pour l'essentiel, à la fragilité intrinsèque de son modèle économique, que l'adoption de l'euro est venue exacerber. Depuis l'adoption de la monnaie unique, la croissance moyenne du produit intérieur brut portugais est la plus faible de la zone euro.
La question d'une aide européenne à Lisbonne destinée à répondre aux problèmes de liquidités que le gouvernement portugais rencontre est soulevée, quant à elle, depuis plus de six mois et l'annonce du soutien à la Grèce. Le plan d'aide à l'Irlande est venu renforcer cette impression d'inéluctabilité de l'aide, que le gouvernement lusitanien s'emploie, pourtant, à repousser. Les besoins de financement du Portugal sont néanmoins en constante hausse alors que l'année 2011 sera marquée par l'arrivée à échéance de près de 25 milliards d'obligations et bons du trésor à court terme.
A la différence de la crise irlandaise aux origines bancaires bien définies et donc pour partie conjoncturelle, la crise portugaise est, elle, de nature structurelle. Elle pose notamment la question de la reconversion de son modèle économique, rendue inévitable par son entrée dans la zone euro.
La fragilité de son modèle économique explique en large partie les difficultés rencontrées par le Portugal sur le marché des taux. Une comparaison des principaux indicateurs replace pourtant le Portugal au niveau de certains de ses partenaires européens. Ainsi qu'il s'agisse de la dette, du déficit public ou du chômage, on peut observer une certaine similarité entre les chiffres lusitaniens et ceux enregistrés par la France. Un potentiel de croissance difficile à déterminer et les incertitudes entourant la situation politique du pays contribuent néanmoins à renforcer l'inquiétude des marchés et à grever les taux d'intérêts.
L'économie portugaise se caractérise depuis plus de dix ans par une croissance molle, ne dépassant pas les 1 % entre 2001 et 2007 avant de plonger avec la crise. Le taux de 1,3 % enregistré en 2010 ne suppose pas pour autant un retour durable à la croissance. Si le gouvernement table sur une progression du PIB de 0,2 % en 2011, les institutions prévoient, quant à elles, une contraction du PIB de 1 %.
Cette croissance molle à long terme s'explique par nombre de facteurs, au rang desquels le manque de compétitivité de ses entreprises et le déficit extérieur jouent un rôle non négligeable. Le potentiel de croissance apparaît, de fait, difficile à évaluer.
La structure économique du pays, marquée par la prédominance des petites entreprises - 80 % de celles-ci emploient moins de cinq salariés - et l'orientation de l'activité vers les services explique, pour partie son déficit commercial. La priorité accordée par le secteur bancaire au financement des ménages au détriment des entreprises ont rendu par ailleurs délicate l'adaptation de son appareil industriel à la mondialisation et à la concurrence des pays émergents. De fait, si la consommation demeure à un niveau satisfaisant dans le pays, elle favorise les importations et non l'économie locale.
La production lusitanienne souffre d'un véritable problème de compétitivité qui tient pour partie au niveau de formation de la population, encore inférieur à la moyenne européenne mais aussi à la rigidité de son marché du travail, marqué notamment par les difficultés pour les petites entreprises à licencier en cas de difficultés économiques, une absence de flexibilité en matière de temps de travail et une faible mobilité des travailleurs à l'intérieur du pays.
L'intégration européenne n'a, par ailleurs, pas permis de totalement combler les écarts avec les autres États membres. Si le Portugal bénéficie encore d'importantes subventions, 22 milliards au titre des fonds structurels et de cohésion pour la période 2007-2013, la logique de saupoudrage qui prévaut dans l'octroi, au niveau local, de ces aides fragilise tout projet ambitieux en faveur de la modernisation des structures économiques du pays et de la croissance.
La question de la monnaie unique n'est pas non plus sans incidence sur la crise structurelle que traverse l'économie portugaise. Poussé à surévaluer l'escudo lors du passage à l'euro, le Portugal s'est retrouvé confronté à un problème de compétitivité-prix. En effet, du jour au lendemain, le Portugal s'est mis à vivre, à produire, à vendre et à exporter avec une devise forte. L'industrie textile en a notamment pâti.
