Intervention de Jean-François Humbert

Commission des affaires européennes — Réunion du 10 mai 2011 : 1ère réunion
Refonte du premier paquet ferroviaire examen de trois propositions de résolution

Photo de Jean-François HumbertJean-François Humbert :

Je vais présenter la proposition de résolution n° 4942(*).

Faut-il refondre le premier paquet ferroviaire ? A mes yeux, la réponse est oui. D'abord pour codifier les directives en vigueur et en faire un texte unique et lisible. Mais aussi pour clarifier certaines dispositions appliquées de manière divergente parmi les États membres. C'est donc un texte nécessaire, ce qui n'enlève rien au fait que le secteur ferroviaire européen est d'abord confronté à des défis économiques et opérationnels.

Plusieurs points me semblent devoir être mis en avant dans la proposition de résolution que j'ai déposée et que je vais vous soumettre.

Premier sujet : l'ouverture du marché ferroviaire à la concurrence. A ce propos, la proposition de directive cible l'accès aux infrastructures de services que sont les voies de triage, les garages, les gares... Depuis le 1er janvier 2010, de nouveaux opérateurs sont non seulement autorisés à emprunter le réseau ferroviaire mais également à desservir, sous certaines conditions, les gares situées sur le trajet des liaisons transfrontalières. Pour assurer un accès non discriminatoire à ces services, la Commission propose d'introduire une obligation, calquée sur celle déjà en vigueur pour garantir un équitable accès au réseau ferroviaire : l'article 13 de la proposition de directive prévoit ainsi d'introduire une nouvelle exigence d'indépendance « juridique, organisationnelle et décisionnelle » de l'exploitant de l'installation de services à l'égard de l'opérateur ferroviaire dominant. Cette « petite » séparation entre opérateur et gestionnaire de services fait donc écho à la « grande » séparation déjà prévue, mais diversement appliquée, entre opérateur et gestionnaire d'infrastructure.

C'est d'ailleurs parce que les modalités de cette « grande » séparation permettent encore à certaines entreprises ferroviaires dominantes de pratiquer des discriminations à l'égard de leurs concurrents, que la Commission a assigné 13 États membres en juin 2010 devant la Cour de justice de l'Union européenne, parmi lesquels la France mais aussi l'Allemagne.

En Allemagne, les concurrents assurent un quart du trafic ferroviaire, mais, quand on y regarde de plus près, ils sont absents des lignes à grande vitesse, les plus rentables. Et la structure en « holding » permet à la Deutsche Bahn d'utiliser les revenus du gestionnaire d'infrastructure pour acquérir des sociétés concurrentes à l'étranger.

En France, la loi de 1997 a organisé la séparation juridique entre l'opérateur historique et le gestionnaire de l'infrastructure, Réseau Ferré de France. Toutefois, cette loi délègue la gestion du réseau à la branche infrastructure de la SNCF, à laquelle l'infrastructure vient d'être retirée : ainsi, la SNCF est à la fois client et sous-traitant de RFF. La séparation institutionnelle existe donc, mais elle est brouillée par l'imbrication fonctionnelle entre les deux établissements. Pour clarifier la répartition des tâches, la loi du 8 décembre 2009 relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires (dite « ORTF ») a créé au sein de la SNCF la Direction de la Circulation Ferroviaire (DCF), chargée de l'instruction des demandes de sillons pour le compte de RFF de manière indépendante. Ces efforts de la France pour mieux appliquer la « séparation » méritent d'être salués mais, seize mois après la mise en place de la DCF, la Commission européenne persiste à douter de l'impartialité de l'octroi des sillons.

Ce sujet sensible de la « séparation » est absent du texte que propose la Commission européenne. Plusieurs membres du Parlement européen n'entendent pas le laisser de côté. S'il devait être réintroduit dans la refonte au cours du processus de codécision entre le Parlement et le Conseil, il faudrait au moins qu'un même degré de séparation dans tous les États membres entre le gestionnaire d'infrastructure et l'opérateur ferroviaire historique soit exigé, avant d'ouvrir à la concurrence le transport national de voyageurs. C'est une question d'équité concurrentielle.

Pour ce qui est de la nouvelle séparation que propose d'introduire la Commission, entre les infrastructures de services et l'entreprise ferroviaire dominante, sa mise en place me paraît moins urgente. De toute façon, cette évolution a déjà été anticipée par la SNCF qui a créé en son sein une nouvelle branche, dédiée à la gestion et à l'aménagement des gares : « Gares et Connexions », dotée d'une comptabilité propre depuis le 1er janvier 2010. Je précise que la SNCF n'est pas à proprement parler propriétaire des gares mais qu'elle est affectataire du domaine public ferroviaire auquel celles-ci appartiennent. En Allemagne, les gares de voyageurs sont la propriété de Deutsche Bahn et sont gérées par une filiale de la « holding ».

