Je vais présenter la proposition de résolution n° 4961(*).
En 2001, la Commission européenne a proposé un ensemble constitué de trois directives, appelé premier paquet ferroviaire, adopté le 26 février 2001 et qui est entré en vigueur en France le 15 mars 2003. Son objectif était d'ouvrir à la concurrence le fret ferroviaire afin de créer un espace ferroviaire européen intégré : le Réseau transeuropéen de fret ferroviaire.
Permettez-moi d'insister sur cet aspect mais le premier paquet ferroviaire prévoyait en outre de réaliser un bilan sur cinq ans de cette première ouverture avant de mettre en oeuvre une libéralisation plus poussée du fret international et national à partir de 2008.
Mais, convaincue que ces premières mesures ne suffiraient pas à revitaliser rapidement le ferroviaire, et notamment le fret ferroviaire, la Commission, faisant fi de la nécessité de réaliser un bilan des effets de la libéralisation a, au contraire, décidé d'accélérer le processus d'ouverture à la concurrence.
Dès 2002, avant même que la transposition de ce premier paquet n'ait été effectuée dans l'ensemble des États membres, la Commission a proposé un nouvel ensemble de quatre textes constituant le deuxième paquet ferroviaire dont l'objectif visait l'accélération de l'ouverture à la concurrence du fret international et national. La Commission proposait ainsi leur ouverture à la concurrence dès le courant de l'année 2006. Au final, après les débats au Parlement européen et à l'issue de la procédure de conciliation, le deuxième paquet ferroviaire proposait l'ouverture du fret international au 1er janvier 2006 et du fret national au 1er janvier 2007.
En mars 2004, elle proposait un troisième paquet ferroviaire qui visait l'harmonisation des règles communautaires de certification du personnel de bord assurant la conduite des trains, l'ouverture à la concurrence au 1er janvier 2010 du transport international de passagers et l'autorisation du cabotage ainsi que la mise en place d'un système de compensations en cas d'accident, de retard ou d'annulation.
En résumé, la Commission a donc développé durant dix ans une activité particulièrement soutenue pour ouvrir à la concurrence le secteur ferroviaire.
Aujourd'hui, une directive de la Commission européenne du 17 septembre 2010 intitulée « espace ferroviaire unique européen », sous couvert d'une entreprise de simplification et de consolidation législative, propose de parachever le marché intérieur dans le secteur des transports. À ce titre, il est particulièrement éclairant que les syndicats européens qualifient cette directive de « quatrième paquet ferroviaire ».
Cette proposition de directive, qui doit être débattue au printemps par le Parlement européen et au sein du Conseil, risque de porter gravement atteinte à notre organisation nationale des chemins de fer.
Siim Kallas, Vice-Président de la Commission européenne en charge des transports, s'exprimait en ces termes : « mon but est d'accroître la concurrence », le développement de la concurrence étant censé, selon la Commission, permettre d'améliorer la qualité de service tant pour les transports voyageurs que de marchandises.
Pourtant, il n'est aucunement avéré que la libéralisation conduit à améliorer la compétitivité du rail par rapport aux autres modes de transports. Ainsi, la Commission reconnaît dans une récente communication que « la part de marché des entreprises ferroviaires historiques et des nouveaux entrants montre que les effets escomptés de l'ouverture du marché ont tardé à se concrétiser ».
Il devient donc urgent de mener une étude d'impact de l'ouverture à la concurrence à la fois en termes d'efficacité économique, de dynamique de l'emploi et de sécurité du système ferroviaire.
Pour ce qui concerne la France, les politiques libérales ont porté atteinte à la qualité et à l'offre de service. Les politiques publiques de transport se concentrent essentiellement sur les axes rentables et l'activité de TGV. Aujourd'hui, le niveau d'endettement de Réseau Ferré de France et le désengagement de l'État limitent les investissements pourtant nécessaires dans les réseaux. Concernant le transport de marchandises, le plan fret, censé mettre à niveau le fret avant l'ouverture à la concurrence, s'est traduit purement et simplement par l'abandon de l'activité de wagon isolé sur les axes non rentables et la fermeture de 262 gares de triages. En dix ans, ce sont près de 20 000 emplois de cheminots qui ont ainsi été supprimés.