L'adoption de la monnaie unique demandait une réelle reconversion de l'économie portugaise, un bond compétitif fondé sur la qualité et pas seulement sur la politique des prix. La convergence nominale induite par l'adoption de la monnaie unique n'a pas été suivie d'une convergence réelle comme l'entendaient les promoteurs de l'euro. Pire, la convergence nominale a permis au pays de bénéficier de la faiblesse des taux d'intérêts, alors inférieure au taux d'inflation. L'euro a, en quelque sorte, facilité l'endettement extérieur du Portugal.
Ces nombreuses réserves ont fragilisé la position du Portugal sur le marché des taux, alors même que le gouvernement lusitanien y a davantage recours en vue de consolider son budget, grevé par les mesures adoptées contre la crise.
En dépit des réserves exprimées sur la situation du pays par les trois grandes agences de notation, le Portugal ne rencontre pas à l'heure actuelle de difficulté majeure sur les marchés et a ainsi pu placer 1,25 milliard d'euros le 12 janvier. Sur les émissions ayant pour échéance juin 2020, le taux d'intérêt exigé par les investisseurs a atteint 6,716 %, contre 6,806 % lors d'une opération similaire en novembre. Pour les obligations à échéance octobre 2014, le taux de rendement s'est cependant fixé à 5,396 %, supérieur au taux de 4,041 % appliqué en novembre à l'ouverture de cette même ligne d'obligations.
A cette crise économique s'ajoutent des incertitudes en matière politique, exacerbées par les élections présidentielles du 23 janvier prochain. Le gouvernement socialiste ne dispose pas de majorité au sein de l'Assemblée de la République et compte sur l'abstention du principal parti d'opposition, le PSD, pour faire adopter les mesures d'austérité et de relance de l'économie.
La réponse apportée par le gouvernement portugais à la crise obéit à deux logiques : réduire la dépense publique et faciliter ainsi la consolidation budgétaire tout en oeuvrant pour renforcer la compétitivité de l'économie lusitanienne.
Trois plans ont été adoptés au cours de l'année 2010 en vue de réduire le déficit public. Ceux-ci prévoient notamment la diminution de 5 % des salaires versés aux employés du secteur public, une révision à la baisse des allocations versées aux chômeurs et des prestations familiales ainsi que le déremboursement d'un certain nombre de médicaments. Les crédits ministériels sont également amputés alors que le gouvernement a gelé, en accord avec l'opposition, l'investissement public dans les grands projets d'infrastructure. Une révision du périmètre de l'État est également en cours, le gouvernement ayant supprimé 10 % d'emplois publics depuis 2005.
L'augmentation des recettes passe par un plafonnement des déductions fiscales, l'augmentation de trois points en un an de la TVA qui est passé de 20 à 23 %, la création d'une taxe sur le crédit à la consommation et l'ouverture de nouveaux péages autoroutiers. Trente-deux entreprises publiques devraient parallèlement être privatisées d'ici 2013.
L'objectif est de ramener le déficit public d'environ 7 % en 2010 à 4,6 % à l'issue du présent exercice. Un contrôle trimestriel de la dépense publique est prévu à cet effet.
La relance de l'économie passe également par l'adoption de nombreuses dispositions en faveur de la flexibilisation du marché du travail, notamment en matière de licenciement, mais également d'autres destinées à renforcer la compétitivité de l'économie portugaise sur le marché mondial. Les exportations sont censées gonfler la croissance en 2011 aux yeux du gouvernement portugais qui s'appuie sur leur bonne tenue en 2010 : + 15 %.
Le gouvernement estime que ces mesures doivent lui permettre d'éviter de recourir au Fonds européen de stabilisation financière. En outre, aux yeux des autorités lusitaniennes, la crise portugaise ne répond pas aux mêmes critères que les crises grecque et irlandaise. Le Portugal n'a pas non plus été affecté par une crise immobilière, à l'image de l'Espagne.
Mes interlocuteurs ont, par ailleurs, tous souligné l'absence d'effet de l'aide financière européenne sur le marché des taux. Une aide au Portugal n'arrêterait pas automatiquement la contagion. Le gouvernement privilégie à cet égard l'adoption d'euro-obligations, voire de project-bonds destinés à appuyer l'investissement public.
Le coût de l'aide est par ailleurs jugé exorbitant, le taux d'intérêt moyen de la dette portugaise - 3,5 % - étant inférieur à celui du prêt européen accordé à Dublin et Athènes. Une aide conjointe Union européenne - Fonds monétaire international fragilise de surcroît durablement la réputation d'un pays sur les marchés. Le Portugal privilégie donc à l'heure actuelle le recours aux marchés, voire à la vente de titres de gré à gré avec les pays émergents : le Brésil mais surtout la Chine seraient concernés. L'intervention de Pékin dans les prochaines semaines est ainsi estimée à 4 milliards d'euros.
