Intervention de Jean-François Humbert

Commission des affaires européennes — Réunion du 10 mai 2011 : 1ère réunion
Refonte du premier paquet ferroviaire examen de trois propositions de résolution

Photo de Jean-François HumbertJean-François Humbert :

Rendre effective la liberté de circulation des personnes et des marchandises est un impératif fondateur pour l'Union européenne qui motive le projet de créer une Europe du rail. Or l'infrastructure ferroviaire est un « monopole naturel », en raison du caractère massif des investissements qu'elle nécessite. Elle s'est construite progressivement depuis deux siècles à l'intérieur des frontières nationales, ce qui explique le morcellement actuel de l'espace ferroviaire européen.

Selon la Commission européenne, ce morcellement entraîne des inefficacités et des surcoûts qui empêchent le rail de concurrencer sérieusement les autres modes de transport. Or le rail présente plusieurs atouts majeurs : il est un vecteur d'aménagement économique du territoire puisque les liaisons ferroviaires locales et régionales permettent de désenclaver des bassins de production. Il représente aussi un mode de transport plus durable, dont le développement pourrait améliorer la fluidité du trafic routier et le bilan énergétique européen. Enfin, au plan industriel, les constructeurs européens apparaissent comme les leaders mondiaux de la technologie ferroviaire, surtout dans le secteur de la grande vitesse : faire du réseau ferroviaire européen une vitrine de la technologie européenne représente donc un enjeu économique pour l'Union.

Mettre fin au cloisonnement juridique et technique des systèmes ferroviaires nationaux, résultant de l'histoire de chaque Etat membre, est un travail de longue haleine, qu'a initié la directive européenne 91/440 de juillet 1991 en imposant la séparation comptable entre le gestionnaire d'infrastructure et l'exploitant ferroviaire. Cette directive de 1991 ouvre, pour la première fois, un « droit d'accès au réseau ferroviaire » (même si ce droit est alors limité aux trains de transport combiné rail/route). A cet effet, elle impose une séparation, au moins comptable, entre le réseau et son exploitation (organisation, surveillance, contrôle de la circulation des trains...).

Cette amorce d'ouverture à la concurrence se confirme ensuite sous forme de trois paquets de directives, en 2001, 2004 et 2007. Ce mouvement est tempéré par le règlement communautaire de 2007, dit « OSP » relatif aux obligations de service public, lequel exonère les services ferroviaires déficitaires de l'obligation de mise en concurrence.

Actuellement, les services de fret, y compris domestique, se trouvent ouverts à la concurrence (depuis le 1er janvier 2007), ainsi que les services de transport de voyageurs, mais pour l'instant uniquement pour leur partie internationale (depuis le 1er janvier 2010). Ainsi, en France, le fret privé est devenu une réalité puisqu'il détenait, fin 2008, 15 % du marché.

Quel bilan tirer de cette ouverture progressive à la concurrence ? Dans une communication de septembre 2010, la Commission constate que le long déclin de l'industrie ferroviaire européenne s'est interrompu puisque sa part de marché s'est stabilisée depuis 2000 : pour le fret, le rail représente toujours près de 11 % de toutes les activités de transport intra-européenne (et 17 % si l'on se limite aux transports terrestres) ; pour les voyageurs, ces parts sont respectivement de 6 et 7 %. Par ailleurs, selon les chiffres de la Commission, la chute de l'emploi dans le secteur a ralenti et la sécurité ferroviaire s'est améliorée.

Néanmoins, la crise récente a encore accentué les faibles performances du marché ferroviaire, notamment pour le fret. Plus généralement, les effets escomptés de l'ouverture à la concurrence tardent à se concrétiser aux yeux de la Commission européenne. La part de marché des opérateurs non historiques reste encore faible, sauf au Royaume-Uni, en Roumanie et en Estonie, où elle dépassait 40 % fin 2008. Des situations de monopole existent toujours dans de nombreux États membres, tant pour le fret que pour le transport de voyageurs. Et le fret souffre encore d'un défaut de fiabilité si bien que la part modale du transport ferroviaire n'a pas progressé.

Selon la Commission, les faiblesses du rail européen persisteront si le cadre réglementaire européen n'est pas correctement appliqué. Elle a d'ailleurs décidé le 24 juin 2010 de saisir la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) d'un recours en manquement contre treize États membres, dont la France mais aussi l'Allemagne... et elle entend parallèlement adapter la réglementation sur l'accès au marché issue du premier paquet ferroviaire.

Le 17 septembre 2010, la Commission européenne a pour cela transmis au Conseil une proposition de directive établissant un espace ferroviaire unique européen (texte E 5642), proposition présentée comme une refonte du premier paquet ferroviaire de 2001 lequel se compose de trois directives modifiées plusieurs fois depuis leur adoption. L'on peut s'étonner que la Commission propose une refonte de ces textes alors même qu'à ses yeux, ce premier paquet ferroviaire n'est toujours pas correctement transposé...

La Commission souhaite par ce nouveau texte mettre en place un « espace ferroviaire unique » en Europe, concept nouveau qui enrichit d'une dimension territoriale l'ambition, depuis longtemps affichée par la Commission européenne, de construire un marché unique du rail. La finalisation de cet espace ferroviaire unique repose, d'une part, sur le développement d'infrastructures performantes et, d'autre part, sur la suppression des entraves techniques et juridiques à la libre concurrence.

Dans ce cadre, la refonte du premier paquet ferroviaire ne constitue encore qu'une étape d'un processus de libéralisation qui devrait être finalisé avec l'élaboration de deux textes majeurs que la Commission annonce pour 2012 : d'une part, un projet de directive sur la libéralisation du transport national de voyageurs, qui imposerait aussi une séparation plus nette entre gestionnaires d'infrastructures et entreprises ferroviaires ; d'autre part, une révision du règlement de l'Agence ferroviaire européenne afin d'en accroître les prérogatives, notamment en matière d'homologation du matériel roulant.

Le projet de refonte du premier paquet ferroviaire qui est aujourd'hui soumis au Conseil et au Parlement européen vise à consolider les trois textes du premier paquet ferroviaire et leurs modifications ultérieures, mais aussi à améliorer la législation en vigueur sur trois points essentiels :

- atteindre une plus grande ouverture et transparence du marché ferroviaire au travers de la séparation entre gestionnaire des facilités essentielles (gares, ateliers de maintenance, triage ...) et entreprise ferroviaire historique ;

- renforcer l'indépendance et les pouvoirs des régulateurs nationaux afin qu'ils puissent disposer des moyens nécessaires pour garantir une véritable concurrence dans le secteur ferroviaire ;

- harmoniser les règles en matière de tarification afin d'éviter toute distorsion en Europe et moduler les tarifs selon le niveau de bruit des trains. La question de la tarification s'inscrit dans celle, plus large, du financement des infrastructures, sur lequel la Commission souhaite voir les États membres prendre des engagements à moyen terme.

Roland Ries va maintenant évoquer le travail que nous avons mené ces derniers mois pour tenter d'éclairer les enjeux de ce projet de refonte.

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