Pourtant, les enjeux économiques, écologiques et de développement des territoires appellent une grande politique des transports afin, notamment, de respecter les engagements européens de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Plus précisément, la présente directive pointe dans le droit fil des précédentes directives trois objectifs :
- la concurrence ;
- l'élargissement des compétences des organismes nationaux de contrôle des activités ferroviaires ;
- l'application de nouvelles règles de financement et de tarification des infrastructures.
La Commission s'interroge aussi sur l'ouverture des transports nationaux de voyageurs. Elle relève ainsi qu' « étant donné qu'une grande partie des services nationaux des voyageurs relèvent de contrat de service public, la Commission examinerait les conditions d'octroi de contrats de ce type pour le transport ferroviaire dans les États-membres ». Pour ce faire, elle propose de présenter une évaluation des pratiques actuelles au titre du règlement CE n° 1370/2009 entré en vigueur en décembre 2009. Je remarque ici qu'alors même qu'aucun bilan de la libéralisation n'a été entrepris depuis 2001, le règlement de 2009 devrait faire l'objet d'une évaluation rapide : la rigueur de la Commission est particulièrement sélective !
Au niveau national, nous attendons le rapport de notre collègue, Francis Grignon, sur la libéralisation des TER. Pourtant, sans bilan global des politiques de libéralisation, il apparaît difficile de s'orienter vers ce type de réforme dont nous pouvons craindre qu'elle remette gravement en cause l'équilibre de la SNCF et de certaines dessertes régionales, ceci sans compter les problèmes de sécurité sur le réseau. La directive ne traite pas du transport régional mais c'est la prochaine étape...
Concernant le dispositif législatif de la directive, un certain nombre de points essentiels soulèvent de vives inquiétudes.
Premièrement, nous contestons la prise de pouvoir de la Commission européenne sur les organisations nationales du secteur des chemins de fer par le recours aux actes délégués prévus à l'article 290 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).
Par ailleurs, l'annexe IX traite des conditions de service minimum et donc d'exercice du droit de grève. Pourtant, l'article 153-5 du TFUE prévoit l'exclusion de toute initiative communautaire sur le droit de grève. Il s'agit donc d'un excès de pouvoir en la matière de la Commission européenne.
De plus, l'article 5 de la directive remet de manière indirecte en cause le statut d'EPIC de la SNCF. En effet, en stipulant que « si l'État membre détient ou contrôle directement ou indirectement l'entreprise ferroviaire, ses droits de contrôle en matière de gestion ne doivent pas excéder ceux que le droit national des sociétés confère aux actionnaires de sociétés anonymes privées », elle y remet en cause le rôle de stratège de l'État.
L'article 8-4 traite de l'équilibre des comptes du gestionnaire d'infrastructure sur trois ans. Nous craignons qu'une telle disposition contraigne toute politique de développement à des objectifs budgétaires de court terme.
Pour finir, le renforcement des autorités de régulation tend à mettre à l'écart les pouvoirs publics tant en matière d'attribution des capacités que de tarification, ce que nous ne pouvons accepter. Nous savons bien que la mission de ces autorités est de permettre de faire de la place aux nouveaux entrants et de démanteler les entreprises historiques.
Au final, cette directive confirme l'orientation ultralibérale dans les transports publics. Michel Delebarre, président de la commission en charge de la politique territoriale du Comité des régions de l'Union européenne, prévenait face à cette proposition de refonte de directive que « l'objectif ne doit pas être une compétition débridée ». C'est malheureusement le cas dans cette proposition de directive.
Alors que l'Europe est frappée par une crise économique et sociale majeure liée aux excès de la financiarisation de notre économie, il n'est pas bon de renforcer la concurrence et le dumping social dans le secteur des transports. Bien au contraire, un effort doit être porté pour garantir des conditions de travail et des protections sociales de haut niveau à l'ensemble des travailleurs du rail. Il s'agit là d'une condition essentielle pour la qualité de ce service public d'intérêt général.
En conséquence, je vous propose d'adopter notre proposition de résolution afin de demander le retrait de cette directive et un moratoire sur les textes existants, tant qu'un véritable bilan des dix dernières années n'aura pas été fait.