Le mauvais souvenir au sein de la population des programmes d'austérité imposés par le FMI en 1975 et 1983 et l'appel à la démission du gouvernement en cas de recours à l'aide européenne formulé par l'opposition justifient également le refus du gouvernement de solliciter, à l'heure actuelle, le fonds européen.
Cette stratégie en solitaire n'est pas sans susciter d'interrogations, alors même que l'annonce des mesures adoptées par le gouvernement n'a occasionné qu'une faible détente des taux, encore à plus de 7 % le 7 janvier, taux jugé insoutenable il y a peu par le ministère des finances portugais.
La communication du gouvernement autour d'un déficit public entre 6,9 % et 7,1 %, soit en deçà des 7,3 % initialement prévus n'est pas non plus sans laisser sceptique. Un tel chiffre a été obtenu grâce au transfert du fonds de pensions de Portugal Telecom vers l'État. On relèvera par ailleurs que les dépenses de celui-ci ont continué à augmenter en 2010. Sans la manne financière du fonds de pension, le déficit budgétaire serait de l'ordre de 8,2 % du PIB. L'objectif d'atteindre 4,6 % en 2011 apparaît dès lors plus ambitieux encore. Le gouvernement table par ailleurs sur une croissance de 0,2 % l'an prochain alors que la Banque du Portugal, comme les observateurs internationaux, misent sur une récession autour de 1 % du PIB, prenant notamment en compte l'impact négatif des mesures d'austérité sur la consommation intérieure.
De fait, la posture adoptée par l'ensemble de la classe politique lusitanienne consistant à refuser l'aide européenne n'est pas sans rappeler l'opposition du gouvernement irlandais quelques jours avant qu'il ne sollicite le concours du Fonds européen de stabilisation. Le premier trimestre devrait à cet égard être déterminant, tant il permettra aux autorités portugaises de vérifier si la stratégie de consolidation budgétaire porte ses fruits et si la détente observée ces derniers jours sur le marché des taux se poursuit.
Je conclurai mon propos en rappelant que la crise portugaise est la troisième déclinaison de la crise souveraine qui traverse l'Europe depuis près d'un an. Celle-ci tempère de façon durable la confiance et fragilise toute relance globale de l'économie européenne. Le gouvernement portugais souligne avec justesse que si cette crise est une succession de dépressions nationales, elle ne peut être endiguée par le seul octroi d'aides locales. Il convient donc de réfléchir quant à la stratégie de l'Union européenne dans cette crise globale de la dette souveraine européenne.
Si la pertinence d'un mécanisme d'aide n'est pas à remettre en cause, il convient de réfléchir au périmètre de son action. Il ne peut se limiter à n'être qu'une seule facilité destinée à juguler les problèmes ponctuels de liquidité de quelques États, dont la liste ne semble désormais plus s'arrêter : Grèce et Irlande hier, Portugal et Espagne aujourd'hui, Belgique ou Italie demain.
Il est nécessaire de rappeler, qu'à l'heure actuelle, le chiffre de 440 milliards d'euros disponibles au sein du fonds européen de stabilité financière doit être relativisé. Le montant est plutôt de l'ordre de 255 milliards d'euros selon les économistes, ni la Grèce ni l'Irlande ne pouvant être appelées en garantie. Il est, par ailleurs, raisonnable de ne pas compter sur la contribution du Portugal et celle de l'Espagne. Le montant du Fonds devrait en conséquence être augmenté.
Il conviendrait, en outre, que le Fonds puisse acheter lui-même de la dette et soulager de la sorte la Banque centrale européenne. Il est également nécessaire qu'il puisse intervenir avant qu'un pays n'y soit acculé. Lui accorder des lignes de crédit en vue de dissuader la spéculation peut apparaître, à cet égard, comme une piste à creuser.
Cette dernière option permettrait de dépasser les réticences observables en Irlande et au Portugal à recourir aux crédits européens. Elle permettrait de dépasser la tentation du financement extérieur dont on ne mesure pas encore totalement les conséquences politiques et économiques en ce qui concerne notamment la Chine.