L'Autorité de la concurrence considère que les gares ferroviaires présentent les caractéristiques d'infrastructures essentielles au transport ferroviaire car elles sont indispensables et ne pourraient être reproduites dans des conditions économiques raisonnables par les concurrents. Mais, selon moi, l'essentiel n'est pas de séparer les gares de la SNCF pour en garantir l'accès aux concurrents : c'est d'assurer l'autonomie décisionnelle du gestionnaire des gares à l'égard de l'opérateur historique, sous le contrôle de l'Autorité de régulation. Je préconise pour cela que les compétences de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (l'ARAF) soient étendues aux questions de tarification de l'accès aux gares et aux prestations qui y sont assurées.

Deuxième sujet justement : la question de l'indépendance et des pouvoirs du régulateur. La Commission entend renforcer les pouvoirs des régulateurs nationaux et organiser entre eux une coopération régulière. Le régulateur français, en activité depuis le 1er décembre 2010, a le profil idéal. La question de l'opportunité de créer un régulateur unique européen reste posée : cette solution, préconisée par le président de la SNCF quand nous l'avons auditionné, a aussi ses partisans au Parlement européen. Selon moi, elle est prématurée et risquerait d'engendrer une multiplication des contentieux, des niveaux et donc des délais de réponse, au détriment de l'efficacité de la régulation. Cela n'empêche pas de promouvoir une convergence des tarifs en Europe, par la voie d'une plus étroite coordination entre les régulateurs nationaux.

Troisième grand sujet de la refonte : la Commission suggère la fixation de règles de tarification communes pour prévenir tout abus dans la fixation des péages. Notamment, elle propose de moduler les tarifs selon le niveau de pollution sonore imputable aux trains, conformément au principe pollueur-payeur. A mes yeux, il ne peut s'agir d'une priorité. D'abord, il n'apparaît pas nécessairement opportun d'augmenter ainsi le coût du fret alors qu'il peine à se développer. Surtout, il n'est pas juste d'imaginer taxer le fret pour son impact environnemental tant qu'une taxe analogue sur le trafic routier n'est pas rendue obligatoire.

En revanche, je souhaite appuyer l'une des suggestions de la Commission, sur laquelle les concurrents de la SNCF ont attiré notre attention : il s'agit de l'allusion que fait l'annexe VII du projet de directive à un « service minimal » du gestionnaire d'infrastructure en cas de grève pour permettre aux entreprises de transport d'honorer leurs engagements à l'égard de leurs clients. Ce point me paraît décisif pour la fiabilité et donc l'attractivité des services de fret.

Un autre point mérite d'être évoqué : il concerne la répartition des compétences entre les institutions de l'Union pour adapter la réglementation ferroviaire aux évolutions économiques, juridiques et techniques. L'article 60 de la proposition de directive de la Commission, qui comporte neuf annexes, prévoit que la Commission peut modifier ces annexes par le biais « d'actes délégués », donc sans l'aval des États membres. Or certaines de ces annexes comprennent des dispositions déterminantes sur la manière dont le secteur ferroviaire sera réglementé. Il importe donc que la Commission ne puisse modifier par « actes délégués » que des éléments non essentiels de la proposition de directive.

Je terminerai en insistant sur un sujet malheureusement absent de la proposition de directive de la Commission, alors qu'il conditionne largement le degré de loyauté de la concurrence sur le marché ferroviaire européen : il s'agit des règles sociales applicables aux services ferroviaires. Dans plusieurs pays de l'Union, les cheminots sont dotés d'un statut très particulier, dont l'origine ne doit d'ailleurs pas seulement être cherchée dans les revendications salariales mais aussi dans un souci de fidélisation des ouvriers les plus qualifiés. Sans harmonisation du cadre social applicable aux cheminots des opérateurs historiques et des nouveaux opérateurs ferroviaires, nous risquons d'assister à un « dumping » social mettant en concurrence les statuts sociaux et non pas les entreprises. On verrait augmenter la part de marché des opérateurs ferroviaires privés au détriment des opérateurs historiques, mais le trafic ferroviaire en Europe ne progresserait pas parallèlement. Il est donc urgent de négocier, pour le transport voyageurs, un accord similaire à celui conclu dans le fret en octobre 2008.

Pour conclure, j'indiquerai que les dispositions les plus significatives du texte de la Commission, notamment la gestion des facilités essentielles et le rôle du régulateur, font toujours l'objet de fortes réserves des États membres. Mais la présidence hongroise, très active sur ce dossier, pourrait tenter d'obtenir du Conseil prévu mi-juin 2011 un accord politique a minima sur le texte.

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