Bonsoir Monsieur le Président, Messieurs les Sénateurs et Monsieur Désir, c'est pour moi un honneur que d'être reçu au Sénat. Parler de l'Europe est chose difficile car on ne sait par où commencer. Je vais tenter d'être bref et pertinent.
Depuis des années, l'Europe traverse diverses crises qui sont à la fois économique, sociale, migratoire, sécuritaire, terroriste et identitaire. À tout cela s'ajoute le Brexit dont vous avez parlé, Monsieur le Président. Nous n'avons pas le droit de nous laisser intimider et paralyser notamment par cette dernière crise. À cet égard, il est important que toutes ces négociations à venir soient bien menées. Nous devons ainsi dire à nos amis britanniques qu'ils ne pourront pas profiter des avantages des deux solutions, à savoir prendre le meilleur de l'Union européenne et tirer le meilleur profit de leur situation en dehors de l'Union. Nous ne voulons pas punir le Royaume-Uni, mais notre fermeté doit préserver la cohésion des vingt-sept autres pays. Il n'y aura donc pas d'accès au marché commun sans le respect des quatre libertés fondamentales de l'Union européenne : la liberté de circulation des services, des biens, des capitaux et des personnes, salariés et entrepreneurs. Je remercie d'ailleurs les chefs d'État et de gouvernement de l'avoir exprimé si clairement.
Nous avons besoin également d'une communication expliquant aux citoyens de l'Union que l'Europe n'est pas une partie du problème, mais de la solution. Les politiques donnent une réponse compliquée à des questions complexes, tandis que les populistes et nationalistes simplifient tout et jouent sur les angoisses des populations. Les démocrates que nous sommes doivent demeurer fermes et expliquer la situation à nos concitoyens. Nous n'y parviendrons qu'en nous concentrant sur des projets aux implications concrètes qui renouvelleront l'espérance de nos populations dans le projet européen.
Nos concitoyens doivent ainsi comprendre que l'Europe les protège. La France a été particulièrement touchée par le terrorisme. Il ne saurait y avoir de réponse au terrorisme qui ne soit que nationale, alors que le voisinage de l'Europe ne présente pas moins de dix conflits. Ce sont là les réalités du monde d'aujourd'hui auxquelles l'Europe doit se confronter.
Les causes des migrations sont nombreuses et nous ne pourrons les éradiquer qu'ensemble. Il n'est pas possible de conduire des politiques purement nationales comme en Afrique. Nous avons au contraire besoin d'une politique de sécurité cohérente commune. Des impulsions importantes en ce sens ont d'ailleurs été données par la France et l'Allemagne.
Le chômage des jeunes est beaucoup trop élevé dans nombre de pays et ne concerne pas que les jeunes Italiens, Français ou Espagnols. Toute une génération est concernée et menace de sombrer.
Je suis heureux de constater qu'au cours des dernières années 1,4 million de jeunes ont pu intégrer le marché du travail, mais nous n'avons pas le droit de cesser nos efforts. Car la sécurité est aussi sociale et nos concitoyens associent perte d'emploi, mondialisation et insécurité. Il nous faut donc trouver une solution à ces angoisses.
L'Europe n'est pas qu'un idéal théorique et ésotérique, mais une réponse concrète à la mondialisation qui ne peut être façonnée qu'ensemble de manière démocratique, sociale et durable. Cette solution ne dépend pas que de la Commission européenne et du Parlement européen. En effet, nous sommes tous l'Europe et Bruxelles d'une certaine manière, et nous devons être plus justes et plus prudents quant à notre communication au sujet de l'Europe.
Nous avons ainsi besoin d'un nouveau consensus quant à l'avenir des vingt-sept pays de l'Union européenne. L'heure n'est ni aux grandes réformes institutionnelles ni à une nouvelle Constitution européenne. Malgré cela, je reste un homme politique convaincu de la nécessité d'une Europe fédérale qui n'induira pas la disparition des États. Il s'agit de se comprendre à la fois comme national et européen. Quelle est notre attitude vis-à-vis de la Chine, des États-Unis, de l'Amérique latine ou de la Russie ? Comment pouvons-nous être pris au sérieux lorsque nous intervenons en tant qu'acteur individuel ? L'Europe n'est pas qu'un projet économique visant l'instauration d'un marché commun. Il est ainsi nécessaire qu'une monnaie unique mène aussi à une politique sociale, fiscale et budgétaire commune.
Loin de concéder un nouveau transfert de souveraineté à Bruxelles, il faut forger de nouvelles coopérations, dans un contexte marqué par trop d'inégalités sociales et économiques et pas assez de convergences. Nous devons nous protéger des crises à venir, car nous ne voulons exclure aucun pays, à moins qu'un État ne décide de partir volontairement, comme l'a fait le Royaume-Uni.
Nous avons donc besoin d'une communication plus efficace, claire et honnête en Europe. D'ailleurs, la science et la culture tendent à être évincées de la communication qui a été, ces dernières années, trop centrée autour de la crise et marquée par l'émergence des nationalismes. Être arrogants quant aux angoisses de nos concitoyens ne nous mènera nulle part. Il est important au contraire de les comprendre, ces angoisses, et d'y apporter des réponses raisonnables dans le cadre de l'Europe.
J'espère, au travers de mes propos, vous avoir démontré que je suis un Européen convaincu. À la suite du Brexit, l'Europe ne peut avancer que si la France et l'Allemagne travaillent de concert. La qualité de la coopération franco-allemande ne réside pas que dans l'évocation d'un passé glorieux, mais également dans le fait que nous parvenions à agir de concert et à mettre en oeuvre une synthèse attrayante pour d'autres partenaires. Nous avons besoin d'une avant-garde dans l'Union européenne et c'est ce que nous formons. Cette avant-garde n'est pas une Europe des noyaux, c'est-à-dire d'une conception élitiste de l'Europe. Certains États, dans des domaines politiques spécifiques, avanceront et montreront la voie vers des solutions européennes plus prometteuses que les solutions nationales. Cependant, ces avancées ne sont possibles que si la France et l'Allemagne s'impliquent dès le début et renforcent, en retour, cette Europe des 27. Je tiens à vous indiquer que nous travaillons, mon collègue français, M. Harlem Désir et moi-même, dans un climat cordial lors des différents Conseils européens auxquels nous participons. Je vous remercie, encore une fois, pour votre invitation.